« Il vaut mieux mourir en mer que retourner en Libye. » Farah Anam, une Somalienne arrivée à Malte en juillet 2010 après avoir traversé la Libye.
En voulant fuir persécutions et conflit armé, les migrants, réfugiés et demandeurs d'asile qui tentent de se rendre en Europe en passant par la Libye se trouvent exposés à la torture et à la détention illimitée, affirme Amnesty International dans un rapport publié le 14 décembre. Intitulé Seeking safety, finding fear: Refugees, asylum-seekers and migrants in Libya and Malta, ce rapport souligne la détresse des personnes qui tentent d'atteindre les pays de l'Union européenne (UE), bien souvent dans l'espoir de trouver asile et protection, et met en lumière les atteintes aux droits humains dont elles sont victimes en Libye et à Malte.
« En Libye, les ressortissants étrangers, et plus spécialement les réfugiés, les demandeurs d'asile et les migrants, sont particulièrement vulnérables et vivent en permanence dans la crainte d'être arrêtés et d'être victimes de détentions prolongées, d'actes de torture ou d'autres mauvais traitements », a déclaré Malcolm Smart, directeur du Programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d'Amnesty International.
« En outre, beaucoup ont peur d'être renvoyés dans leur pays d'origine, sans que le risque réel qu'ils courent d'y être persécutés ne soit pris en compte. »
D'après les autorités libyennes, il y aurait plus de trois millions de « migrants en situation irrégulière » dans le pays, dont beaucoup sont originaires d'autres pays d'Afrique. Mais elles affirment qu'il n'y a parmi eux aucun réfugié.
Chaque année, des dizaines de milliers de Somaliens quittent leur pays et entreprennent un long et périlleux voyage à travers des États comme la Libye pour fuir le conflit qui ravage la Somalie depuis 1991. Nombreux sont ceux qui dépensent la totalité de leurs économies afin d'embarquer pour une dangereuse traversée de la Méditerranée.
Les réfugiés et les demandeurs d'asile n'ont aucun statut juridique en Libye, quel que soit leur besoin de protection. Ce pays ne fait pas partie des signataires de la Convention de 1951 des Nations unies et ne dispose d'aucune procédure permettant d'obtenir l'asile. En novembre 2010, le gouvernement a ouvertement rejeté les recommandations faites à la Libye de ratifier la Convention de 1951 et de conclure avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) un protocole d'accord qui permettrait au HCR d'aider les réfugiés et les demandeurs d'asile en Libye.
« En Libye, les demandeurs d'asile et les réfugiés n'ont nulle part où aller pour obtenir de l'aide et ils sont encore plus vulnérables depuis que les autorités du pays ont ordonné au HCR de suspendre ses activités, en juin dernier. Le moins que puissent faire les autorités, c'est protéger les personnes qui fuient les persécutions et les conflits contre les arrestations, la violence et les atteintes à leurs droits, et veiller à ce qu'elles ne soient pas renvoyées dans des pays où elles sont persécutées ou exposées à de graves dangers », a déclaré Malcolm Smart.
Ahmed Mahmoud et Mariam Hussein, un couple somalien, ont fui leur pays ravagé par la guerre. Ils ont atteint la Libye et y ont vécu dans la peur constante d'être arrêtés par les autorités. Ils n'ont pas trouvé de travail et ont été volés à plusieurs reprises. Ils ont alors décidé de prendre un bateau pour l'Europe. Mariam Hussein était enceinte de sept mois.
Le couple faisait partie d'un groupe de 55 Somaliens interceptés en mer et secourus d'une embarcation en détresse par des navires maltais et libyens le 17 juillet 2010 alors qu'ils tentaient d'effectuer la dangereuse traversée de la Méditerranée entre la Libye et l'Europe. Mariam Hussein et 26 autres personnes ont immédiatement été ramenées en Libye. Les 28 autres migrants, dont Ahmed Mahmoud, ont été emmenés à Malte.
En Libye, Mariam Hussein et les 26 autres personnes ont immédiatement été placées en détention. Selon certaines informations, les hommes auraient été roués de coups et soumis à des décharges électriques. Deux mois plus tard, Mariam Hussein a accouché d'un enfant mort-né.
En Libye, réfugiés, demandeurs d'asile et migrants sont systématiquement victimes d'actes de torture ou d'autres mauvais traitements. Les gardiens frappent souvent les détenus à coups de poings ou à l'aide de matraques ou de barres en métal et ceux qui se plaignent des conditions de détention ou demandent une assistance médicale sont agressés ou punis d'une autre manière.
Malgré cela, en octobre, la Commission européenne a signé avec les autorités libyennes un « programme de coopération » pour une « gestion efficace des flux migratoires » et un « contrôle des frontières » jusqu'en 2013, au titre duquel l'UE va verser à la Libye 50 millions d'euros.
Dans le même temps, l'UE et la Libye sont en train de négocier un « accord-cadre » qui doit notamment permettre la « réadmission » en Libye de ressortissants de « pays tiers » qui se sont rendus en Europe en passant par la Libye.
« Les droits humains et le partage des responsabilités, principes fondateurs de la protection internationale, doivent être au centre de la coopération entre l'Union européenne et la Libye. L'UE et ses États membres ne doivent pas fermer les yeux sur les incessantes violations des droits humains en Libye en recherchant la coopération de ce pays dans le but de contenir le flux de migrants originaires d'Afrique qui arrivent en Europe », a souligné Malcolm Smart.
Selon les estimations, entre 2002 et mai 2009, 13 000 personnes seraient arrivées à Malte par bateau après avoir traversé la Libye. Malte n'est cependant pas le refuge qu'ils espéraient. Aux termes du droit maltais, tout nouvel arrivant, y compris lorsqu'il s'agit d'un demandeur d'asile, est susceptible d'être considéré comme « immigrant irrégulier » et placé en détention pour une durée indéterminée (en pratique, jusqu'à 18 mois).
Les recours légaux existants pour contester les détentions ont été jugés insuffisants par la Cour européenne des droits de l'homme.
« En raison de sa situation géographique, Malte doit faire face à d'importants flux de demandeurs d'asile et de migrants en situation irrégulière aux origines diverses. Il est évident que cela représente une difficulté majeure. Mais cela de relève pas Malte des obligations qui lui incombent aux termes du droit régional et international relatif aux réfugiés et aux droits humains, en particulier de la Convention européenne des droits de l'homme », a déclaré Malcolm Smart.
« Les autorités maltaises doivent veiller à ce que les opérations de recherche et de sauvetage n'aient pas pour résultat le renvoi forcé ou l'évacuation de personnes déjà vulnérables vers la Libye ou d'autres États où elles risquent véritablement de subir de graves violations des droits humains. »