jeudi 29 septembre 2005

Tour de vis dans la loi sur les étrangers

Dans la Liberté et Le COurrier, François Nussbaum revient sur les débats de cette semaine au Conseil National:

Le National a poursuivi sur sa lancée. Après avoir fortement durci le droit d'asile, il a serré la vis dans la loi sur les étrangers. Le projet de révision, examiné hier en deuxième lecture, est centré sur les étrangers non ressortissants de l'UE. Le séjour et l'établissement des Européens, ainsi que leur activité lucrative, sont en effet réglés par l'accord de libre circulation.

Cette distinction étant faite, la loi s'intéresse surtout aux étrangers qui viennent exercer une activité lucrative. La première limitation consiste à n'admettre que les personnes qualifiées dont l'économie a besoin. Les non-qualifiés, eux, doivent être recrutés dans les pays de l'UE, notamment dans les nouveaux pays membres, du moins tant qu'ils seront intéressés. On peut supposer que les choses évolueront comme par le passé, avec l'Italie, l'Espagne ou le Portugal: ces trois «sources de saisonniers» se sont progressivement taries depuis leur adhésion à l'UE. A cet égard, les pays de l'Est peuvent les remplacer, tant que la libre circulation acceptée dimanche ne sera pas pleinement appliquée. Après 2011, on verra.

Les étrangers passés au crible par la loi sont donc, par exemple, des spécialistes américains ou asiatiques. Un des buts visés consiste à faciliter leur recrutement pour les besoins de l'économie, ainsi que leurs éventuels changements d'employeur et de lieu de travail. Mais une exigence a marqué l'ensemble des débats hier: les étrangers doivent s'intégrer.
A partir de là, les députés - à de courtes majorités - ont voté des restrictions que la minorité qualifie de chicanes administratives, si elles sont réellement appliquées. Ainsi les universitaires formés en Suisse à grands frais n'auront droit à aucune facilité particulière. Le droit d'établissement (permis C), même après dix ans, fera l'objet d'un examen minutieux.
Cet examen étant assuré par les cantons, les pratiques risquent bien d'être différentes entre eux. Par 95 voix contre 84, la majorité a tenu à cette exigence, malgré l'opposition de Christoph Blocher. Le conseiller fédéral craint dès lors que l'arbitraire s'installe dans la pratique, alors que la règle claire des dix ans aurait évité toute ambiguïté.

Le National a ensuite voté des restrictions dans le regroupement familial. La famille étrangère d'un Suisse (avec enfants de moins de 18 ans) n'obtiendra un permis de séjour qu'en vivant en ménage. Ce qui exclut les femmes victimes de violence qui quitteraient le foyer conjugal. Si le regroupement est demandé par un étranger avec permis C, ce sera au cas par cas.
Dans la foulée, le permis C ne sera octroyé - dans le cadre du regroupement familial - qu'aux enfants de moins de 12 ans, au lieu de 14. Même si un des conjoints est Suisse. «Question d'intégration», justifie la majorité, qui semble estimer qu'à partir de 12 ans, l'apprentissage de l'allemand ou du français devient difficile.
Par ailleurs, le National a renoncé à sa décision initiale de permettre un «réexamen approfondi» des cas de sans-papiers vivant depuis plus de quatre ans en Suisse. «On introduirait ainsi une sorte de droit à la régularisation, pour des gens qui ont enfreint la loi», a expliqué Christoph Blocher. Le dossier retourne au Conseil des Etats, pour éliminer les divergences restantes.


Interview de Paul Ntumba, président du Forum des étrangers et des étrangères de Lausanne

Diffusé le 29 septembre 2005, dans le Journal du matin sur La Première

Une tactique suicidaire


Dans un très intéressant commentaire paru dans Le Matin, Michel Jeanneret revient sur l'alignement du PDC sur les thèses populistes et xénophobes de l'UDC dans les débat sur l'asile et la loi sur les étrangers. Ce commentaire fait aussi écho à l'éditorial du Bund qui se demandait si le PDC pouvait encore décemment garder le C de son acronyme...

Plusieurs démocrates-chrétiens estiment que le fait d'avoir suivi l'UDC dans sa volonté de durcir les conditions d'accueil pour les réfugiés pourrait coûter cher au parti lors des prochaines élections fédérales

En s'alignant sur l'UDC et la droite dure, les démocrates-chrétiens viennent-ils de commettre une grave erreur stratégique? Validé par une large majorité du PDC, le durcissement du droit d'asile divise le groupe aux chambres fédérales.

Les Romands - qui ont refusé de suivre les mesures de Christoph Blocher et du Conseil des Etats - sont remontés contre leurs collègues alémaniques. Si la gauche lance un référendum et que le PDC doit soutenir une loi restrictive sur l'asile en pleine campagne de votations fédérales, ils estiment que leur parti perdra des sièges.

Climat émotionnel dénoncé
«Nous n'aurions jamais dû accepter de faire passer la durée de détention à deux ans. De même pour le refus d'entrer en matière pour les réfugiés qui ne disposent pas de papiers d'identité. Derrière nombre d'entre eux se cachent justement les vrais réfugiés, déclare un Pierre Kohler (PDC/JU) dégoûté. C'est une erreur suicidaire. Le problème, c'est que la direction du parti s'est laissé dépasser par sa droite, car elle n'avait aucune stratégie.»

Aucune stratégie, vraiment? «Nous avons agi avec pragmatisme, corrige une Doris Leuthard (PDC/AG) qui dénonce le climat émotionnel autour de la révision du droit d'asile. Notre programme prévoit de lutter contre les abus, et cette nouvelle loi respecte tant la Constitution que les droits de l'homme.» La présidente du PDC se défend d'avoir fait là un choix tactique, alors que tout le monde soupçonne son parti d'avoir durci le ton pour ne pas laisser le monopole à l'UDC dans le domaine des réfugiés.

Aucune tactique, vraiment? Fer de lance des durs du parti, Ruedi Lustenberger (PDC/LU) affirme pourtant le contraire: «Pourquoi pensez-vous que l'UDC a progressé en Suisse romande? Ce n'est pas grâce à sa politique antieuropéenne, mais à ses positions sur l'asile. Cette tactique représente une chance pour les PDC romands.»

Chasser sur les terres de l'UDC, le vice-président des démocrates-chrétiens n'y croit pas du tout: «Nous allons perdre la partie de notre électorat sensible à la doctrine sociale de l'Eglise, analyse Dominique de Buman (PDC/FR). Nous ne récupérerons aucune voix à droite. Les gens hostiles aux étrangers ne se sentiront pas subitement PDC.

Coup dur pour les clandestins genevois

Chantal Savioz, dans la Tribune de Genève, axe son commentaire sur les débats au parlement sur les effets des nouvelles lois à Genève:

Pas d'état d'âme à l'égard des sans-papiers. Hier, lors des débats sur la loi sur les étrangers au Conseil national, l'UDC, épaulée par les radicaux et le PDC, a fait marche arrière sur la question des clandestins. Guère audacieuse, cette disposition se contentait de prôner un examen «approfondi» des sans-papiers séjournant depuis plus de quatre ans en Suisse.

Les parlementaires, emmenés par le responsable de Justice et police Christoph Blocher, ont balayé la mesure. C'est dire les chances de la demande genevoise déposée par la présidente du Gouvernement Martine Brunschwig Graf, demandant la régularisation de 5000 clandestins.

Congelée, oubliée dans les tiroirs de l'administration? Une réunion de fonctionnaires fédéraux et cantonaux est prévue en octobre. D'ici là, les organisations d'entraide ont d'ores et déjà décidé de resserrer les rangs, et d'exiger du Gouvernement cantonal une position ferme dans ce dossier.

Contrairement aux débats au Conseil des Etats, en mai dernier, Christoph Blocher n'a pas évoqué directement la demande genevoise lors des débats d'hier. Il s'est contenté d'une allusion indirecte, en évoquant les salaires légaux dans le domaine des activités domestiques prônés par «certains» cantons. «Qui peut payer 3600 fr. par mois?» a interrogé le conseiller fédéral UDC, tout en soulignant qu'à ce tarif, d'autres clandestins allaient immanquablement affluer pour un salaire inférieur.

La libérale Martine ­­Brunsch­wig Graf n'a pas pu se rendre hier à Berne. La demande genevoise, dont elle est la porte­parole, n'est certes pas directement concernée par la loi discutée hier. Elle demande en effet une régularisation unique de 5000 personnes sur la base d'un constat économique. Le ton de l'Assemblée, les allusions directes ou indirectes de Christophe Blocher ne laissent cependant guère planer de doute quant à la réponse de Berne.

Le conseiller national vert Ueli Leuenberger constate, amer, «qu'il n'y a pas la moindre ouverture». «J'espère que le monde politique genevois, tous partis confondus, organise la résistance.» «Face aux exigences d'expulsion de Berne, il faut trouver un modus vivendi pour les milliers de clandestins concernés par cette affaire.»

Du côté du DFJP, on signale que la demande genevoise est pour l'heure dans le camp du canton. Blocher l'a renvoyée au printemps dernier à ses émissaires, leur demandant de remoduler certaines propositions. «Le dossier n'a pas avancé», souligne le porte-parole Livio Zanolari, demeurant résolument vague sur ce point.

Dans les camps syndicalistes genevois on attend beaucoup de ce mois d'octobre, durant lequel fonctionnaires des administrations fédérales et cantonales devraient se réunir. Une réunion «comme il en existe régulièrement avec tous les cantons», ajoute-t-on au DFJP qui tient décidément à laisser transparaître le moins d'informations possibles sur le sujet.

JC Mermoud approuve les durcissments

Dans une interview accordée à Grégoire Nappey, le Conseiller d'Etat dit tout le bien qu'il pense des nouvelles lois (asile et étranger) concoctées à Berne.

La procédure parlementaire autour de la nouvelle loi sur l'asile n'est pas encore tout à fait terminée à Berne, mais le ton est donné. Comme les Etats, le National veut durcir les règles (24 heures du 27 et 28 septembre). Des mesures «positives» selon Jean-Claude Mermoud, ministre en charge du dossier dans le canton de Vaud, qui présentera dans quelques jours la très attendue réponse du gouvernement à la motion Melly approuvée par le Grand Conseil contre le renvoi forcé des «523» requérants déboutés.

- Si vous étiez conseiller national, auriez-vous voté cette loi?


- Oui, c'est un signe positif. Le principe consiste à préserver la société de la minorité de requérants qui créent des difficultés, par des incivilités notamment. Avec le durcissement de la loi, ne sont visés que ceux qui posent problème. N'oublions pas que dans huit cas sur dix, tout se passe bien.

- Néanmoins, par exemple, l'extension des modalités de détention va aussi concerner des gens qui n'ont a priori rien fait de mal, mais que l'on veut simplement renvoyer dans leur pays.

- Je souligne d'abord que l'on parle bien de détention administrative, et pas de régime carcéral traditionnel. Le Centre intercantonal de Frambois à Genève a été conçu dans cet esprit, et d'ailleurs il coûte cher. On verra à l'usage quel doit être son avenir. Cela dit, la future loi se donne les moyens de prolonger la détention au besoin, précisément pour ces requérants à problème. Et puis, il y a la version light , si je puis dire: enfermer quelques jours ou quelques semaines quelqu'un qui ne veut pas comprendre qu'il doit partir. Mais sur les centaines de dossiers que nous traitons chaque année, seuls 50 ou 60 sont soumis aux mesures de contrainte.

- Et la suppression de l'aide sociale? Cela ne revient-il pas à jeter les gens à la rue?

- Légalement, un requérant débouté doit partir, il est donc logique de ne plus lui accorder de soutien. Et puis, il reste l'aide d'urgence. Donc j'approuve cette mesure politiquement, avec une réserve financière: cela pose la question de la répartition des charges entre cantons et Confédération. Je suis déterminé à aller négocier cela: il y a un coût et Berne doit l'assumer.

- Avec les «523», Vaud est confronté à une grave crise. Est-il vraiment pertinent de durcir encore les règles alors que l'application de celles qui existent s'avère déjà difficile?

- Le but est d'abord de donner des symboles de fermeté. Et aussi de s'assurer les moyens d'accueillir les vrais requérants. Il ne s'agit pas d'appliquer en masse et aveuglément les mesures de contrainte, mais de favoriser le plus possible l'aide au retour volontaire. Avec les «523», c'est ce que nous faisons parce que c'est la seule issue. A Berne comme ici, je m'inquiète de voir que la gauche n'a pas compris cela.

Sans papiers sans avenir

Voici les commentaires de Raymond Gremaud dans le Journal du Jura
Dans le droit-fil de celui en matière d'asile, le durcissement de la loi sur les étrangers ne devrait étonner personne. Cette loi vise notamment à faciliter l'intégration des étrangers, à écourter les procédures pour les employeurs et les autorités, mais aussi à lutter contre les abus et à sauvegarder la sécurité et l'ordre public. Et d'évidence, il y avait du travail à cet égard ! Un travail délicat au demeurant, puisqu'il touche de plein fouet de la pâte humaine. C'est peu dire que la pesée s'est avérée difficile. En première lecture, la version sortie du National n'a été adoptée que par 65 voix contre 48 et 55 abstentions, un résultat qui souligne bien la perplexité d'une majorité des élus. Durcie encore par le Conseil des Etats qui a suivi sa commission fortement influencée par Christoph Blocher, la nouvelle loi sur les étrangers ressort du National marquée par une dureté telle que l'USS émet des menaces de référendum. Supprimé, l'octroi automatique d'une autorisation d'établissement aux étrangers vivant depuis au moins dix ans en Suisse! Il y aura examen préalable par les cantons dans tous les cas. Durcies, les conditions de regroupement familial! Le conjoint étranger et ses enfants n'obtiendront un permis de séjour que s'ils cohabitent. D'autre part, la famille d'un étranger avec autorisation de séjour ne pourra s'établir en Suisse qu'après un examen au cas par cas. Le Conseil a en outre abaissé de 14 à 12 ans, le seuil permettant d'obtenir un permis de séjour dans le cadre du regroupement familial, une disposition qui vaut aussi pour les enfants du conjoint étranger d'un citoyen suisse. Quant au sort des sans-papiers, il est des plus noirs. Plus question d'examiner «de manière approfondie» même les cas de clandestins en Suisse depuis plus de quatre ans! Le Parlement a pris acte qu'il y a au moins 90 000 sans-papier en Suisse et il craint plus que tout l'effet d'aspiration que ne manquerait pas de provoquer tout ce qui ressemble à une amnistie. Du blochérisme inacceptable que tout cela? L'avenir le dira. En attendant, on doute du succès d'un référendum conçu pour voler au secours de personnes extérieures à l'Union européenne. Surtout s'il est lancé par ceux qui considéraient déjà comme une menace l'ouverture de la Suisse aux nouveaux membres de l'UE!