lundi 3 août 2009

Blamons les réfugiés (Canada)

Ottawa a pris au mois de juillet, en l'espace d'une semaine, une série de décisions qui affectent radicalement le sort des demandeurs d'asile qui viennent, en toute bonne foi, frapper à la porte du Canada pour y trouver refuge. Ces nouvelles mesures ont le tort de laisser entendre que le système d'accueil canadien est inondé d'abuseurs.


La décision la plus médiatisée du gouvernement Harper a été d'imposer, à la mi-juillet, des visas aux voyageurs en provenance du Mexique et de la République tchèque dans le but d'endiguer la flambée de demandeurs d'asile. Décision maladroite, en particulier à l'égard des touristes mexicains qui viennent l'été visiter le Canada par milliers. Non pas que la mesure visant à freiner l'arrivée en nombre croissant de Roms tchèques ne fasse pas également sourciller: un rapport de la Commission canadienne de l'immigration et du statut de réfugié, rendu public lundi dernier, conclut clairement à la persécution de cette minorité...

Moins polémique, parce que beaucoup plus complexe, a été la décision fédérale, annoncée il y a une dizaine de jours, de lever le moratoire sur les renvois de ressortissants venus ici en provenance du Burundi, du Rwanda et du Liberia, au prétexte que la situation dans leur pays est redevenue raisonnablement sûre. La mesure affecterait à l'échelle canadienne environ 2000 personnes, dont quelques centaines au Québec.

Dans le même souffle, Ottawa annonçait aussi ce jour-là que les ressortissants de l'Afghanistan, de la République démocratique du Congo, de l'Irak, du Zimbabwe et d'Haïti ne pourraient plus dorénavant faire une demande d'asile en arrivant par voie terrestre à la frontière canadienne, ce que leur permettait jusque-là une exception à l'entente canado-américaine sur les tiers pays sûrs, un accord de collaboration migratoire dont la Cour fédérale du Canada a jugé en 2007 qu'il violait les droits des réfugiés, vu les faiblesses du système d'asile américain. Les Haïtiens sont, de très loin, les premiers touchés par la levée de cette exemption, annoncée au moment précis où 30 000 réfugiés haïtiens vivant en Floride sont menacés d'expulsion par Washington.

Jason Kenny, ministre de l'Immigration, a justifié très populistement l'ensemble de ces mesures en affirmant qu'il fallait rénover le système d'accueil canadien afin de bloquer la route à tous ceux qui abusent de la générosité du Canada en faisant de fausses déclarations de persécution. Il promet pour bientôt une réforme -- ce qui est inquiétant. Car on soupçonne cette promesse de réforme d'être moins destinée à rendre le système plus intelligent qu'à trouver -- sur le dos des réfugiés -- un palliatif aux problèmes que vit la Commission de l'immigration, où la pénurie criante de personnel fait en sorte que ses commissaires ne suffisent pas à la tâche. S'il faut en croire le Conseil canadien des réfugiés, les mesures annoncées ces dernières semaines pourraient fermer la porte à 40 % des revendicateurs. Dans l'immédiat, donc, le ministre aurait presque à moitié réglé son problème bureaucratique.

Ainsi, Ottawa trahit l'esprit de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, que le Canada a signée en 1969, et celui de sa Charte des droits et libertés. Les lois protégeant les revendicateurs sont, par définition, destinées à répondre à des urgences. Le Mexique en est une: les demandes d'asile en provenance de ce pays ont presque triplé depuis 2005, pour atteindre l'année dernière plus de 9000. Ce qui ne veut évidemment pas dire que tous ces demandeurs méritaient le statut de réfugié, dont la définition est par ailleurs étroite. En fait, seulement 11 % des demandes ont été acceptées. Cela signifie en revanche, non pas qu'ils sont une bande d'abuseurs, mais que des milliers de Mexicains craignent à ce point pour leur sécurité qu'ils sont prêts à faire le geste radical de quitter leur pays.

Bon an, mal an, 750 000 personnes font dans le monde des demandes d'asile, alors que les camps de réfugiés abritent sur la planète entre 10 et 15 millions de personnes, essentiellement dans les pays en voie de développement. Là encore, la générosité du Canada, qui reçoit entre 30 000 et 40 000 revendicateurs par année, mérite d'être relativisée. C'est au demeurant l'ouverture extraordinaire de notre système -- décriée par M. Kenny -- qui fait du Canada le pays occidental qui souffre le moins de l'épineux problème de l'immigration illégale. Le risque est que les mesures annoncées par Ottawa, qui sont rétrogrades, en poussent certains à la clandestinité.