vendredi 25 février 2011

Grenoble: une "avancée" sur la question des Roms

Ce jeudi 24 février à la préfecture de l'Isère les associations humanitaires ont eu l'impression d'être entendues. Le rendez-vous était demandé depuis longtemps par ces associations qui tirent la sonnette d'alarme sur le cas des 200, voire 300 Roms qui vivent dans les rues de l'agglomération de Grenoble.

Le préfet leur a promis l'ouverture d'un lieu d'hébergement d'urgence même en dehors du plan "grand froid" au moins pour accueillir les 50 familles de demandeurs d'asile installées dans un square.

Le local en question est déjà bien connu des roms qui pour certains y ont séjourné. C'est le garage du 19, rue Prosper Mérimée qui sera ouvert jusqu'au 31 mars, date de la fin de la trêve hivernale.

Les associations sont satisfaites mais...car il y a un "mais". Le garage est en effet réputé pour être mal chauffé. Dans la journée les roms devront en outre gagner les lieux d'accueil de jour s'ils veulent un peu de chaleur. 

Quant à l'après hiver, les associations n'ont rien obtenu de plus. La mairie de Grenoble est aussi inquiète. Avec l'arrivée du printemps un "nouvel afflux de demandes d'hébergement" est à redouter.

"Une concertation étroite et un travail collectif entre l'Etat, dont c'est la compétence, les collectivités territoriales et les associations doit donc se poursuivre et s'amplifier pour anticiper du mieux possible cette crise prévisible et obtenir les moyens nécessaires de la part de l'Etat", note la municipalité dans un communiqué.

Lundi 21 février, ces Roms s'étaient rappelés aux bons souvenirs des élus de la ville qui leur avaient montré la "direction" de la préfecture.

Avec leurs principaux soutiens, ces roms avaient manifesté devant la mairie. Certains n'en peuvent plus de vivre sous des tentes au square Jean Macé. Ils se sont installés là récemment depuis qu'ils ont été expulsés des abords de la Gare SNCF par les forces de l'ordre.

"On les expulse d'un lieu public dépendant de l'Etat, la gare, pour les amener dans un lieu public dépendant de la mairie avec l'incapacité pour le maire d'intervenir", a expliqué Michel Destot, le député-maire de Grenoble, sur l'antenne de France Bleu Isère.

C'est inhumain et inextricable !

"Je peux certes saisir le préfet pour les exclure, mais pour les emmener où ? (...) C'est inhumain et c'est aussi inextricable car la ville n'a pas les moyens de répondre à ces questions et on sait très bien que dans les villes confrontées au même problème et qui ont répondu de façon humaine, c'est un appel à d'autres publics de même nature".

"Avec les meilleures volontés du monde, avec les meilleurs principes, les meilleures valeurs humanitaires, nous n'arriverons pas à résoudre ces problèmes. ça veut dire que l'Etat au plus haut niveau doit assumer ses responsabilités, c'est à lui de réguler. On ne peut pas les accueillir sur notre territoire et ne pas assurer leur hébergement et l'accompagnement qui est nécessaire", a conclu l'élu.

"Au bout du bout"

Le 18 février dernier sur notre antenne, Bruno Charlot, le secrétaire général adjoint de la Préfecture de l'Isère, expliquait qu'on était arrivé "au bout du bout" dans cette affaire, que le nombre de lits ouverts à l'hébergement d'urgence pour ces réfugiés n'avait cessé de progresser, passant de 700 à 1.400 en une année, que 9 millions d'euros avaient déjà été investis.

Il rappelait aussi la très grande difficulté pour ses services de trouver des hébergements pouvant accueillir des familles entières avec leurs enfants (jusqu'à 8 personnes).

Un représentant de l'Etat qui n'a pas évoqué de solutions mais dressé un constat : "actuellement 150 demandes d'asile arrivent en préfecture chaque mois". Le problème est donc loin d'être résolu.

Franck Grassaud pour France 3

Voir la vidéo de ce sujet

«Il est prématuré de s’occuper du flux des réfugiés»

denise efionayi-maederLes ministres de l’Intérieur de l’UE – et de la Suisse – se sont rencontrés jeudi à Bruxelles pour débattre de l’afflux de réfugiés en provenance du sud de la Méditerranée. Mais pour la spécialiste des migrations Denise Efionayi-Mäder, il est trop tôt pour s’alarmer. Interview.

Les troubles dans les pays arabes, tout spécialement en Tunisie et en Libye, ont des effets sur l’afflux de réfugiés en Europe. C’est ainsi que plusieurs milliers d’entre eux ont déjà atteint les côtes du sud de l’Italie. La situation n’est pas sans préoccuper l’Union européenne (UE).
Pour Denise Efionayi-Mäder, vice-directrice du Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population, à Neuchâtel, il conviendrait plutôt, pour le moment, de s’occuper en priorité de la situation dans les pays concernés.

swissinfo.ch: Faut-il s’attendre à une avalanche d’émigrés depuis l’Afrique et la Méditerranée?

Denise Efionayi-Mäder: Pour l’instant, il est très difficile de répondre, car la situation est assez peu prévisible. Tout dépend de l’évolution de la situation et des perspectives.
Je trouve cependant que nous avons été un peu alarmistes suite à l’arrivée d’un certain nombre de réfugiés, ce qui n’est pas une situation exceptionnelle. Mais bien sûr, avec ce qui se passe actuellement en Libye, il est très difficile de préjuger. Je pense qu’il faudra attendre le développement ultérieur pour se prononcer.

swissinfo.ch: Partagez-vous les craintes de l’Union européenne?

D. E.-M.: Je suis un peu étonnée que l’on parle surtout des réfugiés. Il y a quand même des massacres, avec des gens tués et blessés. J’estime qu’il est prématuré de ne s’occuper que du flux des réfugiés, même s’il y a une certaine continuité dans cette logique.
Je pense que l’Europe est tout à fait en mesure d’y faire face. Il y a des situations bien pires, notamment en Afrique. Par exemple le Kenya qui, en peu de temps, a dû recevoir un flux de réfugiés autrement plus important en provenance de Somalie.

swissinfo.ch: Selon vous, les craintes, exprimées en particulier par l’Italie, sont exagérées…

D. E.-M.: Je trouve la réaction un peu alarmiste et disproportionnée dans le sens où elle détourne finalement l’attention. En suivant l’actualité, on a l’impression que le problème qui se passe actuellement autour de la Méditerranée est davantage un problème européen qu’un problème de l’Afrique du nord.

swissinfo.ch : S’agit-il d’une crise temporaire ou faut-il prévoir des effets à long terme?

D. E.-M. : Cela dépend de la manière dont la situation va évoluer. Personne n’avait prévu le moment de l’éclatement de cette crise ni son ampleur. Je pense donc qu’il est exagéré de dire ce qui va se passer.
Il est clair qu’il y a des choses graves qui se déroulent, notamment en Libye. Mais j’espère qu’il y a aussi des perspectives qui vont s’ouvrir à long terme. Dans les pays concernés, cela peut être une chance d’avoir un régime un peu plus ouvert, un peu plus démocratique et peut-être aussi des politiques économiques un peu plus soutenues et durables.

swissinfo.ch: Et cela aurait donc une influence sur la migration…

D. E.-M.: Evidemment, cela n’arrête pas un flux de réfugiés en cas de crise. Mais celui-ci peut être à court terme et plus ou moins réversible.
Mais, à long terme, le fait qu’il existe des perspectives pour les populations locales est quelque chose qui diminue une pression migratoire qui était contenue jusqu’à présent, mais par des moyens souvent répressifs.

swissinfo.ch: La Suisse devrait-elle s'intégrer dans un effort «global»?

D. E.-M. : Je pense que oui, car la Suisse est pleinement intégrée géographiquement et économiquement dans l’Europe. Il est indispensable que la Suisse suive de près les efforts de l'Union européenne et que l'on coordonne les moyens, chacun en fonction de ses spécialités.
Je fais confiance à la Suisse pour s’associer aux efforts de l’UE. Encore que, au niveau européen, il ne sera pas facile de tout coordonner en raison du grand nombre de pays impliqués.

swissinfo.ch: Pour un ressortissant des pays de l'Afrique du Nord, quels sont les défis en Suisse?

D. E.-M.: Tout dépend de sa situation au départ. On peut tout à fait imaginer qu’il y ait des personnes qui fuient pour des raisons qui rentrent dans le cadre de la Convention des réfugiés. Je pense que celles-ci ont probablement une chance réelle de pouvoir obtenir l'asile dans un pays comme la Suisse.
Pour les autres, il n'y a pas de perspectives à long terme, car les gens ne provenant pas d’un pays de l’UE ou de l’AELE ont très peu de chances de décrocher un contrat de travail en Suisse, à moins d’exercer une profession particulièrement recherchée sur le marché suisse de l’emploi.
Il est évident que la Suisse ne va pas renvoyer un habitant de Tripoli en l’état actuel. Mais une fois que la situation sera redevenue calme, il est probable que ces personnes seront renvoyées, à moins d’avoir été reconnues comme réfugiées.

Michela Montalbetti, Olivier Pauchard, swissinfo.ch

Libye: la Suisse affiche sa solidarité à Bruxelles

s sommaruga bruxellesAlors que l'UE envisage une «intervention militaire à titre humanitaire» en Libye, la ministre suisse Simonetta Sommaruga a témoigné jeudi à Bruxelles de la «solidarité» de Berne à l’égard des pays qui redoutent une arrivée massive de migrants en provenance d’Afrique du Nord.

Après la condamnation des actes de violence «intolérable» perpétrés par le régime de Mouammar Kadhafi et les menaces de sanctions qu’elle a proférées, l’Union européenne envisage de passer à l’action en Libye.
De hauts fonctionnaires du club communautaire ont confirmé que l’UE était en train d’élaborer un «plan d’urgence» afin de parer à toute dégradation de la situation en Libye.
«On prépare une éventuelle évacuation» massive des ressortissants des pays occidentaux qui sont bloqués dans le pays, ont-ils souligné. Dans ce contexte, la Hongrie, qui préside actuellement le club communautaire, a d’ailleurs annoncé l’activation du «mécanisme de protection civile» de l’UE, en vue de créer une flottille européenne.

Une intervention militaire?
Des moyens militaires seront certainement mobilisés dans ce contexte: «Une intervention militaire à titre humanitaire constitue un des scénarios que l’on examine.»
Cette opération, «difficile à mettre en œuvre», pourrait déborder le cadre des évacuations, pressentent d’aucuns. Pour peu que le Conseil de sécurité des Nations unies marque son accord, des moyens militaires pourraient être utilisés pour acheminer de l’aide humanitaire, faire respecter une interdiction de survol de certaines zones par l’aviation libyenne ou encore sécuriser les camps de réfugiés dans lesquels s’entassent des centaines de milliers de personnes, originaires pour la plupart d’Afrique subsaharienne et qui n’ont qu’un seul rêve: gagner les côtes européennes.
La situation de ces réfugiés, ainsi que celle des travailleurs africains présents en Libye (entre 550’000 et 1,5 million de personnes au total), inquiète l’Italie et Malte, qui sont en première ligne et redoutent un «exode biblique» de migrants – Rome a évoqué le chiffre de 300’000 personnes.

Le «signal fort» de la Suisse
Les ministres de l’Intérieur des Vingt-Sept ont débattu hier du problème, en présence de la ministre suisse Simonetta Sommaruga, la cheffe du Département fédéral de justice et police (DFJP).
En tant que membre de l’espace Schengen, la Suisse participe actuellement à une mission (baptisée Hermès) que Frontex, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures de l’Union, a déployée le 20 février dans la Méditerranée afin de lutter contre l’immigration clandestine. Deux experts helvétiques sont désormais à pied d’œuvre sur l’île de Lampedusa, où avaient débarqué quelque 5700 candidats réfugiés en provenance de Tunisie, après la chute de Ben Ali.
Un troisième est en partance et «une vingtaine» d’autres ont déjà été formés pour les suivre, si nécessaire. Pour Simonetta Sommaruga, la Suisse a ainsi envoyé un «signal fort» aux Européens: elle fait preuve de «solidarité» avec eux – et attend, bien sûr, qu’ils lui offrent la réciprocité si nécessaire.

Un fonds de solidarité
Pour Rome, toutefois, l’intervention de Frontex est insuffisante. L’Italie réclame la création d’un fonds européen de solidarité qui permettrait de l’aider à accueillir les réfugiés et «l’acceptation du principe du partage du fardeau» de l’immigration en Europe – chaque pays s’engagerait à accueillir un certain nombre de migrants sur son territoire.
«Aucune décision n’a été prise», a souligné la ministre suisse. «Il ne sert à rien de paniquer», alors que le pire ne s’est pas (encore) produit – la majorité des Etats membres de l’Union partage cet avis. «Pour le moment, il s’agit de se concentrer sur des instruments concrets comme Frontex.»
«L’envoi des trois garde-frontières s’inscrit dans un contexte beaucoup plus large», a toutefois précisé l’ambassadeur de Suisse auprès de l’UE, Jacques de Watteville.
Ainsi, la Suisse «participera» au cas où des moyens financiers supplémentaires devraient être débloqués afin de faire face à un afflux de migrants. C’est qu’étant en «deuxième ligne», elle a intérêt à ce que tout se passe bien en Italie, avec laquelle elle s’est d’ailleurs engagée à «coopérer étroitement dans les mois à venir», a relevé Simonetta Sommaruga. La Suisse, en effet, veut «protéger» sa propre population contre un afflux éventuel de «criminels» dans le pays.
Afin de réduire le risque d’un afflux de migrants, la Suisse est par ailleurs déterminée à prendre ses «responsabilités humanitaires» en Afrique du Nord, où les structures étatiques sont souvent défaillantes, ce qui aggrave les problèmes «des gens qui ont besoin de protection» sur place. Elle apportera dans ce contexte son soutien à la Croix-Rouge.

Tanguy Verhoosel, swissinfo.ch, Bruxelles

Un problème à affronter, «aussi déplaisant soit-il»

Philippe Leuba a exhorté le district de Nyon de trouver des solutions pour accueillir et occuper les requérants.

Voilà deux ans que Nyon a été contrainte d’ouvrir en urgence un abri de protection civile pour accueillir des requérants d’asile. C’était à l’époque la seule solution pour répondre aux sollicitations du canton auprès d’une région qui ne participait plus, depuis quelques années, à l’effort d’hébergement réclamé à toute commune vaudoise de plus de 2000 habitants. Hier, lors de l’assemblée des syndics du district de Nyon, le conseiller d’Etat Philippe Leuba est revenu à la charge pour qu’ils assument une répartition plus équitable des requérants sur le territoire cantonal.

«Je vous appelle franchement à collaborer, et vous assure qu’on tiendra compte du ratio entre le nombre d’habitants et les places attribuées», a-t-il rappelé. Ce d’autant plus que le canton, qui se doit déjà d’accueillir 8,4% des 16 000 demandes d’asile faites par année en Suisse, risque un afflux supplémentaire de réfugiés avec les conséquences du printemps du Maghreb. «Je sais les craintes et les problèmes que suscite l’accueil de requérants, que votre région connaît une pénurie de logements. Mais il y a des communes qui pourraient faire de l’hébergement et qui ne jouent pas le jeu. Il faut affronter le problème, aussi déplaisant soit-il», a plaidé le conseiller d’Etat, en souhaitant que la région mette la même détermination à accueillir les requérants qu’elle a mis pour accueillir… le siège de l’UEFA.

Dézoner? Illusoire!

Bien sûr, les pontes du football, eux, ne trafiquent pas de la drogue. Alors que la région planche depuis dix ans sur diverses solutions pour offrir un modèle d’accueil, les craintes qui ont surgi autour d’un abri nyonnais surpeuplé et ne réunissant que des hommes, dont certains dealent ouvertement dans la rue, n’encouragent pas les initiatives. Il y en a une pourtant, mais qui se heurte à une fin de non-recevoir. «J’ai proposé le bâtiment délaissé par Radio Suisse, qui appartient à la Confédération. Mais on me dit qu’une dérogation n’est pas possible sur un terrain agricole», a déploré le syndic de Prangins, Hans Rudolf Kappeler, en se demandant si le canton ne pouvait pas faire une exception. Dézoner pour accueillir des réfugiés? Ce serait une procédure interminable et non équitable vis-à-vis des nombreux propriétaires qui demandent des déclassements de terrain, a rappelé le conseiller d’Etat. «Penser qu’à court terme un terrain agricole puisse accueillir des requérants est une illusion. Ce n’est pas réaliste, il me faut une solution demain», a martelé Philippe Leuba. Bravache, il s’est dit prêt à écrire à la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga pour voir si un régime d’exception était possible.

Occuper les requérants

En attendant, le directeur de l’EVAM, Pierre Imhof, a appelé les communes à offrir des programmes d’occupation pour les requérants qui sont hébergés à Nyon. A l’exemple de ce que fait Vallorbe, seule commune romande qui s’est vu imposer un centre d’enregistrement de réfugiés. Son syndic, Stéphane Costantini, est venu expliquer sans complaisance les problèmes de cohabitation qu’il génère, mais aussi les travaux d’utilité publique que sa commune peut confier à des requérants, notamment dans ses forêts. A la sortie de la séance, quatre syndics au moins se sont approchés de M. Leuba en se disant prêts à accueillir ou à occuper des migrants.

Madeleine Schürch dans 24 Heures


accueil réfugiés commune

«Restez là-bas, en Tunisie, auprès de vos mamans»

mohamed regrets europeAlors que la Suisse se prépare à un afflux massif de réfugiés arabes, un clandestin tunisien témoigne.

Mohamed est clandestin. Il a quitté la Tunisie alors qu’il n’avait pas 20 ans. A l’époque, il avait les mêmes rêves, les mêmes espoirs que les 5500 jeunes Tunisiens parqués depuis plusieurs jours à Lampedusa, au sud de la Sicile. Aujourd’hui, il est en Suisse et, à 30 ans, il n’a qu’un seul message à leur adresser: «Restez en Tunisie, auprès de vos mamans et de vos familles. Ici, ce n’est pas évident.»

Alors que la Suisse et les autres pays européens multiplient les préparatifs face à un éventuel afflux massif de réfugiés arabes, ce clandestin qui habite en cachette à Lausanne a accepté de raconter son parcours. «J’ai grandi à Tunis, commence-t-il. J’ai fui la pauvreté. Je ne pouvais ni manger à ma faim ni m’habiller à mon goût.» Issu d’une famille nombreuse, sans formation, Mohamed avait les yeux braqués sur l’Europe. «La liberté, le travail, l’argent; pour moi, l’Europe, c’était le paradis. Je regardais les séries ou les films à la télévision. Je ne voyais que ceux qui revenaient au pays avec de l’argent. Ils s’achetaient de grosses voitures.» Pensait-il à un éventuel échec? «J’étais, comme tous les jeunes, sûr d’y arriver. Je me croyais plus malin que les autres.»

mohamed migrant tunisien

En franchissant la Méditerranée, c’est l’enfer qui s’offre au Tunisien. «Je regrette chaque minute que j’ai vécue en Europe», lâche-t-il tout en jetant régulièrement des coups d’œil inquiets vers la porte du café. Sans doute cette peur obsédante d’être découvert par les autorités.

Mohamed a une vie des plus précaires. Sans papiers, parlant à peine le français, il est logé par une famille tunisienne et doit se contenter de petits boulots. Travaux de peinture, déménagements et petits nettoyages suffisent à peine à payer son loyer. «Je demande à des amis de m’aider.» Parfois, sa famille restée à Tunis lui envoie de l’argent.

«Je n’ai pas d’avenir, aucune perspective. J’ai 30 ans et je n’ai rien construit. C’est l’échec total. Je ne sais pas si je pourrai fonder une famille un jour. Mes jeunes frères, restés là-bas, sont mariés. Moi, je n’ai même pas 5 centimes en poche.» Mohamed a pourtant une femme dans sa vie. Une Tunisienne qu’il a épousée en Italie. Un mariage religieux seulement. Toujours ces satanés papiers… Pour la voir, il n’a osé qu’une seule fois prendre le risque de retraverser la frontière.

Voilà dix ans que Mohamed galère. Il lui a fallu six mois pour arriver en Italie. D’abord l’avion jusqu’en Turquie. Les Tunisiens n’ont pas besoin de visa. Ensuite, une marche de 21 jours à travers les montagnes pour arriver en Grèce. La police l’a attrapé. Deux mois d’enfermement et tabassage en règle par les policiers. Plus tard, il réussit à passer en Italie, caché dans un camion. «J’ai vendu de la drogue, avoue-t-il. J’ai volé aussi. C’était ça ou je ne mangeais pas. Je ne suis pas fier.» Peu à peu, Mohamed se construit un réseau. Des amis l’ont déposé au Tessin il y a un an et demi. Et depuis, la galère continue.

Désormais, Mohamed en est convaincu: «Il vaut mieux avoir faim aux côtés de sa mère – je n’ai pas vu la mienne depuis mon départ – qu’être affamé tout seul ici.» Mais la honte de l’échec l’empêche de rentrer.

En veut-il aux Européens de ne pas vouloir accueillir les réfugiés? «Je les comprends. Un clandestin doit parfois voler ou faire pire pour vivre, ils n’ont pas envie de ça. Pour moi, ce n’est pas du racisme.» Faut-il une aide internationale pour aider son peuple à se reconstruire? La fierté de Mohamed le submerge: «La Tunisie est un pays riche. Elle peut faire vivre ses enfants, il faut seulement une meilleure répartition des richesses et moins de corruption.»

Fabian Muhieddine dans 24 Heures

Pourquoi l'Europe craint un exode massif

italie libye migrationSous le règne de Mouammar Kadhafi, la Libye est devenue l'antichambre de l'Europe pour des milliers de migrants africains.

A la différence des 5.000 Tunisiens qui viennent de quitter leur pays pour se rendre sur l'île italienne de Lampedusa, ce ne sont pas des Libyens fuyant la guerre qui devraient frapper demain à la porte de l'Union européenne, mais une majorité de migrants originaires du sous-continent africain. Pour nombre d'entre eux, la Libye ne représente en effet qu'une étape, une voie de transit.

Pas moins de deux millions d'immigrés se trouvent actuellement sur le sol libyen. Parmi eux, des Maliens, des Nigériens, des Sénégalais, des Soudanais, des Tchadiens, des Burkinabés ou des Ghanéens, qui ont longtemps perçu ce pays comme une riche terre d'accueil. Vu de Paris, cela peut surprendre. Mais, à défaut de pouvoir se rendre immédiatement en Europe ou dans les pays du Golfe, les populations pauvres de l'Afrique de l'Ouest ne sont pas insensibles aux pétrodollars du colonel Kadhafi.

Certains secteurs de l'économie libyenne comme le bâtiment, la restauration, les services et, dans une moindre mesure, l'agriculture, reposent presque en totalité sur ces immigrés. Outre la manne pétrolière, c'est aussi l'image du fantasque dictateur qui explique cette présence étrangère massive (plus de 30 % de la population) dans un pays qui ne compte qu'un peu plus de 6 millions d'habitants. Après son accession au pouvoir en 1969, le « guide de la révolution » devient le chantre du « panafricanisme ». Il se prononce pour une suppression des frontières héritées de la colonisation, pour celle des visas aussi, ainsi que pour la mise place d'un gouvernement et d'une banque centrale africaine. Un activisme politique qui séduira plusieurs générations d'Africains aux yeux desquels Mouammar Kadhafi passe pour un véritable héros. En 2007, il propose encore à ses pairs du continent la création des Etats-Unis d'Afrique.

Mais rien n'est jamais simple avec lui. Alors qu'il ouvre – dans les périodes de croissance économique – les frontières de son pays à l'immigration, le leader de la « Grande Jamahiriya » utilise les étrangers qu'il reçoit comme bouc émissaire auprès de ses concitoyens (quand l'économie est en berne) ou comme arme diplomatique. Les quelque 1.800 kilomètres de côtes libyennes sont une aubaine pour les clandestins. Contre un contrôle accru de ces dernières et pour éviter (selon les propres termes de Kadhafi) « une Europe noire », les 27 ont accepté de fermer les yeux sur les aspects les plus répressifs du régime. En 2008, au terme d'un traité d'amitié avec l'Italie, Kadhafi reçoit même, des mains de Silvio Berlusconi, un chèque de 3,6 milliards d'euros destiné à l'aider « à lutter contre l'immigration clandestine ». Alors que la guerre s'étend à l'ensemble du pays, la surveillance des côtes n'est plus assurée. Pire, Tripoli menace à présent l'UE, de « lâcher » les migrants sur elle.

Jean-Claude Galli dans France Soir