mercredi 3 mars 2010

Migrantes maltraitées: se taire ou être expulsées

Une femme d'origine éthiopienne est menacée d'expulsion pour s'être séparée de son mari violent. Le collectif féministe Sorcières en colère a dénoncé hier en conférence de presse l'attitude inflexible du Conseil d'Etat vaudois. Faisant fi de la volonté du Grand Conseil, le gouvernement refuse de régulariser Genet Douno, une Ethiopienne établie en Suisse depuis dix ans. Un article de Michaël Rodriguez dans le Courrier.

En septembre dernier, le Grand Conseil avait apporté son soutien à une pétition lancée par les Sorcières en colère. Ce texte, pourvu de près de 1400 signatures, demandait au canton de réexaminer la situation de Genet Douno. Le Service vaudois de la population avait refusé de renouveler son permis de séjour parce qu'elle ne faisait plus ménage commun avec son mari. Une séparation qui faisait suite à des épisodes de violence conjugale.

Dans sa réponse, le Conseil d'Etat estime que «les violences alléguées n'ont pas été prouvées». Mais le collectif affirme qu'un certificat médical et un rapport de police sont des indices suffisants de maltraitance. «A l'heure actuelle, les femmes migrantes victimes de violences conjugales ne sont pas protégées», déplore Karine Clerc, membre du collectif. En réponse à un postulat de la députée socialiste Fabienne Freymond Cantone, le Conseil d'Etat avait pourtant affiché sa volonté de mieux tenir compte de cette problématique.
La position du gouvernement mécontente aussi la Commission des pétitions du Grand Conseil. Dans une lettre signée par tous ses membres sauf un, elle demande au Conseil d'Etat de reconsidérer sa réponse.

La ville évite le débat sur les sans-papiers

La droite voulait des explications sur le projet municipal d’engager des apprentis sans papiers. La Municipalité a choisi de repousser ses réponses.

Ça a chauffé à l’Hôtel de Ville, hier soir. Pendant que les manifestants s’excitaient sur la place de la Palud (lire ci-dessous), les élus se sont emportés à l’intérieur de la salle du Conseil communal. Dès le début de la séance, le président a annoncé le refus du bureau d’accorder toute urgence aux deux interpellations déposées par la droite, le préavis étant déjà aux mains d’une commission pour traitement. De quoi énerver l’UDC et le PLR. Les deux partis souhaitaient obtenir des éclaircissements sur le «pari de l’illégalité» lancé publiquement par le municipal socialiste Oscar Tosato et l’exécutif lausannois, décidés à ouvrir les portes de l’administration aux jeunes étrangers en situation irrégulière.

«C’est une arrogance crasse et un abus de démocratie, s’est insurgé l’agrarien Claude-Alain Voiblet tout en déposant une motion d’ordre afin de réclamer à l’assemblée de valider l’urgence. Il est inadmissible de nous refuser la parole alors que le Grand Conseil a déjà pu en débattre.» Le libéral-radical Mathieu Blanc lui a immédiatement emboîté le pas. Enjoignant la gauche majoritaire d’accepter d’ouvrir immédiatement une discussion sur un projet municipal controversé. Au moment du vote, 64 voix ont validé la proposition de la droite, contre 18 non et 2 abstentions.

Plus tard – les urgences arrivées à l’ordre du jour –, la Municipalité a toutefois botté en touche. Elle a joué du règlement, qui lui permet de potasser ses réponses pendant deux semaines, avant de formuler ses explications. Préférant sans doute attendre que les Chambres fédérales se soient positionnées, aujourd’hui même, sur le dossier chaud de la formation des jeunes sans-papiers. Selon toute vraisemblance, l’exécutif pourra même éviter toute confrontation jusqu’au 13 avril, après Pâques. L’interpellation de l’UDC réclamait en effet, entre autres, des éléments statistiques sur les places d’apprentissage et les clandestins, des «éléments qu’il faut du temps pour réunir», a justifié Daniel Brélaz.

GÉRALD CORDONIER dans 24 Heures

Fumigène et lancers d’œufs devant l’Hôtel de Ville

En marge des discussions du plénum sur la proposition lausannoise d’ouvrir ses places d’apprentissage aux sans-papiers, les jeunes UDC et de nombreux représentants de l’extrême gauche se sont opposés sur la place de la Palud.

manifestation lausanne sans-papiers

Sifflets, banderoles, lancers d’œufs, fumigène, policiers anti-émeute. Avant que le sujet ne soit empoigné par les conseillers communaux (lire ci-dessus), c’est dans la rue que la proposition lausannoise d’ouvrir ses places d’apprentissage aux sans-papiers a fait grand bruit.

Une demi-heure avant les débats, les jeunes UDC se sont en effet rassemblés devant l’Hôtel de Ville afin de marquer leur désaccord avec la décision municipale.

En réaction, des représentants d’extrême gauche – une soixantaine selon les estimations – se sont rassemblés sur la place de la Palud. Sans compter une dizaine de policiers.

Si la jeunesse UDC lausannoise n’a pu mobiliser qu’une dizaine de membres, selon sa présidente, Elodie Leviat, de nombreux élus du parti agrarien ont fait le déplacement, à l’instar du conseiller national neuchâtelois Yvan Perrin. «Pour marquer mon désaccord avec la proposition de la ville de Lausanne, mais aussi mon soutien envers cette toute jeune section jeunesse de notre parti.» Parmi les pancartes brandies de ce côté de la place: «Contrôler l’immigration = régler le problème» ou «Virer la Muni pour l’avenir de Lausanne».

Dès que Kevin Grangier, président des jeunes UDC, tente de parler dans le mégaphone, des sifflets et des cris couvrent ses propos. Seul un «Tosato, démission» est audible malgré le brouhaha. En face, les «antifa» (pour antifascistes) lancent quatre œufs sur les «jeunes» UDC, puis un fumigène.

En réaction, la police anti-émeute débarque rapidement et en force sur la place. Trente-cinq minutes après le début du rassemblement, les jeunes UDC lèvent le camp. De l’autre côté, une partie des contre-manifestants se déplacent sur la place Pépinet, avant de se disperser.

JULIEN PIDOUX dans 24 Heures

L’épreuve des apprentis clandestins

En voulant offrir des apprentissages à des adolescents sans papiers, l’exécutif lausannois a médiatisé un vrai problème, mais a-t-il fait avancer la recherche d’une solution satisfaisante? Rien n’est moins sûr.

La scolarisation d’enfants de couples vivant en Suisse sans autorisation de séjour a fini par s’imposer partout, sans que la Suisse ait à le regretter. En bonne logique, les filières gymnasiales et universitaires ont aussi été ouvertes aux jeunes sans papiers. Mais ce n’est pas le cas de la formation professionnelle qui suppose un contrat de travail, ce que la loi sur les étrangers interdit. Cette discrimination bouche l’horizon d’adolescents qui, quand ils sont nés en Suisse ou y vivent depuis une dizaine d’années, ont une légitimité à vouloir y construire leur avenir. Ces mineurs ne sont pas responsables de leur statut illégal. Il est donc injuste et indigne de les punir et de les contraindre à l’oisiveté et à la marginalité.

Mais que penser d’un Etat qui vote des lois sans les appliquer ou en les appliquant à son bon vouloir? L’existence d’enfants dans un ménage sans papiers signale le couple à l’autorité, qui a pour habitude de fermer les yeux. Les parents survivent grâce à une ou plusieurs activités rémunérées en violation de la loi sur le travail. Ainsi commence la complicité coupable de l’Etat dans une Suisse qui a pourtant plusieurs fois durci ses lois sur les étrangers et sur l’asile, qui exclut d’assouplir les conditions de régularisation et qui refuse d’admettre que le simple exercice durable d’un travail rémunérateur puisse ouvrir la voie au permis de travail.

Or c’est bien cette politique intransigeante qui se révèle intenable. L’expérience montre que les personnes en situation grise – l’illégalité tolérée – se multiplient. Les renvois, impopulaires sauf quand ils visent des délinquants, sont pratiqués à géométrie variable. Les institutions censées garantir le respect de l’Etat de droit délivrent des messages ambigus. Cette dangereuse incohérence renforce l’hypocrisie collective tout en entretenant l’espoir fragile de celles et ceux qui, par leur intégration irréprochable bien que souterraine, mériteraient d’obtenir un statut qu’aucune autorité ne peut toutefois leur promettre.

Lausanne a défié la Confédération en repoussant les limites des contradictions que peut supporter l’Etat. Mais elle l’a fait sans chercher à forger une alliance qui donnerait une réelle chance à une solution équitable, forcément nationale.

Le Temps, éditorial de François Modoux

Quelle issue pour les jeunes sans-papiers en quête d’une formation ?

Le débat sur l’apprentissage des mineurs sans statut légal, relancé par Lausanne, débarque au Conseil national. Au-delà des symboles et des polémiques, la question reste entière. Un article de Marco Danesi dans le Temps.

La municipalité de Lausanne est prête à engager des apprentis sans papiers. La proposition de la Ville a allumé la polémique dans le canton de Vaud. Mais la question de la formation post-obligatoire des jeunes dépourvus d’autorisation de séjour gagne le pays tout entier. Communes et cantons (dont Zurich, Bâle, Genève et son «chèque apprentissage» assurant la couverture sociale des mineurs en formation) ont lancé des initiatives sollicitant des solutions. Dix ans après une première offensive en faveur des adolescents sans statut légal, le Conseil national va à nouveau se pencher sur le droit à la formation pour ces jeunes, souvent nés en Suisse, scolarisés et intégrés. Le problème refait surface, en révélant à nouveau toutes ses contradictions. Au-delà des déclarations de principe et des passes d’armes oratoires, comment sortir de l’impasse?

Changer la législation

C’est la voie la plus ardue. Le droit fédéral interdit l’apprentissage aux adolescents clandestins. Qui dit apprentissage dit contrat de travail. Et tout contrat de travail exige des papiers. Trois motions seront traitées ce mercredi au Conseil national. Toutes, avec des accents différents, demandent une modification législative en faveur des jeunes sans statut légal. Le Conseil fédéral a d’ores et déjà proposé de les classer. La loi sur les étrangers montre le chemin à suivre: des régularisations cas par cas.

Difficile alors de trouver une majorité aux Chambres fédérales disposée à faire le pas, malgré l’engagement de quelques députés de droite. Surtout si les initiatives se succèdent sans véritable concertation.

Les syndicats et la gauche, pour contourner la difficulté, évoquent la possibilité de considérer l’apprentissage exclusivement sous l’angle de la formation. Il échapperait ainsi aux foudres de la loi sur le travail.

Autre piste à explorer: faciliter l’accès des mineurs sans papiers aux écoles professionnelles, comme cela se pratique à Genève. Les cantons disposent de la latitude nécessaire pour en décider les modalités.

Le droit supérieur

C’est l’éternel conflit. En théorie, les lois internationales priment sur les législations nationales. Dans l’affaire des jeunes sans-papiers, une convention planétaire, signée par la Suisse, garantit aux mineurs du monde entier un droit à la formation. La municipalité de Lausanne a invoqué ce texte. Le collège, à large majorité de gauche – le seul élu de droite à l’exécutif s’est abstenu au moment de l’adoption du préavis – a voulu souligner littéralement et symboliquement les frictions entre les deux couches légales.

Philippe Leuba, le conseiller d’Etat responsable de l’Intérieur, parmi les premiers pourfendeurs de la capitale vaudoise, a exigé un avis de droit. Le Conseil d’Etat doit en débattre ce mercredi.

Or, si les lois sur le travail et sur les étrangers ne peuvent que condamner la Ville, la Constitution fédérale autant que la Charte cantonale vaudoise affirment l’opportunité de respecter le droit supérieur. Du coup, l’illégalité dénoncée par les ennemis du travail au noir, par les chasseurs de clandestins semble moins indiscutable. Comme le suggère un juriste, c’est beaucoup plus gris que noir et blanc. Finalement, il faudrait une infraction concrète pour susciter le jugement d’un tribunal, et donc une jurisprudence.

Illégalité?

Le préavis lausannois a déclenché des réactions nourries. C’est que le «pari de l’illégalité» de l’exécutif a choqué. Toutefois, la proposition doit être encore discutée par le Conseil communal et elle doit résister à un éventuel référendum, promis par l’UDC si le document était adopté par le législatif de la Ville.

En outre, les sanctions évoquées à plusieurs reprises par ­Philippe Leuba suscitent la perplexité. Si le gouvernement est bel et bien l’organe de surveillance des communes, on voit mal en revanche comment l’autorité cantonale pourrait intervenir.

Finalement, le préavis évoque la nécessité de procéder de concert avec le canton. Une résolution votée par la majorité des députés, tout en demandant au Conseil d’Etat de défendre le droit à une formation auprès de la Confédération comme le lui enjoint une initiative adoptée en novembre 2009, ne souhaite pas autre chose: que le Château et la place de la Palud se parlent.

Les régularisations

Entre ceux qui réclament une solution globale et les partisans du renvoi, la législation actuelle laisse une marge de manœuvre aux pragmatiques. Il existe en effet la voie des cas dits de rigueur. Les jeunes sans-papiers aux études pourraient aspirer à ce traitement. C’est le chemin qui est suggéré par les collectifs de soutien comme par le patronat. Ainsi, chaque jeune clandestin en formation pourrait bénéficier, à certaines conditions, d’une autorisation de séjour. Apprentis ou gymnasiens, tous auraient l’opportunité de quitter les limbes de la société, par-dessus la discrimination que l’on déplore de nos jours entre les deux filières – la première interdite, la deuxième tolérée.

Ouverture vers les jeunes sans-papiers au National

C’est une surprise. A sa grande «fierté», le National a accepté ce matin la motion de Luc Barthassat (PDC/GE) demandant que les jeunes sans-papiers ayant effectué leur scolarité puissent avoir accès à l’apprentissage. Un article de Valérie de Graffenried dans le Temps.

Ce vote par 93 voix contre 85 et 8 abstentions ouvre une brèche intéressante. Et rompt avec ce que même des parlementaires de droite, dont Peter Malama (PLR/BS), directeur de l’Association des arts et métiers de Bâle-Ville, qualifient de situation hypocrite, incohérente et discriminatoire: les jeunes sans-papiers peuvent actuellement suivre une scolarité normale, les filières gymnasiales et universitaires, mais ne peuvent pas avoir accès à une formation professionnelle, qui suppose une contrat de travail. Le débat agite depuis plusieurs jours le canton de Vaud.

Une motion d’Antonio Hogers (Verts/GE), traitée quelques minutes plus tard, a eu un encore plus franc succès: elle a été adoptée par 108 voix contre 70. Outre l’accès à tout type de formation pour les sans-papiers, le Vert demande qu’ils soient formellement reconnus à leur naissance. Christian van Singer (Verts/VD) n’a lui pas pu arborer le sourire du vainqueur. Sa motion a été rejetée par 101 voix contre 72. Car il demandait également que les jeunes sans statut légal soient autorisés, au terme d’une formation réussie, à déposer une demande de permis d’établissement, «toutes les années de scolarité et de formation étant prises en compte». Une porte que la majorité bourgeoise n’a pas voulu ouvrir.

La fierté de Luc Barthassat

«Je suis heureux et fier. D’autant plus qu’on travaille depuis un certain temps sur cette question à Genève. Voilà qui permettra de résoudre le problème des jeunes sans-papiers qui, une fois leur scolarité terminée, traînent dans les rues et peuvent être tentés par la petite délinquance et toutes sortes de trafics, faute de pouvoir faire un apprentissage. Ce sont de petites «bombes à retardement», qui peuvent coûter cher à la Confédération. Mieux vaut donc les former. On met ainsi fin à une certaine hypocrisie.

Régulariser ces jeunes? Je ne suis pas pour une normalisation collective de leur statut. Mais pour régulariser ceux qui sont là depuis un certain laps de temps, oui. Une troisième génération de sans-papiers est déjà en train d’apparaître. Il était temps de trouver une solution sur le plan national»

Lire également cet article du Matin Le National soutient l'apprentissage pour les sans-papiers

Le coup d’éclat légitime de la Ville de Lausanne

Avec son annonce, l'exécutif lausannois cherche à créer un rapport de forces pour faire évoluer la loi. Un article de Michaël Rodriguez dans le Courrier.
Des édiles qui «violent sciemment la loi», font régner «l'anarchie», et «menacent les fondements de la paix sociale»! La droite vaudoise a fait preuve d'une grande créativité dans les anathèmes jetés contre le gouvernement de la Ville de Lausanne, qui présentait il y a deux semaines un projet visant à ouvrir ses places d'apprentissage à des jeunes sans papiers. Tout ce que le microcosme politique compte de flics s'est mis aussitôt à gesticuler, à brandir des interpellations urgentes en guise de contraventions, à convoquer par le discours des armées d'inspecteurs du travail. Le ministre de l'Intérieur Philippe Leuba s'est rué sur ses tables de la loi et en a tiré triomphalement la conclusion que la proposition lausannoise est «illégale». Ces chevaliers de la pureté juridique avaient juste un temps d'avance – la Ville de Lausanne n'a pour l'heure engagé aucun apprenti sans papiers, elle en a simplement annoncé l'intention – et deux coups de retard: la stratégie de l'exécutif communal, au fond, ne vise pas à «violer la loi» mais à créer un rapport de forces sur la scène politique en vue d'une modification du cadre légal. Ce n'est pas un hasard si cette annonce a été faite à l'approche d'un débat qui se tient aujourd'hui même aux Chambres fédérales sur plusieurs motions demandant d'ouvrir aux sans-papiers l'accès à la formation professionnelle. Plusieurs conseillers nationaux radicaux, libéraux et démocrates-chrétiens soutiennent d'ailleurs ces propositions; l'une d'entre elles émane même d'un PDC genevois, Luc Barthassat.
Mais le Conseil fédéral ne veut pas en entendre parler, et répète pour la énième fois la même antienne: point de salut pour les sans-papiers en dehors d'une demande de régularisation humanitaire. C'est là une sinistre plaisanterie. La pratique des autorités fédérales est si sévère – plus même que la loi – que les clandestins ne se risquent tout simplement plus à déposer une demande par peur d'être expulsés. En 2009, ils étaient neuf à obtenir un permis humanitaire dans le canton de Vaud...
La Ville de Lausanne tente donc de restituer à une problématique le caractère d'urgence que les autorités fédérales, peu touchées par les effets de leur propre politique, lui dénient. En tant qu'échelon du pouvoir le plus proche des réalités sociales quotidiennes, une commune est parfaitement légitimée à le faire. La démarche lausannoise est un acte politique. Cela peut paraître évident, ça ne l'est pas. C'est même assez rare pour être souligné. Et qu'on ne vienne pas dire que la Municipalité aurait dû se contenter d'envoyer bien sagement un courrier au Conseil fédéral pour le supplier de changer d'avis. Ce n'est pas comme s'il suffisait de demander les choses gentiment.
La question de savoir si la stratégie s'avérera gagnante, et dans quelle mesure, reste bien entendu ouverte. Mais accuser les autorités lausannoises d'«amateurisme», comme l'a fait le quotidien de la place, n'a tout simplement pas de sens et révèle une singulière méconnaissance de l'art de la politique. Il faut vraiment vouloir regarder le doigt alors que l'on vous montre la lune. L'exécutif savait parfaitement ce qu'il faisait. Et à ce stade, il apparaît qu'il a bien joué en faisant ce pari. Au Grand Conseil vaudois, la résolution comminatoire de la droite a été rejetée, au profit d'une résolution socialiste demandant au canton d'appuyer la revendication lausannoise par la voie légale. Le coup politique de la ville a été répercuté par les médias de toute la Suisse, et même en France, permettant d'arracher la situation des sans-papiers à l'ombre dans laquelle les autorités la maintiennent.
Car le gouvernement de la Ville pose une question de fond, une question intempestive et nécessaire. Est-il socialement acceptable, est-il juridiquement défendable, au regard de la Convention internationale sur les droits de l'enfant, de priver des jeunes du droit à la formation pour le seul motif que leurs parents sont venus clandestinement en Suisse? Peut-on condamner un être humain – qui plus est un enfant – au néant social juste parce qu'il ne figure dans aucune des catégories administratives?
Une partie de la question ne devrait décemment même pas se poser. Il ne devrait pas y avoir d'être humain né ici et dépourvu de papiers. La naissance n'est ni légale ni illégale. On ne peut pas naître quelque part sans avoir le droit d'y être. De même qu'un pays ne devrait pas, sauf à se définir comme une dictature, pouvoir emprisonner un innocent durant deux ans pour des raisons purement administratives, ou considérer comme un délit pénal le fait de vivre avec un sans-papiers. Ce sont là quelques-unes des ignominies suisses qu'il s'agit de combattre, ne serait-ce qu'au nom de l'Etat de droit.
Mais dans ce débat comme en d'autres occasions, ceux qui se réclament le plus énergiquement de l'«Etat de droit» se situent précisément dans le camp de ses fossoyeurs. De ceux qui font du droit des étrangers un laboratoire de la démolition des droits fondamentaux, une sorte d'anti-constitution parallèle qui pose les bases d'un territoire immatériel, à l'intérieur du pays, où reléguer certains individus pour les faire virtuellement disparaître.
Note : Article publié initialement sur www.courant-d-idees.com

Le National soutient l’apprentissage pour les jeunes sans-papiers

Le Conseil national a ouvert une brèche en faveur de l'apprentissage pour les jeunes sans-papiers. Alors que cette question occupe le canton de Vaud, la Chambre du peuple a accepté, par 93 voix contre 85 et 8 abstentions, une motion en ce sens de Luc Barthassat (PDC/GE)

Les jeunes étrangers sans statut légal en Suisse peuvent suivre l'école, mais les choses se corsent lorsqu'ils veulent suivre une formation professionnelle. Il leur est impossible d'entamer un apprentissage ou des stages vu leur absence de papiers.

"Il est temps de mettre fin à cette hypocrisie", a fait valoir Luc Barthassat à la tribune. Et de pronostiquer que "ces jeunes nous coûteront beaucoup plus cher dans la rue qu'en apprentissage."

Son texte a passé la rampe grâce à quelques voix de droite, suscitant des applaudissements dans l'hémicycle.

(ats)

Les apprentis sans-papiers font leur entrée aujourd’hui à Berne

Alors que l’accès à l’apprentissage des sans-papiers enflamme les Vaudois, le Conseil national s’empare du sujet. la proposition de la ville de Lausanne est diversement appréciée …

Un article de Martine Clerc, Berne, pour 24 Heures

apprentis clandestins National

En décidant d’engager des apprentis clandestins, Lausanne a allumé une mèche qui n’est pas près de s’éteindre dans la classe politique vaudoise. Et le débat s’étend à Berne. Ce matin, le Conseil national traitera de la question lors d’une session extraordinaire sur la migration. Trois motions dans ce sens seront débattues parmi une centaine d’autres. Leurs auteurs: deux Verts – Antonio Hodgers (GE) et Christian van Singer (VD) – et un démocrate-chrétien, Luc Barthassat (GE), soutenus par la gauche et par certains libéraux-radicaux (lire ci-contre l’interview de Peter Malama, patron de l’Association des arts et métiers de Bâle-Ville).

Une question fédérale
La décision explosive de l’exécutif lausannois? A saluer, selon eux, car elle permet de (re)lancer le débat. «Mais c’est au niveau fédéral que doit être réglée cette question, qui dépasse le clivage gauche-droite», affirment ces élus de tous bords. La question est aussi débattue dans onze cantons. Le Grand Conseil de Bâle-Ville et la commune de Zurich sont favorables. Reste que le sujet n’est pas brûlant sous la Coupole: «Ce n’est tout simplement pas un sujet politique pour beaucoup d’élus alémaniques», note Christophe Darbellay, président du PDC, qui votera oui à la proposition de Luc Barthassat demandant que l’apprentissage soit autorisé aux seuls sans-papiers ayant effectué leur scolarité en Suisse.

Quant à la décision de Lausanne, pas sûr qu’elle serve la cause: «Ce geste spectaculaire d’une ville prête à violer la loi pourrait au contraire faire pencher les indécis vers le non», estime Martine Brunschwig-Graf (PLR/GE), qui soutiendra aussi la motion Barthassat.


INTERVIEW EXPRESS
PETER MALAMA CONSEILLER NATIONAL LIBÉRAL-RADICAL BÂLOIS ET DIRECTEUR DE L’ASSOCIATION DES ARTS ET MÉTIERS DE BÂLE-VILLE

«La décision de la ville de Lausanne est un signal important que les entrepreneurs devraient soutenir»

– Depuis deux ans, dans le canton de Bâle-Ville, vous défendez l’accès des jeunes sans-papiers à l’apprentissage. Vos raisons?
– Je représente les patrons de milliers de PME, et beaucoup d’entre eux souhaitent engager des apprentis sans statut légal. Certains sont venus me voir pour que nous trouvions une solution. Car ces jeunes, pour la plupart, sont très motivés, loyaux et durs au travail.

– Pouvoir suivre un apprentissage avec un contrat de travail, n’est-ce pas le premier pas vers une régularisation?
– Soyons clairs, je ne demande pas la régularisation collective des sans-papiers. Mais être titulaire d’un CFC devrait, selon moi, être un argument favorable lorsqu’un jeune demandera sa régularisation. Si la réponse est négative, il devra toutefois la respecter. Et avec un CFC en poche, il sera de toute façon mieux armé pour rebondir dans son pays d’origine.

– Comment jugez-vous la décision de la ville de Lausanne?
– C’est un signal important qui montre que nous devons chercher une solution au niveau fédéral. Les cantons urbains comme Genève, Vaud, Bâle et en partie Zurich ont tous les mêmes problèmes. Même si les motions dont nous discuterons demain (ndlr: aujourd’hui) ont été déposées avant la décision de l’exécutif lausannois, cette dernière relance le débat à Berne.

– Le Centre patronal vaudois juge pourtant la décision lausannoise choquante et inadmissible, car elle encouragerait le travail au noir…
– Ce n’est pas mon point de vue ni celui de nombreux patrons de mon canton. C’est la situation actuelle qui peut pousser des jeunes clandestins à disparaître, vers 15-16 ans, des radars. Avec le risque de tomber dans des petits délits, d’engendrer des coûts pour la collectivité en termes de justice ou, justement, d’opter pour le travail au noir. Les entrepreneurs ont le droit de se battre pour faire baisser les impôts ou pour encourager la libre entreprise, mais, en contrepartie, ils doivent être prêts à prendre leurs responsabilités sociales. La question de l’accès à la formation professionnelle des jeunes clandestins en fait partie. Les patrons devraient soutenir la position de la ville de Lausanne

– Votre position n’est de loin pas partagée par l’ensemble des libéraux-radicaux. Vous seriez-vous trompé de parti?
– Absolument pas, je ne vais pas prendre ma carte du PS! (Rires.) Je suis minoritaire, c’est clair. La droite estime que ces gens, en Suisse illégalement, devraient immédiatement quitter le pays. C’est facile à dire, mais les faits sont là, et il faut trouver une solution pragmatique. Je défends, avec mon parti, une économie forte. Mais avec des responsabilités.

– Que dites-vous à ceux qui craignent de voir les places d’apprentissage échapper aux jeunes établis légalement en Suisse?
– A Bâle, il y a suffisamment de places.

– Permettre à des jeunes sans-papiers d’effectuer une formation complète en Suisse, n’est-ce pas prendre le risque d’attirer un flux supplémentaire de migrants?
– Pas davantage qu’aujourd’hui. Les clandestins peuvent déjà suivre ici une scolarité complète, jusqu’à l’université. Et n’oublions pas que la Suisse n’est pas le seul pays à avoir ratifié la Convention des droits de l’enfant, qui garantit que chaque mineur a droit à l’éducation. Ne faisons pas payer aux enfants de sans-papiers le choix de leurs parents.