lundi 5 septembre 2011

Allez voter ailleurs!

J’y vis, j’y vote un peu, mais pas trop. Après avoir accepté en 2003 le principe du vote et de l’éligibilité des étrangers au niveau communal, les Vaudois ont sèchement refusé à ces mêmes personnes l’élargissement de leurs droits au niveau cantonal: seuls trois votants sur dix ont glissé un «oui» dans l’urne – pardon, l’enveloppe – en faveur de l’initiative populaire «Vivre et voter ici».

En cas d’acceptation, Vaud aurait été le troisième canton de Suisse, après le Jura et Neuchâtel, à accorder le droit de vote aux étrangers au plan cantonal, et surtout le premier à leur offrir le droit d’être élu. Afin de pouvoir en profiter, les aspirants citoyens se devaient d’être au bénéfice d’une autorisation de séjour et d’avoir vécu un minimum de dix ans en Suisse, dont trois dans le canton de Vaud – quelque quatre-vingt-cinq mille personnes étaient concernées. Les initiants, de gauche pour la plupart, estiment qu’il est injuste de payer ses impôts et ses assurances sociales en Suisse sans avoir son mot à dire dans les scrutins cantonaux, où se décident nombre d’enjeux qui influencent la vie de tous les jours.

L’échec de l’initiative était attendu, mais pas son ampleur. Elle s’explique en partie par la focalisation de l’attention sur l’autre grand objet de vote du dimanche, concernant l’école. Ainsi, «Vivre et voter ici» n’a pas bénéficié d’un réel débat, encore moins depuis que le Conseil d’Etat a attiré toute l’attention médiatique sur son contre-projet à l’initiative «Ecole 2010», à la suite d’un sondage défavorable publié par 24Heures. Aussi, le couplage entre droit de vote et d’éligibilité, choisi par les initiants afin de ne pas créer de «demi-citoyens», en a sans doute effrayé plus d’un. Que les étrangers votent est une chose, qu’ils légifèrent ou nous gouvernent semble en être une autre. «Une personne étrangère pourrait être élue au Conseil des Etats», mettait même en garde l’exécutif cantonal dans la brochure destinée aux électeurs. Un pseudo-Vaudois pour défendre les intérêts de son canton d’adoption? Impensable!

Enfin, du côté de l’électorat de gauche, certains citoyens ont sans doute été séduits par le principal argument du camp du «non»: plutôt que d’accorder ces droits, il faut encourager les naturalisations. Rappelons que, après douze ans passés en Suisse, les étrangers peuvent accéder, sur demande, à la nationalité suisse et aux droits qui lui sont liés. Encourager l’adoption massive du passeport suisse permettrait par ailleurs de faire perdre à la droite dure son principal cheval de bataille, puisque les statistiques du nombre d’étrangers en Suisse – autour de 22% aujourd’hui – baisseraient drastiquement.
Afin de permettre cela, il faudrait toutefois multiplier les efforts pour simplifier la naturalisation. Par exemple en laissant de côté une fois pour toutes les exigences qui fleurent bon l’époque des Faiseurs de Suisses (1978). Mais, quoi qu’il en soit, un étranger qui vit dans notre pays devra toujours pouvoir choisir d’embrasser ou non la nationalité helvétique. L’idéal, en Pays de Vaud, aurait été que ces personnes puissent tout de même voter et être élues, au niveau communal comme à l’échelon du canton. Un projet enterré pour longtemps.

Editorial de Samuel Schellenberg dans le Courrier

Nouveau rejet du droit de vote aux étrangers

Ce dimanche, les Vaudois ont refusé d’élargir au niveau cantonal les droits politiques des résidents étrangers déjà accordés au niveau communal. Dans la majorité des cantons suisses, ils ne peuvent voter, même si l’option gagne du terrain au niveau communal.

Un résultat sans appel. L'initiative «Vivre et voter ici» a recueilli 31,04% de votes favorables, 68,96% de voix négatives, suite à une participation de 40,34%.
«C'est certainement un résultat très clair, déclare déçu le Vert Raphaël Mahaim, co-président du comité d’initiative, tout en assurant que les jeunes s’étaient montrés beaucoup plus ouverts à cette option soutenue par la gauche et combattue par la droite, en particulier par  les conservateurs de l’UDC.
«Les électeurs vaudois ont reconnu que pour participer à la vie politique cantonale, il faut être suisse, une condition non négociable», estime ainsi Fabrice Moscheni, président de la section vaudoise de l’UDC.
En charge du département de l’intérieur du canton, Philippe Leuba précise que Vaud  a l’une des procédures de naturalisation «les plus simples et la moins coûteuse» de Suisse, ajoutant que quelque 6.000 personnes demandent chaque année  le passeport à croix blanche contre moins de 500 il y a 40 ans.

Double nationalité en question

Les partisans de l’initiative font valoir, eux, que de nombreux pays rejettent la double nationalité, ce qui pourrait avoir des conséquences majeures pour les résidents étrangers désireux de se naturaliser (difficultés  pour eux de retourner dans leur pays d'origine, séparation d’avec leurs parents ou perte des droits sur leurs enfants).
Fabrice Moscheni reste inflexible: «Certaines personnes disent qu'elle ne veulent pas devenir suisse, même si elles ont longtemps vécu dans le pays. Nous devons respecter cela. Mais on ne peut obtenir des droits politiques, sans obligations.»
Selon lui, il aurait été absurde de permettre aux résidents étrangers de pouvoir devenir ministres du gouvernement cantonal ou élire les juges. Une telle option conduirait à une dévalorisation du passeport suisse.
Autre argument des opposants à l’initiative: la participation des résidents étrangers aux élections communales a été plus faible que celles des résidents suisses.
De son coté, Raphaël Mahaim estime que ce résultat négatif n’est pas lié au débat politique plus large sur l'immigration qui se tient au Suisse, suite au lancement de l’initiative UDC intitulée «Stopper l'immigration de masse».
«Il est clair que le climat politique est tendu sur l'immigration. Mais cela n'explique pas l’ampleur du rejet. Vaud est un canton ouvert », estime l’écologiste.

Prochain vote

Malgré la déception de dimanche, Raphaël Mahaim est convaincu que le débat sur les droits politiques pour les étrangers n'est pas clos pour autant dans le canton de Vaud, comme ailleurs en Suisse.
A vérifier cet automne à Lucerne. Les citoyens de ce canton de Suisse centrale se prononceront sur une initiative populaire laissant aux communes la liberté d’accorder ou non le droit de vote aux résidents étrangers.

Simon Bradley, swissinfo.ch, traduction de l'anglais: Frédéric Burnand

Impossible d'expulser si les pays ne reprennent pas leurs ressortissants

Des voix toujours plus nombreuses dénoncent l’absence d’accords de réadmission avec les pays africains. Sans eux, pas de renvois.

En Suisse, des milliers de requérants déboutés et de délinquants étrangers ne peuvent être renvoyés chez eux, faute d’accords avec leurs pays d’origine. Le thème est brûlant et constitue un véritable casse-tête pour les autorités en charge de la police et l’asile.
A Genève, par exemple, la police recense environ 200 jeunes Maghrébins en situation irrégulière. En l’absence d’accords de réadmission, ils sont pratiquement inexpulsables.
«La Confédération doit prendre le problème à bras-le-corps. Cette situation pourrit littéralement la vie de la population», lance Olivier Jornot, président du groupe PLR au Grand Conseil genevois. Le procureur général Daniel Zappelli dénonçait, il y a quelques jours, ce manque d’accords avec les pays d’où sont originaires les délinquants dans nos colonnes (lire «Le Matin» du 25 août), et la signature de partenariats migratoires sera au menu des discussions entre Micheline Calmy-Rey et les autorités du canton.

Le problème no 1
Aux yeux du droit international, chaque pays est censé accueillir ses ressortissants. Mais, en l’absence de traités bilatéraux, qui règlent les modalités de ces rapatriements, certains rechignent à le faire.
Genève n’est pas la seule à tirer la sonnette d’alarme. L’inquiétude est partagée par la Conférence des directeurs cantonaux de justice et police (CCDJP). «L’absence d’accords de réadmission, notamment avec les pays d’Afrique, est le principal problème de notre politique d’asile» , souligne Philippe Leuba, conseiller d’Etat vaudois en charge du Département de l’intérieur. Dans son canton, 50% au moins des requérants déboutés ne peuvent être renvoyés dans leur pays faute de traités migratoires.
Pour le magistrat, la balle est dans le camp des autorités fédérales: «Il n’est plus admissible que le gouvernement n’ait pas de stratégie en la matière. On ne peut pas continuer comme ça. Le Conseil fédéral refuse d’empoigner le problème et met les cantons dans des situations intenables.» Philippe Leuba demande un engagement collectif des conseillers fédéraux.
Une stratégie globale pourrait par exemple conditionner l’octroi de l’aide au développement à la signature d’accords migratoires. «Ça devrait être du donnant-donnant», plaide Philippe Leuba.

La Suisse est championne
Du côté du Département fédéral de justice et police (DFJP), en charge du dossier migratoire, on ne veut pas entendre parler de chantage à l’aide au développement. «L’efficacité d’une telle action est largement surestimée, rappelle Agnès Schenker, porte-parole du DFJP. D’une manière générale, la conditionnalité négative visant à imposer par la contrainte le respect de certaines exigences dessert les relations extérieures comme les intérêts de la Suisse.»
Avec 47 accords de réadmission, la Suisse est un des pays du monde ayant conclu le plus grand nombre de traités dans ce domaine, souligne-t-on au Département. Seuls six concernent des pays africains. Est-ce suffisant?
«Nous essayons d’étoffer la palette, notamment avec l’Afrique subsaharienne et le Maghreb, explique Michel Jeanneret, conseiller juridique et spécialiste des accords avec l’Afrique à l’Office fédéral des migrations (ODM). C’est même une de nos priorités.»
L’office devrait entrer en négociation avant la fin de l’année avec un pays d’Afrique australe. «Nous avons envoyé une première proposition d’accord et attendons une réponse, confie Michel Jeanneret. Et puis nous suivons de près la situation en Tunisie. Des rencontres d’experts ont déjà eu lieu.»
Reste que, de l’aveu même du spécialiste, ces négociations prennent du temps. «C’est un processus long et difficile, et nous ne sommes pas toujours accueillis à bras ouverts, relève Michel Jeanneret. Si un partenaire ne veut pas négocier, nous ne pouvons rien faire. La migration est un des rares moyens de pression qu’a l’Afrique sur l’Europe.»

Accord au point mort
Ce genre de blocage, la Suisse en connaît avec l’Algérie. Les deux pays ont signé un accord de réadmission en 2006. Mais, dans les faits, le traité ne sert à rien. Alger tarde en effet à signer le protocole d’application. Sans lui, impossible d’effectuer un renvoi. Berne s’est-elle fait rouler dans la farine? «Les autorités suisses réitèrent constamment leur souhait de voir le protocole d’application signé, assure Agnès Schenker. La question migratoire est toujours à l’ordre du jour des relations bilatérales entre nos deux pays.»
Cette absence de renvois vers l’Algérie est connue des délinquants étrangers actifs à Genève. Selon la police, certains prétendent même être Algériens dans le but d’échapper à l’ex pulsion du territoire suisse.

Simon Koch dans le Matin