mercredi 14 septembre 2011

Geordry, expulsé et en danger au Cameroun à cause d’une fuite de documents suisses

Un Camerounais de 26 ans, renvoyé de Suisse, a été emprisonné à Yaoundé. Il vit aujourd’hui caché. Des documents liés à sa procédure d’asile ont abouti en mains camerounaises. Malaise à Berne.

Il a été expulsé de force et s’est retrouvé quelques mois plus tard en prison. Geordry, un Camerounais de 26 ans, est un des protagonistes du documentaire Vol spécial de Fernand Melgar, tourné dans le centre de détention administrative de Frambois. Aujourd’hui, après cinq mois passés derrière des barreaux camerounais, il vit caché à Yaoundé. Car il craint d’être à nouveau arrêté par la police pour le seul fait d’avoir demandé l’asile en Suisse. Inquiet, Fernand Melgar est intervenu auprès de Simonetta Sommaruga.

Cette affaire met en exergue la problématique des requérants emprisonnés dans leur pays pour avoir tenté de trouver refuge ailleurs (lire ci-dessous). Mais dans le cas de Geordry, l’affaire se corse: des documents confidentiels qui n’auraient jamais dû quitter la Suisse ont été retrouvés au Cameroun. Et c’est sur la base de ces documents que les autorités locales le poursuivent. Explications.

Geordry a déposé une demande d’asile à Vallorbe le 10 avril 2006. Débouté par l’Office fédéral des migrations (ODM), il a été incarcéré le 22 octobre 2009 à Frambois. Le 4 mars 2010 au petit matin, il est expulsé de force, par vol spécial, vers le Cameroun. Ligoté, menotté, avec un casque sur la tête. Le 20 mars, il se rend au commissariat du 16e arrondissement de Yaoundé pour établir une nouvelle carte d’identité. Et c’est là que les ennuis commencent. Il apprend qu’il est recherché. Et que la police détient des documents prouvant qu’il a demandé l’asile en Suisse.

Geordry ne peut pas nier longtemps. Il dit aux policiers qu’il l’a fait «parce que je mourais de faim». Relâché après deux jours, il est à nouveau convoqué le 25 décembre 2010. Ce jour-là, il est emmené de force à la prison Kondengui, où il croupira avec 14 détenus dans une cellule insalubre de 4 m2. Il est libéré le 26 mai 2011, mais dois rester à la disposition de la justice. Le 27 juillet, il reçoit une convocation pour le 3 août, pour «détention de documents douteux». Il panique, craint d’être à nouveau emprisonné. Il ne se rend pas à la convocation et vit depuis caché.

Un rapport de la police camerounaise du 20 mars 2010, que Le Temps a vu, fait état de l’interpellation de Geordry, «détenteur d’un ensemble de documents dont les origines nous paraissent douteuses». La police liste un laissez-passer établi par l’ambassade du Cameroun à Berne, qu’elle considère comme faux, sa fiche signalétique de Frambois avec son numéro d’écrou et son «titre de séjour VD 4211445», en fait son livret N de requérant d’asile. Le rapport mentionne aussi le PV d’une audition menée par l’ODM. «C’est faux», assure Geordry, joint par téléphone. «Ils ne sont pas venus m’arrêter, c’est moi qui suis allé au poste de police pour ma carte d’identité. Et c’est eux qui avaient les documents. Je n’avais que le laissez-passer. Ils m’ont montré ce jour-là ma carte d’écrou de Frambois. En voyant ça, je suis tombé dans les pommes. Plus tard, j’ai appris qu’ils avaient d’autres documents.»

Des documents qui, quoi qu’il en soit, n’auraient jamais dû se retrouver au Cameroun. Seule la présence du laissez-passer est justifiée: il s’agit du document dont l’ODM a besoin pour livrer les expulsés de vols spéciaux aux autorités locales. Geordry l’a reçu à l’aéroport. Il affirme n’avoir jamais eu les autres documents. Celui de Frambois est un document interne. Et son permis N, il l’avait déposé au Service de la population vaudois (SPOP) avant son arrestation pour Frambois.

Interrogé, l’ODM assure que les Etats d’origine «ne reçoivent, de la part des autorités suisses, aucune information sur le fait que la personne renvoyée a suivi une procédure d’asile en Suisse.» «Il n’y a aucun échange de documents concernant la procédure. Lors des renvois forcés, ce sont les autorités cantonales qui contrôlent que les personnes renvoyées ne sont pas en possession des documents de procédure d’asile», précise le porte-parole Michael Glauser.

En d’autres termes: Geordry ne pouvait pas avoir sur lui ces documents, dont Le Temps a pu voir des photocopies. Le fait qu’ils proviennent à la fois de l’ODM, de Frambois et du SPOP est troublant. Jean-Michel Claude, le directeur de Frambois, ne cache pas son malaise à propos du bulletin d’écrou. «C’est un document interne. Les requérants n’y ont pas accès», confirme-t-il. «Avant leur expulsion, ils sont à la fois fouillés par notre personnel et par la police pour être sûr qu’ils n’ont aucun document sur eux». Jean-Michel Claude précise surtout que ce document était avant transmis à la police «à des fins d’identification» des expulsés. «Mais depuis que cette fuite nous a été signalée à propos de Geordry, nous avons changé de pratique. Et nous ne transmettons plus ces documents à la police», admet-il du bout des lèvres.

Du côté du SPOP, Erich Dürst, chef de la division asile, confirme que le permis N est retiré aux requérants lorsqu’une décision de rejet et de renvoi entre en force et devient exécutoire. Et qu’il n’est «jamais transmis» aux autorités du pays d’origine. Mais dans le cas de Geordry, il dit «ne pas être en mesure de confirmer que l’intéressé aurait remis son permis N échu aux autorités cantonales.»

Pour Fernand Melgar, la situation est grave: «Geordry est en danger. La Suisse doit le protéger». Il a été le voir avec son équipe en juin à Yaoundé. Geordry a raconté les tortures subies en prison pour avoir «sali l’image de son pays à l’étranger.». Et pour qu’il avoue ses motifs d’asile. «Il a de nombreuses séquelles physiques et psychologiques», commente le cinéaste.

Le 2 août, le Service d’aide juridique aux exilés a demandé à l’ODM de l’autoriser d’entrer en Suisse «pour la conduite de la procédure d’asile ordinaire». L’Office, qui d’habitude ne s’exprime pas sur des cas particuliers, précise qu’une enquête, à laquelle participe l’ambassade de Suisse au Cameroun, a été lancée. En attendant, Geordry vit toujours dans la peur. «J’essaie de tenir le coup. Mais c’est dur», dit-il.

Valérie de Graffenried dans le Temps

Les amendes contre les Roms se sont multipliées

Sanctionnés pour camping sur la voie publique, plusieurs Roms font opposition.

«Nous ne sommes ni des criminels, ni des voleurs. Nous voulons que la police nous respecte!» Pour les Roms présents à Lausanne, les nuits n’ont pas été de tout repos durant l’été. Au motif qu’ils dormaient dans leur véhicule, les interpellations suivies d’amendes pour camping sur la voie publique se sont multipliées: on compte plus d’une centaine de contraventions entre juin et août.
Des sanctions qu’ils ont décidé de contester, soutenus par l’association Opre Rrom. Onze d’entre eux recouraient hier devant la commission de police, pour une série d’amendes allant de 120 à 190 francs. Car dormir dans une voiture ou dans un parc n’est pas interdit sur le territoire lausannois, rappelle leur avocat, Me Jean-Michel Dolivo. Ce dernier s’insurge aussi contre le fait que les amendes leur sont notifiées sans traduction.

«Cette politique répressive s’inscrit dans une longue histoire de persécution et de discrimination des gens du voyage», considère-t-il. «Ils vivent dans une telle insécurité qu’ils me demandent souvent: «Quand va-t-on être déporté?», raconte de son côté Véra Tchérémissinoff, coordinatrice d’Opre Rrom.
Présent dans les couloirs de la commission, le sergent Gilbert Glassey estime que ce qui est en cause, «ce n’est pas le fait d’aller dormir un soir au bord du lac, mais de s’installer au même endroit pendant une semaine». Ce qui est dénoncé comme installation de camping sur la rue, c’est aussi l’utilisation de bonbonnes à gaz et autres équipements de cuisine, explique le «Monsieur Roms» de la police municipale. Le verdict de la commission de police est attendu d’ici une dizaine de jours.

Vu le manque de places dans les structures d’hébergement d’urgence, les Roms demandent  la mise à disposition d’un emplacement, en échange de quoi ils seraient prêts à s’acquitter de quelques francs de «loyer» par personne et par nuit. Une revendication que soutien Opre Rrom. «Il ne s’agit pas de créer un ghetto, mais de permettre aux Roms de vivre avec l’assurance d’avoir un endroit pour passer la nuit», précise Véra Tchérémissinoff.

Arnaud Crevoisier dans le Courrier