vendredi 20 août 2010

La France expulse des Roms, l’Europe s’indigne

Deux avions ont emmené hier 75 Roms à Bucarest. Paris, qui vient de durcir son discours sécuritaire, a promis d’en expulser 700 d’ici à la fin d’août.

Roms sur le départ

Le gouvernement français semble décidé à tenir ses promesses de «fermeté» envers les Roms: 75 d’entre eux ont été reconduits, hier, à Bucarest. La semaine dernière, le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, avait en effet annoncé sa décision de renvoyer d’ici à la fin août «700 personnes dans leur pays d’origine», la Roumanie et la Bulgarie. Les deux premiers avions ont décollé hier après-midi, l’un de Paris, l’autre de Lyon.

Bucarest s’étrangle

Tous les passagers de ces vols se sont conformés à la procédure de retour volontaire. Présents en France depuis au moins trois mois mais sans ressources, ils ont accepté un chèque de 300 euros et un billet d’avion pour revenir au pays.

Un dispositif «spécifique au droit administratif français», d’après la Roumanie. Bucarest n’a pas manqué de critiquer la soudaine fermeté affichée outre-Jura. Le ministre roumain des Affaires étrangères, Teodor Baconschi, craint de voir dans ce durcissement des «risques de dérapage populiste» et «certaines réactions xénophobes sur fond de crise économique». Le chef de l’Etat, Traian Basescu, l’a tempéré, en disant «comprendre les problèmes que créent les camps de Roms» en France, mais pour mieux réaffirmer «la réalisation d’un programme d’intégration au niveau européen».

Bruxelles sermonne

Ces expulsions passent mal en Europe. D’autant qu’elles s’ajoutent à d’autres mesures contre les Roms. Suite à des heurts provoqués par des gens du voyage cet été dans le Loir-et-Cher, le gouvernement français avait en effet promis de démanteler 300 camps illicites dans les trois mois.

Un nouveau coup de semonce a été tiré avant-hier de Bruxelles, après celui asséné au début du mois d’août par l’ONU et une campagne de presse dévastatrice aux Etats-Unis et en Angleterre. Viviane Reding, commissaire européenne à la Justice, enjoint la France de «respecter les règles» de la libre circulation et installation des Européens.

Ladite situation n’est pourtant pas nouvelle. Chaque année depuis 2007, la France expulse toujours plus de Roms – 2500 il y a trois ans, 8400 en 2008, près de 10 000 en 2009. Tout comme le Danemark et l’Italie, ou encore l’Allemagne qui les envoie au Kosovo. Sans bruit.

La vraie rupture, c’est bien la publicité orchestrée par le gouvernement français autour de ces rapatriements. La presse, en particulier anglaise, et les associations humanitaires dénoncent dans cette subite rigueur un calcul politique cynique.

La majorité présidentielle divisée

S’en prendre aux Roms permet au gouvernement, dépassé par de graves faits divers cet été, de cultiver ses résultats chiffrés. Et de montrer à des électeurs venus du Front national en 2007 qu’il ne cède sur rien. Un pari risqué, qui divise la majorité présidentielle.

Christophe Jaquet, Paris, dans 24 Heures

Paris expulse 93 Roms vers Bucarest

Il s'agit des premières expulsions depuis l'annonce par le président Nicolas Sarkozy de mesures sécuritaires visant spécifiquement cette population, utilisée par le gouvernement comme un bouc-émissaire, selon les ONG.

Un vol devait partir jeudi de Lyon avec 79 personnes à bord. 14 autres personnes devaient embarquer à Paris, selon le ministère roumain de l'Intérieur. Un autre vol est prévu vendredi avec "une centaine de personnes" et un troisième le 26 août.

"Chacune des personnes éloignées a fait l'objet d'un examen individuel quant aux conditions de son séjour en France", a assuré le gouvernement français, en réponse à la Commission européenne qui a rappelé que Paris "doit respecter les règles" sur la liberté de circulation et d'établissement dans l'UE.

700 d'ici la fin du mois

D'ici la fin du mois, Paris envisage le retour de 700 Roms, après le démantèlement d'une cinquantaine de camps depuis le durcissement de la politique gouvernementale fin juillet.

A la suite d'un fait divers - qui concernait des tziganes français - le gouvernement avait annoncé le démantèlement de la moitié des camps illégaux en France dans les trois mois et une reconduite vers la Bulgarie ou la Roumanie des Roms ayant "commis des atteintes aux biens ou des fraudes".

Les Roms qui partent jeudi ont accepté l'aide au retour volontaire proposée de la France, de 300 euros et de 100 euros par enfant mineur.

"Beaucoup repartiront"

"Les 'Français' arrivent", titrait jeudi le quotidien Evenimentul Zilei, en soulignant qu'il ne s'agit que d'un énième rapatriement. "Mais en l'absence d'un programme de réinsertion cohérent, beaucoup repartiront", note le journal.

Il s'agit en effet du 25e vol de ce type organisé depuis le début de l'année par Paris qui reconnaît que les personnes renvoyées pourront revenir.

Bucarest et Sofia ayant rejoint l'UE en 2007, leurs ressortissants peuvent en effet entrer en France sans formalité particulière et y rester durant trois mois sans avoir à justifier d'une activité. Au-delà des trois mois, ils doivent avoir un emploi, suivre des études ou justifier de ressources suffisantes.

Fichier biométrique

Pour éviter qu'elles perçoivent de nouveau l'aide au retour, il est prévu à partir de septembre un fichier biométrique. Si elles n'acceptent pas cette aide au retour, alors elles se voient notifier une "obligation de quitter le territoire français", qui leur donne un mois pour partir.

Les Roms seraient 15.000 en France où ils vivent souvent dans des squatts de fortune dans les grandes villes. Certains groupes sont accusés par les autorités de se livrer à divers trafics ou d'exploiter des enfants à des fins de mendicité.

Tensions avec Bucarest

Cette question provoque des tensions entre Paris et Bucarest, le ministre des Affaires étrangères Teodor Baconschi s'étant déclaré inquiet des "risques de dérapage populiste" et de "réactions xénophobes".

Les Roms sont entre 530.000 et 2,5 millions en Roumanie, où "beaucoup souffrent d'une pauvreté structurelle, conséquence d'une combinaison de discrimination et d'un bas niveau d'éducation provoquant un sous-emploi massif", selon Robert Kushen, directeur du Centre européen pour les droits des Roms.

Dans le quotidien Libération, il déplore que "le gouvernement français instrumentalise les Roms pour montrer sa poigne et sa détermination sur les questions de loi et d'ordre", tout en reconnaissant que "tous les pays européens ont programmé des expulsions massives".

Paris a aussi été critiqué à l'ONU sur cette question, et plus généralement sur le lien établi entre immigration et insécurité par Nicolas Sarkozy. Dans un discours virulent sur la sécurité fin juillet, il a notamment indiqué vouloir priver de la nationalité française certains criminels d'origine étrangère.


En Roumanie, «les Roms sont toujours partis avec une chance en moins»

Plus de 200 Roms ont été renvoyés de France jeudi et vendredi: quelques uns en Bulgarie, la grande majorité en Roumanie. Le pays compte la plus forte minorité rom en Europe: 1,8% de la population roumaine se déclare d'ethnie rom, selon le recensement 2002. Dans la réalité, il y aurait 1,5, voire 2 millions de Roms dans le pays.

Pour le moment, les reconduites sont dites «volontaires»: ces rapatriés ont tous accepté l'aide au retour humanitaire (300 euros par adulte, 100 euros par enfant). Les nombreuses Obligations de quitter le territoire français (OQTF) délivrées ces dernières semaines n'ont pas encore été mises en application.

Magda Matache est directrice de Romani Criss, une ONG roumaine de défense des droits fondamentaux des Roms. Elle évoque la situation des Roms qui rentrent en Roumanie.

Jeudi, la France a affrété les premiers vols pour Bucarest, dans lequel ont embarqué des gens qui ont accepté l'aide au retour. Vous avez assisté à leur arrivée?

Oui, nous essayons de collecter des informations sur les conditions dans lesquelles ils ont été expulsés, pour savoir s'il s'agit de retours involontaires, si des pressions ont été subies. Le travail a été rendu difficile par la présence de nombreux journalistes, mais certains ont déclaré avoir subi des pressions, d'autres sont partis parce que leur camp a été détruit.

A quoi peuvent servir les 300 euros donnés par le gouvernement français, dans le cadre de l'aide au retour humanitaire?

Avec 300 euros, on ne peut certainement pas monter une affaire. La France a aussi un programme de financement de petites entreprises économiques, qui consiste en une somme plus conséquente et le montage d'un business plan. Mais ce programme n'a pas pu bénéficier à tous ceux à qui il avait été promis. Je ne crois pas que donner 300 euros aux Roms constitue une solution de long terme. C'est ce sur quoi devraient enfin se pencher les gouvernements français et roumain. En aucun cas, il n'est question avec cette aide de soutenir les Roms. Il s'agit surtout d'une méthode efficace pour les renvoyer dans leur pays! Par ailleurs, un retour dans la communauté d'origine, sans argent et sans possibilité offerte de se réintégrer, je crains que cela ne crée des tensions.

Les Roms ont-ils subi les contrecoups de la chute du communisme? Leur situation s'est-elle au contraire améliorée depuis 1989?

L'histoire des Roms sur le territoire roumain est une histoire tragique. Ils ont été esclaves pendant environ 500 ans, exterminés pendant l'Holocauste, subi une période d'assimilation forcée sous le communisme. Depuis les années 1990, ils vivent dans une jeune démocratie, où des politiques se sont construites pour ces minorités mais n'ont pas été réellement mises en application au niveau local. La Roumanie a connu des périodes de progrès, mais depuis 2007, le gouvernement s'est relâché.

On peut parler de progrès dans le domaine scolaire, dans le sens où le nombre d'enfants roms scolarisés s'est considérablement accru. Le ministère de l'Education a initié des mesures volontaristes, en réservant des places aux enfants roms dans les lycées et les universités. Cela a permis d'accroître considérablement le nombre de diplômés et de créer une élite rom. Mais moins de 10% vont au lycée. Parmi les nombreux motifs, il y a le fait que les lycées ne sont pas situés dans les villages où ils vivent, et leur famille n'a pas les moyens de payer le transport ou un logement sur place. Les Roms sont toujours partis avec une chance en moins par rapport aux autres, en raison de leur pauvreté, de discriminations, etc.

Les Roms ont le statut officiel de minorité en Roumanie. Quels droits cela leur confère-t-il? Sont-ils appliqués?

Parmi les droits obtenus, ceux liés à l'enseignement du romani sont importants. Les enfants peuvent suivre des cours optionnels de langue et d'histoire romani. Dans quelques classes, l'enseignement se fait intégralement en romani. Mais il est difficile d'avoir des professeurs spécialisés dans cette matière.

Les Roms ont aussi, comme les autres minorités ethniques, un représentant au Parlement. Malheureusement, sans trop d'initiatives ni de résultats, ni même de réactions face à la politique menée par la France.

Au niveau local, des Roms s'impliquent. Mais je rappelle qu'on parle d'une population où moins de 10% des enfants vont au lycée. Très peu accèdent à l'université. La participation politique, dans cette situation, devient un desiderata.

Qu'en est-il de l'accès au marché du travail, au système de santé?

En matière de santé, beaucoup de discriminations ont été rapportées: il y a des cas où des femmes enceintes roms ont été hospitalisées dans des chambres séparées des autres femmes. Des médecins de famille refusent de les prendre comme patients. Un nombre assez important de Roms n'ont pas d'assurance maladie parce qu'ils n'ont pas de travail stable. Souvent, ils utilisent seulement les services d'urgence.

Une série de raisons leur empêche l'accès au marché du travail. Un certain nombre d'hommes avaient des métiers traditionnels, artisanaux, qui aujourd'hui ne sont plus rentables ou plus pratiqués. Beaucoup d'hommes travaillent aujourd'hui dans la construction. Souvent, ils n'ont pas de contrat de travail. Dans les villages, la récolte de fruits est très répandue. Mais c'est une activité saisonnière. Et quand les gens sont qualifiés, on leur refuse souvent l'embauche.

Propos recueillis par Elodie Auffray pour Libération