mardi 12 juillet 2005

«Faut-il être mort pour pouvoir rester en Suisse?»



Vendredi dernier, l’association Appartenances invitait les différents acteurs du domaine de l’asile à son Diwan, séance de travail psychosocial destinée aux migrants.

«Ces derniers temps, on pouvait sentir la tension au Diwan, raconte Valdet Ballabani, animateur et interprète. On essayait de la soulager, mais toujours barricadés entre ces quatre murs. Nous voulons maintenant travailler avec les autres gens qui essaient de se faire entendre dans le domaine de l’asile.»

La séance de vendredi dernier à l’Espace-Hommes d’Appartenances, dans le quartier du Flon, avait pour but de réunir les différentes personnes qui ont manifesté leur soutien «à la cause des 523»: professionnels de la santé, militants, politiciens, médecins, Eglises, etc. Objectif, chercher des moyens d’action communs mais aussi permettre aux requérants de rencontrer les personnes qui se mobilisent autour d’eux. «D’être pris en considération, en tant qu’être humain, ça leur fait beaucoup de bien», souligne Karima Brakna, psychologue du Diwan.

Les langues mettent un peu de temps à se délier devant cette assemblée élargie: «Je n’ai pas l’habitude de parler devant tout ce monde, explique un homme, mais ça me donne du courage que tous ces gens s’intéressent à nous.» Beaucoup manifestent leur incompréhension face à la politique du Conseil d’Etat vaudois. Chacun a sa tragédie personnelle. Plusieurs survivants de Srebrenica sont présents, aucun n’a été régularisé. «Qu’est-ce qu’il faut faire, est-ce qu’il faut être mort pour pouvoir rester en Suisse?» lance l’un d’entre eux. «Ici des gens essaient de me soigner et d’autres veulent nous renvoyer», s’étonne un autre.

Parmi les professionnels de la santé on s’interroge aussi. «En tant que psychologue, j’essaie de réparer les dégâts, de calmer des personnes, de leur faire accepter des situations que ni eux ni moi n’avons choisies, explique Karima Brakna. Je me demande de plus en plus pour qui et pourquoi?»

Après cette première prise de contact, un groupe de travail sera mis sur pied avec la Coordination Asile. «Le but, c’est de sensibiliser un maximum de personnes, souligne Isa Berbati, interprète. Nous aimerions que cette sensibilité vaudoise puisse pénétrer jusqu’à Berne...»

Lire l'article de Lucia Sillig dans 24heures

Les patrons ne licencieront pas

Ils sont une trentaine de patrons vaudois à avoir contacté la Coordination Asile. L’interdiction de travailler, effective au 31 juillet, faite à certains de leurs employés, requérants déboutés, leur est restée en travers de la gorge. Réunis hier au Café Le Milan, sous la houlette des délégués syndicaux de Unia et Comedia au sein de la coordination, ils se sont déterminés: ils ne licencieront pas.

Du patron du café, à Hilcona, en passant par Photovision, ou encore les EMS La Pensée et Les Trémiéres, quinze employeurs étaient présents. Quinze autres excusés, dont Le Palace et Manpower Vevey.

«C’est assez cocasse, des syndicalistes qui coordonnent des patrons», sourit Bruno Clément, de Comedia. Plusieurs décisions ont été prises. Premièrement, ces patrons ne licencieront pas, parce qu’ils ne pensent pas que le Conseil d’Etat et l’administration soient dans leur bon droit. De plus, ils n’ont aucun motif de licenciement et ils jugent ce procédé inhumain et absurde d’un point de vue économique. Enfin, ils écriront une réponse collective aux services cantonaux concernés et aux sept conseillers d’Etat pour motiver leur décision.

Lire l'article de Lucia Sillig dans 24 heures

Srebrenica, plus jamais! Nulle part !

Le reportage de Rachad Armanios dans le Courrier relate également la grande marche d'hier.

L'article est suivi par une interview de Salih Brkic, journaliste vedette de la télévision de la Fédération de Bosnie-Herzégovine. C'est à lui que l'on doit les images d'un nouveau charnier découvert près de Srebrenica, qui ont fait le tour de monde la semaine passée.

Salih Brkic livre son analyse du génocide dans le Courrier

Honte et sanglots à Srebrenica



Reportage de Srebrenica de Martine Clerc dans 24heures


Quelque 40 000 personnes ont célébré hier le 10e anniversaire du massacre. Une commémoration doublée de l’enterrement de plus de six cents victimes dont les corps ont été identifiés. Des Bosniaques de Suisse étaient présents.

Les Bosniaques ont pleuré leurs morts au Mémorial de Potocari, alors que la communauté internationale a exprimé honte et remords. A quelques kilomètres de Srebrenica reposent désormais près de 2000 victimes du plus grand massacre de civils depuis la Seconde Guerre mondiale.


Rescapé, Mevludin Gobeljic, requérant d'asile de Vevey, a fait le voyage depuis Vevey pour enterrer deux de ses cousins. Il est «enfin» à Srebrenica. Pour la première fois, dix ans après sa fuite dans la forêt, poursuivi par les troupes serbes. Huit ans après son arrivée à Vevey où il vit aujourd’hui avec sa famille, au bénéfice d’une autorisation provisoire de séjour. «Je me sens drôle, j’ai l’impression de ne pas reconnaître les gens qui m’entourent. C’est beaucoup de pression de revenir après tout ce temps et de retrouver la mort», explique-t-il doucement. Pelle à la main, il attend devant la tombe où seront enterrés dans quelques heures deux de ses cousins, dont les corps viennent d’être identifiés. En tout, 610 victimes de 14 à 74 ans, exhumées des charniers, seront mises en terre.

Dès le petit matin, les hommes, la mine sombre, se sont affairés dans l’immense champ de tombes pour vider l’eau de l’orage de la veille qui stagne au fond des fosses. Le chant du mufti musulman, diffusé par haut-parleurs, retentit dans toute la vallée. Des cortèges de Bosniaques déferlent dans ce lieu jouxtant l’ancienne base de l’ONU où chercha vainement refuge, le 11 juillet 1995, la population de Srebrenica qui venait de tomber aux mains des troupes du général serbe Ratko Mladic. Huit mille hommes furent exécutés.

«Un échec de l’OTAN»
Quelque 40 000 personnes sont venues leur rendre hommage. Parmi les dignitaires invités, Boris Tadic, président de Serbie, premier chef de l’Etat serbe à faire un tel geste, et le ministre britannique des Affaires étrangères, Jack Straw, qui a évoqué la «honte de la communauté internationale». «Cette horreur s’est déroulée sous nos yeux et nous n’avons rien fait. Je le regrette amèrement», a-t-il souligné.

«Srebrenica a été un échec de l’OTAN et des soldats de maintien de la paix de l’ONU», a pour sa part déclaré Richard Holbrooke, l’ancien négociateur américain pour l’ex-Yougoslavie. Il a réaffirmé que les anciens chefs serbes bosniaques Radovan Karadzic et Ratko Mladic, en fuite et inculpés de génocide par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie à La Haye, devaient être traduits devant la justice internationale.

Après la prière, le nom et la date de naissance des victimes sont lus, un à un, dans le hautparleur. «1979, 1980. Ils sont tellement jeunes!» soupire Taner Alicehic. Etabli à Genève dès son enfance, le jeune Bosniaque n’a pas connu la guerre. «Mais je viens presque chaque année ici. Pour les Bosniaques, c’est notre Auschwitz.»
«Encore beaucoup de place»

Les cercueils, dont certains ne contiennent que des squelettes partiellement reconstitués, circulent de mains en mains, dans un long cortège au-dessus des têtes. Alic Said vient d’une vallée proche de Srebrenica et a fui à Lausanne dès le début du conflit. «Ma mère est montée dans un bus pour Tuzla en 1995. Aujourd’hui, elle n’a pas osé revenir.» Agenouillées autour des tombes, des femmes crient leur douleur. Certaines s’évanouissent.

La famille de Mevludin Gobeljic s’accroupit autour de l’imam, au bord des sépultures. Le requérant d’asile de Vevey regarde le grand pré vierge autour de lui. «Il y a encore de la place pour beaucoup de morts», lâche-t-il. Au-dessus de lui, sur une colline surplombant le Mémorial, un nouveau charnier a été découvert la semaine dernière. Des ossements disséminés, des vêtements déchirés. Il pourrait s’agir de fragments de corps d’une centaine de personnes, ont estimé les experts.

Une enquête à hauts risques pour les limiers du TPIY

C’était un soir d’hiver de 1999, dans un café d’Amsterdam. Stylo à la main, Jean-René Ruez dressa — rien que pour nos yeux — «l’organigramme des bourreaux», responsables du massacre de Srebrenica. Karadzic, Mladic, Kristic: ces trois-là, nous les connaissions déjà. Le commissaire français Ruez nous en livra d’autres, des officiers chargés de la sécurité ou du renseignement qu’il comptait bien «faire tomber»: Beara, Popovic, Obrenovic, Tolimir.

A l’époque, ces hommes n’étaient pas encore inculpés. Aujourd’hui, la plupart d’entre eux couchent dans le centre de détention du Tribunal pour l’ex-Yougoslavie, à Scheveningen. Les généraux Tolimir et Mladic, le président Karadzic, eux, narguent la communauté internationale depuis dix ans. Outrée par tant d’impunité, Carla Del Ponte a annoncé qu’elle n’ira pas aux cérémonies de commémoration du génocide. Pour cet ancien flic de la brigade de répression du banditisme de Nice, l’enquête sur le massacre de «7574 personnes, principalement des civils, entre le 13 et le 18 juillet 1995» avait commencé avec son arrivée à Tuzla, dès le 20 juillet 1995, et la prise de témoignages de survivants. Mais c’est la reddition d’un exécutant, Drazen Erdemovic, qui marquera la première victoire de l’enquêteur. Erdemovic collaborera entièrement avec le TPIY au point qu’une étrange relation se développera entre le jeune repenti et son interrogateur.

Pendant six ans, Ruez mènera l’enquête avec tous les risques inhérents. Peu soutenu par l’ancien procureur adjoint, l’Australien Graham Blewitt, chacun de ses déplacements en Republika Srpska comportera des dangers: les mines dispersées par les hommes de Mladic autour des fosses communes, les suspects qui sont prêts à supprimer physiquement les enquêteurs du TPIY. «J’espère que je reviendrai entier», nous glissa plus d’une fois le commissaire en partance. Ruez a démissionné, physiquement et moralement épuisé. Aujourd’hui, il reste obsédé par les fosses communes. Mais sa persévérance, saluée par Mark Harmon, substitut du procureur au procès du général Krstic — «Ruez a été le cœur et l’âme de l’instruction» — a porté. En août 2001, Radislav Krstic a été condamné à quarante-six ans de prison. Sa peine sera réduite à trente-cinq ans en appel? N’empêche: le jugement est exemplaire: «En décidant de tuer tous les hommes en âge de combattre, on décidait de rendre impossible la survie de la population des Musulmans de Bosnie à Srebrenica. On est passé du nettoyage ethnique au génocide», juge le TPIY. Outre Erdemovic et Krstic, quatre autres militaires ont été condamnés à des peines de neuf à vingt-sept ans de prison. Neuf accusés attendent leur procès dans leur cellule de Scheveningen. Parmi eux, le général Peresic, ancien chef d’état-major de l’armée yougoslave, accusé d’avoir fourni une aide logistique à son armée sœur serbo-bosniaque.

L’ancien président Milosevic est également inculpé de génocide pour Srebrenica. Carla Del Ponte, procureur général du TPIY, a d’ailleurs demandé d’ajouter au dossier à charge une vidéo «retrouvée». Ce long document montre des membres des unités spéciales de l’armée serbe participant au massacre.

Lire l'article d'Alain Franco dans 24heures