mardi 16 août 2011

Une convention fêtée mais trahie

Le 28 juillet 2011, nous fêtions les 60 ans de la Convention relative au statut des réfugiés, texte adopté au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dont l’objectif à l’époque peu contesté, était de réguler le sort de ceux dont les droits fondamentaux n’étaient pas respectés par leur propre Etat, en raison de leur race, de leur nationalité, de leur religion, de leurs opinions politiques ou encore de leur appartenance à un groupe social particulier.

A cette occasion, il est important de rappeler les bénéfices indéniables que des millions d’individus craignant pour leur vie et leur intégrité physique ont pu retirer de ce traité. Ce constat ne dispense pas pour autant d’un regard critique sur son application actuelle par les Etats signataires, et par la Suisse en particulier.

Si aucun Etat ne s’est aventuré à remettre ouvertement en cause son adhésion à la convention, la plupart d’entre eux cherchent à en limiter l’application. Premièrement en renforçant le contrôle des frontières pour entraver l’accès des demandeurs d’asile à leur territoire et deuxièmement par l’adoption, au niveau législatif, de clauses les autorisant à se dispenser d’examiner les demandes de protection dont ils sont saisis.

En Suisse, ces clauses, connues sous le nom de non-entrée en matière (NEM) se sont démultipliées au cours des innombrables révisions du droit d’asile qui ont ponctué les 25 dernières années, plaçant les demandeurs d’asile dans une situation juridique de plus en plus précaire. Au prétexte de trier les «bons» des «mauvais» réfugiés – catégories peu explicites mais manipulables à souhait - ces révisions ont peu à peu détourné le droit d’asile de son but, celui de protéger des individus en péril, pour servir de bras politique à une propagande virulente contre l’immigration extra-européenne.

Les différentes clauses de non-entrée en matière motivent près de 48% des décisions rendues par l’Office fédéral des migrations. Les décisions prises en vertu des accords de Dublin représentent à elles seules plus de 30% de celles-ci.

Ces accords prévoient que l’Etat membre par lequel un demandeur d’asile accède à l’Union européenne devient l’unique responsable du traitement de sa demande d’asile. Le droit des réfugiés se transforme ici en vaste loterie humaine, où seuls les plus chanceux accéderont à un Etat garantissant une procédure de détermination du statut de réfugié équitable et des conditions d’accueil dignes de ce nom.

Une loterie dont la Suisse a saisi qu’elle en serait le véritable bénéficiaire: située au cœur de l’Europe, ces accords lui permettent de se dessaisir d’un nombre croissant de demandes d’asile, sans violer ouvertement la Convention relative au statut des réfugiés et sans avoir à se préoccuper du sort de milliers d’êtres humains, parfois menacés de refoulement vers des Etats où ils risquent la mort ou la torture.

Marie-Claire Kunz, membre du comité de la coordination contre l’exclusion et la xénophobie, dans la Tribune de Genève

L'odyssée (in)humaine de dix réfugiés

Ils n'en ont pas le statut officiel, mais le sont pourtant corps et âme. Réfugiés en France pour fuir la persécution en Serbie, ces dix Roms devaient être expulsés la semaine dernière. Mais le tribunal de Lille leur a offert un sursis inespéré.

Ces voyages-là, d’habitude, sont sans retour. Arrêtée mercredi matin, à l’aube, à Clermont-Ferrand, la famille Ajeti-Hassani, dix Roms du Kosovo, devait être renvoyée dans son pays putatif, la Serbie.

Vendredi, un juge du tribunal administratif de Lille, où ils avaient été transférés, en a pourtant décidé autrement. Les motifs du jugement n’ont pas encore été notifiés, ni à la famille, ni à la préfecture du Puy-de-Dôme. Difficile donc de tracer des perspectives pour l’avenir, même à très court terme.

Menacés en Serbie

Seule certitude, à compter d’aujourd’hui, quatre adultes et six enfants, âgés de deux à onze ans, seront à nouveau à la rue. La solution trouvée pour les abriter ce week-end, un camping dans la campagne auvergnate, ne peut s’éterniser.

Pour eux, c’est un nouveau saut dans le vide, où ils sont à peu près sûrs d’être rejetés de Charybde en Scylla. Mais comparée à l’odyssée qui les a menés jusque-là, cette ultime péripétie ne saurait constituer un écueil majeur. Ils semblent avoir en eux une volonté monolithique d’aller de l’avant.

1999. La guerre fait rage dans leur pays, le Kosovo. Vendeurs de vêtements sur les marchés, ils fuient vers la Serbie, où on leur interdit d’exercer leur métier. D’autres persécutions suivront. Les propos racistes destinés à Arben, 7 ans à l’époque, par sa première maîtresse d’école. Son frère aîné, Kadri, la vingtaine, obligé, sous la menace d’un fusil, de charger les corps de ses amis dans un camion destiné au charnier. La Serbie, comme le Kosovo, sont pourtant considérés comme des pays « sûrs » par la communauté internationale.

Après dix ans de calvaire, la famille Ajeti-Hassani choisira de fuir. Direction, la France, en février 2011.Là, ils réclament le statut de réfugiés qui leur est refusé en première instance par L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).

Selon la famille et les bénévoles qui les entourent, un appel serait en cours devant la Commission nationale du droit d’asile (CNDA). La préfecture, elle, affirme que cette instance a déjà tranché. Avis défavorable pour les dix Roms.

Même si un recours est également déposé devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, le préfet décide, le 10 août dernier, de prendre un arrêté de reconduite à la frontière. Ce jour-là, à 7 heures du matin à peine, Kadri et son épouse, Arben, ses parents et ses frères et soeurs sont arrêtés dans l’hôtel qu’ils occupent à Clermont-Ferrand. Quelques jours à peine après l’annonce par le ministre de l’Intérieur du nouvel objectif de 30.000 expulsions pour l’année 2011.

Pas le temps de prendre leurs habits

Dans sa chambre, Arben, dix ans désormais, veut récupérer ses habits. « Ils nous ont dit : “Non. Vite, vite, vite”. ». Ils sont emmenés de force, sans rien comprendre à ce qui leur arrive. « Les enfants ont été traumatisés, ils étaient en pleurs », raconte Kadri. La famille échappe juste à l’humiliation des menottes. Pas besoin. Selon la préfecture, l’interpellation de la famille par les quinze policiers s’est déroulée « sans heurt ».

Dans un bus de tourisme, spécialement affrété pour l’occasion, la famille Azeti-Hassani est transférée au centre de rétention de Lille. « Une cage, une prison », mime Salih, le père de famille, les deux mains jointes sur des barreaux imaginaires. Lorsqu’ils sont relâchés, vendredi, la police se contente de les déposer sur un quai de gare. Sans argent ni billet de train. Clandestins sous contrainte. « Par rapport au voyage tout frais payé de l’aller, le contraste est saisissant », ironise une bénévole.

Malgré la peur de se faire coincer, ils parviendront à rejoindre Clermont-Ferrand, à minuit, épuisé. Après tout ça, on se demande encore comment les parents trouvent la force de sourire, de se réconforter. Comment les enfants peuvent-ils jouer au football, en toute innocence. Quel sentiment les meut ?

En la matière, la barrière de la langue ôte toute certitude. On tranche par élimination. Cette sarabande n’est pas une façon d’oublier, vu qu’ils savent leur sort suspendu au moindre aléa. Ce n’est plus tout à fait de l’espoir. Trop de portes se sont refermées. « On veut habiter en France, que nos enfants grandissent ici, aillent à l’école », explique Salih. L’envie de vivre. Toujours.

Sébastien Dubois pour la Montagne