mardi 7 juin 2011

Kaddafi et l'arme de l'immigration clandestine vers l'Europe

Face à la coalition internationale qui durcit chaque jour ses frappes, le régime Kaddafi n'hésite pas à ouvrir les vannes de l'immigration clandestine vers l'Europe. D'où une recrudescence des naufrages et des disparitions en mer.

Mi-mars, alors que la coalition internationale décidait à l’ONU de la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne en Libye, avec autorisation de bombarder les forces de Mouammar Kaddafi s'attaquant à des civils, le « Guide » menaçait ouvertement l’Europe d’un flot ininterrompu de migrants sur ses côtes. « Vous aurez l’immigration, des milliers de gens qui iront envahir l’Europe depuis la Libye. Et il n’y aura plus personne pour les arrêter », avait-il déclaré.

Depuis plusieurs mois, l’Europe connaît un afflux massif d'Africains sur l’île italienne de Lampedusa, notamment. Plusieurs milliers de migrants y sont arrivés depuis la révolution tunisienne et le début de la crise libyenne en février dernier. Et récemment, de nombreux témoignages ont accusé les autorités libyennes d'organiser elles-mêmes le départ des candidats à l'exil depuis ses côtes. L'objectif de Tripoli serait de faire pression sur la coalition internationale, toujours très sensible aux questions d’immigration pour des raisons évidentes de politique intérieure des États qui la composent.

"Le réfugié n’est pas en sécurité ici"

Selon RFI, des bateaux avec à leur bord plusieurs centaines de personnes partiraient régulièrement « du port de Tripoli mais aussi de Zouara, près de la frontière tunisienne ».  Les migrants viendraient pour la plupart des camps de réfugiés installés en Tunisie. Les humanitaires travaillant au camp de Choucha, à la frontière avec la Libye, « savent que de nombreux réfugiés finissent par retourner en Libye d'où chaque semaine des bateaux de clandestins mettent le cap sur Malte ou Lampedusa ».

« Il y a eu des retours, des gens qui ont quitté le camp vers la Libye. C’est quelque chose qui s’est passé plusieurs fois », raconte sur la radio internationale Hovig Etyemezian, chargé de terrain du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) à Choucha. Pourquoi ces départs ? « Le réfugié… Il en a marre… Il a peur pour sa vie, il n’y a pas de sécurité ici, il essaie de tenter sa chance », assure un Africain installé depuis plusieurs mois dans ce camp qui avait été touché par de violents troubles en mai dernier.

"C’est légal. On ne se cache plus"

repère clandestinsEn Libye, les autorités seraient complices des opérations d'immigration clandestine. À mi-mots, un officier de la marine tunisienne accuse : « Comment imaginer qu'un chalutier chargé d'au moins 700 clandestins comme celui venu s'échouer la semaine dernière au large de Sfax, ait pu partir cinq jours plus tôt de Tripoli sans que personne ne s'en rende compte... »

Interrogés par RFI, des responsables du régime libyen avouent même que « des membres de leur propre famille envoient des bateaux de pêche chargés de clandestins africains sur les côtes italiennes de Lampedusa ». C'est un commerce si lucratif...

Au sein du camp tunisien de Choucha, les réfugiés ne disent pas autre chose. L'un d'entre eux raconte : « Au début, les Libyens restaient à la frontière, et ils avaient des correspondants ici. Souvent, ils étaient somaliens, et ils cherchaient des clients de toute nationalité pour les envoyer hors de la frontière. Maintenant, les Libyens viennent jusqu’ici avec leur voiture, ils embarquent des gens du camp, et ils s’en vont. » « C’est légal. On ne se cache plus. Tout cela est tellement structuré [par les Libyens] que les [réfugiés] n’ont pas peur de quitter le camp », conclut-il.

Facteur incitatif pour les candidats au départ : « le trafic [serait conclu] pour des sommes défiant toute concurrence : entre 50 à 500 euros, soit deux à vingt fois moins chers que les prix habituellement pratiqués pour ces traversées clandestines dont beaucoup ne reviennent jamais », témoignent des réfugiés, pour la plupart ivoiriens ou somaliens venus travailler en Libye avant que le pays ne soit touché par la révolte.

"Complot en sous-main"

Le 13 mai dernier, des soupçons sur la complicité des autorités libyennes avaient déjà été formulés par le Conseil national de transition (CNT), organe politique de la rébellion libyenne. « Le régime de Kaddafi force les réfugiés [d’Afrique sub-saharienne, NDLR] à monter sur des bateaux pour l'Europe dans l'espoir de créer une vague d'immigration qui va déborder les pays européens », avait alors dénoncé le CNT dans un communiqué. Pour Abdel Hafiz Ghoga, vice-président du CNT, « il ne s'agit que d'un complot en sous-main du régime de Kaddafi pour essayer de faire pression sur la communauté internationale et de l'effrayer ».

Afin de faire la lumière sur ce phénomène, le HCR a récemment lancé une enquête dans le camp de Choucha. Mais, comme le note RFI, l’organisme « ne peut rien faire pour le moment », à part distribuer des « papiers » dissuadant de retourner en Libye…

Pauline Tissot dans JeuneAfrique

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Expulsé il y a un an, Ardi Vrenezi en «situation critique»

ardi expulséL'état de santé de l'adolescent kosovar, polyhandicapé, inquiète les associations qui réclament son retour en France.

A la veille de la journée nationale du handicap, mercredi 8 juin, Réseau éducation sans frontières et l'association des paralysés de France sont revenus sur le cas de Ardi Vrenezi, un jeune kosovar polyhandicapé de 15 ans, expulsé du territoire français le 4 mai 2010.

«Je suis allée au Kosovo pour voir Ardi en décembre dernier, (sept mois après son expulsion), a témoigné Isabelle Kiffer, la médecin pédiatre ayant pris en charge l'adolescent lors de sa venue en France. Sa situation est critique. Il est très affaibli, n'arrive plus à manger dix cuillères à soupe sans tousser, est couché sur le sol sans assistance – sauf celle de sa mère – et convulse trois à quatre fois par jour, ce qui ne lui arrivait plus lorsqu'il était soigné en France.»

Décision politique

La France l'a expulsé avec ses parents, son frère et sa sœur trois ans après son arrivée clandestine sur le territoire. Il était alors pris en charge par l’institut d’éducation motrice (IEM) de Freyming-Merlebach (Moselle) à cause d’une leuco-encéphalite – complication de la rougeole. Une maladie qui provoque une détérioration neurologique aiguë engendrant des troubles épileptiques et une déficience motrice.

Le 3 mai 2010, une brigade de la gendarmerie est venue le prendre dans son lit pour l'emmener. Le lendemain, il était dans l'avion direction la capitale kosovare, Pristina. Sa place à l'IEM lui est toujours réservée jusqu'en août 2012.

 






«Une fois la mesure d'expulsion exécutée, il n'y a plus de raison fondée du côté français pour justifier son retour», explique Christophe Pouly, avocat spécialiste du droit des étrangers. Un retour que RESF et l'APF appellent de leurs vœux et dont ils ont fait un combat rejoint par des personnalités telles que Martine Aubry, Eva Joly ou Stéphane Hessel. «Ce n'est plus le produit d'une décision juridique mais politique», a lancé Richard Moyon, porte-parole de RESF.

Il attend aujourd'hui que la France prenne la mesure d'un geste qu'il qualifie d'«inhumain». Un geste qui montre à quel point les «responsables politiques ont occulté un principe fondamental hérité de la fin de la Seconde Guerre mondiale: le respect de la dignité humaine», se désole Me Pouly.

Les associations attendent toujours une réponse à leurs multiples sollicitations.

Mathias Destal dans Libération