vendredi 7 octobre 2011

«Vol spécial», le grand malentendu

Il y a malentendu quand l’auteur présente son film comme un documentaire et qu’il se défend d’avoir produit un film militant. Ce serait plus honnête de sa part de reconnaître que «Vol spécial» porte une charge délibérée contre un système à ses yeux insupportable.

Vol spécial, le film de Fernand Melgar sur la détention administrative, suscite l’émotion en salles, mais il déchaîne aussi les passions et devient un enjeu politique. Le cinéaste, au nom d’un choix artistique qui lui appartient et qui n’est pas contestable en soi, livre une vision univoque de ces mesures coercitives.

Le procédé consistant à restituer la parole brute des migrants assujettis aux mesures de contrainte en vue de leur refoulement, à l’exclusion d’autres points de vue, est d’une efficacité redoutable. Mais il y a malentendu quand l’auteur présente son film comme un documentaire et qu’il se défend d’avoir produit un film militant. Ce serait plus honnête de sa part de reconnaître que Vol spécial porte une charge délibérée contre un système à ses yeux insupportable. D’ailleurs, les artistes qui viennent de lancer une pétition demandant la fermeture des centres de détention et la fin des vols spéciaux au nom de valeurs humanistes valident, a posteriori, le message militant de Melgar.

Aussi pénible que puisse être le recours à la détention administrative, aussi désagréable est le sentiment d’être sournoisement manipulé. Par petites touches, Vol spécial brosse un tableau impressionniste qui arrache des larmes aux plus sensibles ou ébranle les durs à cuire. Mais, à se focaliser sur des destins individuels restitués de façon sélective, et à ignorer le contexte et les questions de fond, Vol spécial sert-il vraiment la cause de ceux qu’il prétend défendre?

Les Suisses qui ont, en majorité, donné leur accord aux mesures de contrainte n’ont pas tous cédé à un réflexe de xénophobie. Ils n’ont pas donné un chèque en blanc pour une application arbitraire de la détention administrative. Et ils sont fondés à redouter que la non-exécution des renvois, si elle devient la règle, nourrira la xénophobie.

Il faut en revanche reconnaître un mérite à Vol spécial: la détresse et la détermination de certains protagonistes à tout supporter pour éviter leur expulsion renvoient l’Etat à son impuissance. Le degré insupportable de violence requise pour que soit respecté un acte de souveraineté rend celui-ci dérisoire et en affaiblit la légitimité. Surtout quand l’histoire se déroule dans un pays prospère. Depuis deux décennies, la Suisse a créé une machine d’une lourdeur et d’une complexité écrasantes – la détention administrative en est un rouage – pour se protéger de quelques milliers de migrants indésirables alors qu’il existe 20 millions de réfugiés en Afrique. N’est-il pas temps de dédramatiser la migration?

Editorial de François Modoux dans le Temps

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