Oxfam a ajouté sa voix au choeur grandissant de ceux qui s’inquiètent du système de décision britannique relatif aux demandes d’asile et des souffrances que celui-ci entraîne, dans un rapport sur les demandeurs d’asile sans ressources qui n’ont pas le droit de travailler, mais ne peuvent prétendre aux aides sociales.
Ces hommes et ces femmes qui ont raconté de façon anonyme leur histoire dans « Coping with Destitution [Comment affronter le dénuement] : Les stratégies de survie des demandeurs d’asile au Royaume-Uni », vivent à l’écart, sans un sou et dépendent de la charité d’autrui.
« On te traite sans aucun respect, on abuse de toi, tu deviens « de la nourriture en échange de travail », nettoyer la maison ou faire la lessive… Ce n’est pas facile de vivre avec des amis. Ils commencent à en avoir assez de toi quand tu n’as pas de revenus, » a dit un demandeur d’asile à l’enquêteur d’Oxfam durant un entretien.
« On peut utiliser une carte de bus et y traîner toute la nuit. C’est très risqué parce que tu ne sais pas où tu vas, tu passes du temps aux arrêts de bus pendant la nuit et tu peux te faire ramasser… Et même si tu as un endroit où aller, tu as le sentiment que tes amis ont besoin d’intimité, ou bien tu ne te sens pas à l’aise de rester chez eux, » a dit un autre, soulignant les difficultés de la vie quotidienne.
« J’ai connu quelqu’un qui a travaillé pendant trois mois et à qui on avait promis 35 livres (56 dollars) par jour ; mais quand il a demandé son salaire après trois mois, le patron a dit qu’il ne lui donnerait que 50 livres (80 dollars) pour les trois mois. “Mais c’est 3 000 livres (4 800 dollars) qu’il me faut !” a t-il dit. Mais le patron l’a menacé de le dénoncer aux services de l’immigration ; que pouvait-il faire ? » C’est ce que raconte un demandeur d’asile dans le rapport. Certains, dont le cas n’a pas encore fait l’objet d’une décision, ont des problèmes administratifs et se voient interdits de travailler mais aussi de demander toute aide publique.
Dilemme et confusion
La plupart de ceux qui sont dans la misère sont des gens qui se sont vu refuser leur demande d’asile, mais préfèrent toutefois vivre sans un sou au Royaume-Uni que de retourner dans leur pays. En 2005, le Bureau national d’audit du gouvernement britannique estimait qu’ils étaient entre 155 000 et 283 000 à vivre dans cette situation, sans aucune source légale de revenus.
L’assistance pour les personnes qui demandent l’asile en Grande-Bretagne n’a cessé de diminuer depuis 10 ans. Il fut un temps où elles avaient droit aux prestations sociales standard et où elles pouvaient demander un permis de travail, si elles devaient attendre plus de six mois la décision concernant leur demande.
Aujourd’hui, les seules aides auxquelles elles peuvent prétendre sont un logement et une indemnité de 35 livres (environ 55 dollars) par semaine, fournis par le Système national d’assistance pour les demandeurs d’asile (NASS). Une fois que la demande d’asile et les recours ont été refusés, le soutien s’arrête et le demandeur est censé quitter le pays dans les trois semaines. A ce moment-là, beaucoup de demandeurs d’asile tentent de rester, sans aucun moyen de subsistance. Même dans les cas où il est difficile, voire impossible, pour eux de partir, parce qu’ils n’ont pas les papiers requis, ou que leur pays d’origine est considéré comme trop dangereux, beaucoup choisissent de disparaître plutôt que de rester dans un logement de la NASS, où on pourrait les trouver facilement et les déporter.
Pour Oxfam, couper les aides aux demandeurs d’asile déboutés pour les pousser à rentrer chez eux « ne remplit clairement pas cet objectif. Les demandeurs d’asile qui sont considérés par les autorités comme étant au bout du processus de demande d’asile, ne retournent tout simplement pas dans leur pays d’origine, même s’ils vivent dans des conditions terribles au Royaume-Uni. » Selon les organisations qui travaillent avec les demandeurs d’asile, ce sont les mauvaises décisions concernant les demandes d’asile qui sont à la source du problème, car des décisions qui sont ressenties comme arbitraires et injustes encouragent les requérants à rester et à tenter leur chance en faisant appel ou en déposant de nouvelles demandes.
Debora Singer, de Asylum Aid, qui fournit une aide juridique aux demandeurs d’asile, a dit à IRIN que la moitié des femmes avec lesquelles elle avait travaillé et dont la demande d’asile avait initialement été rejetée, avaient obtenu une annulation de la décision en faisant appel. « Ce que cela signifie, » à son avis, « c’est qu’il y a vraiment quelque chose qui ne va pas au stade initial. Les responsables de l’Agence des frontières [Border Agency] qui prennent la première décision, ont des habitudes de méfiance vis-à-vis des demandeurs. Les recours, eux, sont entendus par des juges de l’immigration qui demandent un niveau de preuve différent et voient la crédibilité autrement. »
Pas d’issue
Les femmes demandeurs d’asile sont particulièrement vulnérables. « Il m’est arrivé d’être dans des réunions où toute la pièce était pleine de femmes vivant dans la misère, » a dit Mme Singer. Elle a connu une femme enceinte qui avait dormi pendant trois mois dans une gare de Londres.
Les enquêteurs d’Oxfam ont rencontré des femmes qui avaient eu recours à la prostitution pour pouvoir survivre ; d’autres avaient noué des relations avec des hommes simplement pour avoir à manger et un toit sur la tête. La misère peut quelquefois devenir insupportable. La Fédération internationale des réfugiés irakiens a dit à IRIN que l’un de ses membres en Grande-Bretagne s’était récemment suicidé, poussé par le désespoir.
En 2010, Osman Rasoul, un Kurde irakien, s’est donné la mort en sautant du septième étage d’un immeuble de Nottingham. Sa demande d’asile avait été rejetée et ses aides arrêtées, aussi dormait-il dans la rue et vivait-il de paquets de vivres et de dons d’un organisme caritatif local, tout en préparant une nouvelle demande. L’Agence des frontières du Royaume-Uni défend sa rapidité et sa rigueur, et affirme que le pourcentage des décisions annulées en appel est comparable à celui des autres pays européens. Hugh Ind, directeur régional de l’Agence, a déclaré: « Nous fournissons un soutien financier pendant que les demandes sont examinées, et aucun demandeur d’asile ne doit être sans ressources tant qu’il a une raison valable d’être ici. Mais nous sommes vraiment convaincus que le soutien financier de ceux qui n’ont pas été considérés comme ayant besoin de protection serait un encouragement à abuser du système et à rester au Royaume-Uni. »
Au Royaume-Uni, le soutien aux demandeurs d’asile est un sujet épineux d’un point de vue politique. En Grande-Bretagne, la presse populiste d’extrême droite diabolise les demandeurs d’asile, et soutenir l’idée d’aides publiques pour ceux qui ont vu leur demande rejetée a de grandes chances d’être sujet à controverse. IRIN a demandé à Helen Longworth, directrice de la politique de lutte contre la pauvreté au Royaume-Uni à Oxfam, si une organisation comme Oxfam devrait réclamer que les demandeurs d’asile déboutés reçoivent de l’argent public, alors qu’ils ne devraient même plus se trouver dans le pays.
« Il ne faut jamais forcer quelqu’un à faire un choix entre la misère et la persécution. Ceux qui se sont tournés vers nous dans l’attente d’une protection sont nombreux à ne pas avoir été traités de façon équitable, » a t-elle dit. « Si on leur refuse l’asile ici, il ne leur reste plus qu’à vivre sur le canapé chez des amis, à survivre grâce aux dons des associations caritatives, à recourir à des relations clairement transactionnelles et quelquefois au travail illégal, y compris au travail du sexe, » a dit Mme Longworth à IRIN. « Bref, c’est la politique même du gouvernement qui les force à vivre dans le dénuement. Aucune raison ne peut jamais justifier que notre gouvernement traite quelqu’un de cette façon, quel que soit son “statut”, surtout quelqu’un qui nous a demandé de l’aider. »
Un article publié sur le site de l'IRIN, service du Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies