samedi 1 juillet 2006

Prise en charge des NEM: le canton de Genève doit revoir sa copie


Lire l'article de Didier Estoppey dans le Courrier
Le Tribunal administratif admet le recours d'un requérant frappé de non-entrée en matière, considérant qu'il est victime d'une inégalité de traitement qu'aucune base légale ne justifie.

Régulariser les sans-papiers: harmonisation exigée

Lire l'article de Valérie de Graffenried dans le Temps - Suisse
Certains cantons peinent toujours à transmettre des dossiers à la Confédération.
Extrait:
Dirigé par Myrtha Welti, membre de la Commission fédérale des étrangers, le Groupe de travail Sans-papiers a analysé 67 dossiers entre mars 2005 et mars 2006. Et sur ces 67 dossiers de sans-papiers, il a recommandé une régularisation dans vingt cas. Pour les autres, les cinq experts du groupe ont déconseillé aux requérants de déposer une demande, jugeant qu'ils n'ont aucune chance d'être régularisés.
Rappellons que selon les estimations "officielles" il y a près de 100.000 sans-papiers en Suisse.

Non à la criminalisation de l'aide aux sans-papiers

Lire l'excellent article de Stéphanie Germanier dans le Temps - Suisse
La loi révisée sur les étrangers ne reconnaît plus les motifs honorables de ceux qui viennent au secours des sans-papiers. Un comité proche des Eglises revendique la liberté d'aider.

Extraits:
«J'encourrais une peine de prison de cinq ans et je serais même une récidiviste si la nouvelle loi était déjà en vigueur», a déclaré Françoise Kopf, coordinatrice de IGA SOS Racisme à Soleure, une organisation qui vient en aide aux requérants d'asile frappés d'une non-entrée en matière (NEM)...
«On ne fait donc plus de distinction entre les organisations criminelles qui font entrer illégalement des personnes en Suisse et les organisations religieuses et humanitaires qui aident ces mêmes personnes sur place», a fait remarquer Philippe De Vargas, ancien directeur de collège, et aujourd'hui à la tête du comité qui va mener campagne contre la loi sur les étrangers, ainsi que contre la loi sur l'asile.

Sur le même sujet, l'article de Vincent Bourquin dans 24heures
Les Eglises pourront-elles encore aider les clandestins?

Selon l’association Chrétiens et Juifs pour la liberté d’aider, la nouvelle loi sur les étrangers punira tous ceux qui soutiendront des personnes en situation illégale.
Les ecclésiastiques accueille­ront- elles toujours des clandes­tins? Les médecins soigneront­ils encore des personnes en si­tuation illégale? Les professeurs continueront-ils à enseigner aux élèves sans-papiers? Ou alors, tous ces actes seront désormais considérés comme illégaux et leurs auteurs lourdement sanc­tionnés? C’est la crainte de l’as­sociation Chrétiens et Juifs pour la liberté d’aider. Réunis autour de Jacques Neirynck et de l’an­cien président de la Fédération des Communautés israélites de Suisse, Rolf Bloch, ses membres, essentiellement vaudois, rejet­tent énergiquement l’article 116 de la nouvelle loi sur les étran­gers (Letr). Cet article punit tous ceux qui aident au séjour illégal d’un étranger. Un tel point existe déjà dans la version actuelle, toutefois il est précisé que «celui qui prête assistance n’est pas punissable si ses mobiles sont honorables». Une phrase qui a été supprimée dans la nouvelle Letr. De plus, les amendes pour­ront s’élever à 500 000 francs, contre 10 000 actuellement et la réclusion à cinq ans, alors qu’aujourd’hui elle ne dépasse pas six mois. «Cet article ne concerne pas seulement les pas­seurs, il vise directement les as­sociations et les Eglises qui s’oc­cupent des étrangers. Les ci­toyens suisses seront ainsi moins libres», s’insurge Philippe de Vargas, ancien directeur du collège de l’Elysée à Lausanne.
«Le Parlement est schizoph­rène », dénonce de son côté Rolf Bloch. L’industriel bernois rap­pelle que récemment, les Cham­bres ont voté une loi pour la réhabilitation de tous ceux qui ont aidé les réfugiés durant la Seconde Guerre mondiale: «Faudra-t-il un nouveau proces­sus de réhabilitation dans 50 ans? N’avons-nous rien ap­pris de l’histoire?», s’interroge l’ancien président de la Fédéra­tion des Communautés israélites de Suisse. Du côté de l’Office fédéral des migrations, on af­firme que cet article ne s’appli­que que s’il y a volonté d’enri­chissement.
Des propos qui ne rassurent pas la toute nouvelle association: «Alors c’est comme avec le CPE en France, on fait une loi et on promet de ne pas l’appliquer», conclut l’ancien conseiller natio­nal PDC Jacques Neirynck.

Le gouvernement de La Haye bute sur sa politique d'immigration

Lire dans le Temps - international

Immigration, intégration des étrangers, radicalisme, racisme. Ces questions de sociétés sont à l'origine de la chute vendredi du gouvernement de centre droit à La Haye.

La justice donne raison à un NEM genevois

Lire dans la TdG
L’aide aux NEM va être améliorée. Mais seulement temporairement.
Ecoutez la séquence dans Forum sur la Première

Trois lois mais combien d'exclusions ?

Lire l'article de Didider Estoppey dans le Courrier
Au-delà de leur inspiration commune et du tri entre «bons» et «mauvais» immigrés, les dispositions inscrites dans les deux lois fédérales sous la dictée de Christoph Blocher présentent de nombreuses similitudes avec la loi dite Sarkozy. En n'hésitant pas, très souvent, à pousser le bouchon encore plus loin. Petit tour d'horizon.
Sans-papiers: Un des points les plus contestés de la loi Sarkozy est la suppression de la régularisation automatique après dix ans de séjour clandestin en France. Qui dit suppression d'un automatisme n'exclut par pour autant toute possibilité. Alors que la LEtr, faut-il le rappeler, ne prévoit aucun mécanisme de régularisation des sans-papiers, fût-ce après dix ans. Et qu'elle supprime un autre droit jusqu'ici acquis: la transformation automatique, après dix ans, d'un titre de séjour en autorisation d'établissement (permis C).
Regroupement familial: Le CEDESA fait passer de douze à dix-huit mois le délai à partir duquel un immigré pourra solliciter le regroupement familial. La LEtr ne fixe pas de délai minimal. L'âge limite des enfants pouvant rejoindre normalement leurs parents en Suisse est par contre abaissé de 18 à 12ans. Pour les enfants de plus de 12ans, le regroupement doit impérativement intervenir dans un délai de douze mois.
Mariage: Une personne mariée avec un-e ressortissant-e français-e devra attendre quatre ans de vie commune, contre deux actuellement, pour obtenir la nationalité française. Un délai qui reste fixé à cinq ans dans la loi suisse. En cas de séparation avant trois ans, le permis de séjour ne sera pas renouvelé. La LEtr introduit par ailleurs dans le Code civil une disposition permettant à l'officier d'état civil de refuser la célébration d'un mariage mixte s'il a un doute sur les motivations du couple. Une peine d'emprisonnement ou une amende jusqu'à 20000 francs pourra punir «quiconque contracte mariage avec un étranger pour éluder les dispositions sur l'admission et le séjour des étrangers, s'entremet en vue d'un tel mariage, le facilite ou le rend possible».
Intégration forcée: Un chapitre très décrié par les opposants au CEDESA instaure un contrat d'accueil et d'intégration (CAI) passé avec tout nouveau migrant, et comportant des devoirs (absence de tout délit, suivi de formations à la citoyenneté). La délivrance de la carte de résident dépendra du respect du CAI et de l'obtention d'un diplôme initial de langue française. La LEtr, dans une disposition qui fait curieusement peu débat en Suisse, prévoit des mesures similaires: «L'octroi d'une autorisation de séjour ou d'une autorisation de courte durée peut être liée à la participation à un cours de langue ou à un cours d'intégration. (...) L'obligation de participer à un cours peut être fixée dans une convention d'intégration.»
Asile et aide sociale: Une des dispositions les plus critiquées de la nouvelle Loi suisse sur l'asile (LAsi) privera d'aide sociale l'ensemble des requérants déboutés, comme c'est déjà le cas pour ceux frappés de non-entrée en matière (NEM). Une population qui risque de grossir, puisque la LAsi permettra de frapper de non-entrée en matière tout requérant se présentant sans passeport ou carte d'identité. Le CEDESA est d'une inspiration très proche: une liste de pays sûrs est établie, dont les ressortissants seront privés d'aide sociale. Les requérants sans papiers ou déboutés seront exclus des centres d'accueil, repérés et intégrés à un système d'expulsion automatique.
Mesures de contrainte: Last but not least, la LEtr permettra de porter jusqu'à vingt-quatre mois, contre douze actuellement, les mesures de contrainte par lesquelles des personnes sont placées sous détention administrative en vue de leur expulsion. Nicolas Sarkozy a publié en février dernier une circulaire renforçant la traque aux sans-papiers. Mais le CEDESA ne modifie en rien les mesures de rétention administrative, dont la durée maximale reste fixée à... trente-deux jours

Les deux lex Blocher n'ont rien à envier à la loi Sarkozy


Lire les articles de Didier Estoppey dans le Courrier
Le projet de loi du ministre français de l'Intérieur est chahuté dans l'Hexagone comme en Afrique. Les lois suisses sur l'asile et les étrangers, qui font très peu de bruit au-delà de nos frontières, valent pourtant très largement leur cousine française.

Serait-ce un des effets de la fièvre footbalistique qui sévit depuis le coup d'envoi de la Coupe du monde? C'est sans grand émoi apparent que le Sénat français vient d'achever son examen de la loi Sarkozy sur l'immigration. Une manifestation nationale est toutefois convoquée, aujourd'hui à Paris, par le collectif «contre une immigration jetable» pour exiger le retrait du projet de loi, qui doit encore faire l'objet d'un examen par une commission mixte avant son adoption définitive. Le passage du même texte en mai devant l'Assemblée nationale (chambre basse) avait amené des dizaines de milliers de manifestants à descendre dans les rues de l'Hexagone pour s'opposer au durcissement de la politique migratoire française.
Le projet de loi provoque aussi de vives protestations dans les pays concernés, comme le ministre de l'Intérieur français a pu s'en apercevoir ce printemps lors d'un voyage en Afrique de l'Ouest. Récemment encore, le président sénégalais Abdoulaye Wade s'attaquait à Nicolas Sarkozy dans une tribune publiée par Le Monde.


«Immigration choisie»

Si la loi Sarkozy suscite une telle levée de boucliers, c'est qu'elle pose un concept nouveau pour la politique migratoire française: celui d'«immigration choisie», qu'on oppose désormais explicitement à l'«immigration subie». Une approche explicitée ainsi par Nicolas Sarkozy lors des débats à l'Assemblée nationale: «L'immigration pour motif de travail demeure marginale alors qu'on accepte un flux croissant d'immigration familiale, qui déséquilibre fortement le marché du travail. C'est le contraire de ce qu'il faut faire.»
Cette vision utilitariste des choses n'est pas sans rappeler une certaine Loi sur les étrangers (LETr), adoptée par les Chambres fédérales le 16 décembre dernier, et attaquée par un référendum qui lui vaudra son passage devant le peuple le 24 septembre. Une loi dont le principe cardinal est que «l'admission d'étrangers en vue de l'exercice d'une activité lucrative doit servir les intérêts de l'économie suisse.» Et qui limite l'immigration extra-européenne aux seuls «cadres, spécialistes ou autres travailleurs qualifiés».
Pourtant, force est de constater (lire ci-dessous) que cette loi très décriée en Suisse, tout comme sa soeur jumelle consacrée à l'asile, va sur de nombreux points nettement plus loin que le nouveau «Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile» (CEDESA), libellé officiel du projet Sarkozy. Celui-ci n'émet ainsi pas aussi strictement une interdiction d'entrée aux extra-Européens non qualifiés. Une carte de séjour «compétences et talents», valable trois ans, est toutefois réservée aux plus méritants. De même, la rupture du contrat d'un travailleur étranger admis en France n'entraînera pas le retrait de son titre de séjour. Alors que selon la Loi sur les étrangers (LEtr), une autorisation de séjour peut être retirée «si l'étranger ou une personne dont il a la charge dépend de l'aide sociale».


Deux poids deux mesures?

On serait dès lors en droit de se demander pourquoi les deux «lex Blocher», certes très chahutées en Suisse (12000 manifestants étaient dans les rues de Berne le 17 juin), ne font pas plus de bruit au-delà de nos frontières, comme c'est le cas de la loi Sarkozy. Certes, la Suisse n'a pas de passé colonial, ni une aussi longue tradition de présence africaine sur son sol. L'avocat Christophe Tafelmacher, membre de SOS-Asile Vaud, risque toutefois une autre explication: «La Suisse continue à bénéficier à l'étranger d'une image très flatteuse en matière de droits de l'homme, même si celle-ci est largement imméritée.»

Bex, le village qui se méfie des Noirs comme des Blancs


Lire l'article de Laurent Antonoff dans 24heures.

Depuis le saccage lundi soir d’un restaurant par des requérants africains, les villageois avouent leurs peurs: des Noirs comme des Blancs. Pour le syndic, «le racisme est en train de monter».

Sur la place du Marché à Bex, une affiche prône la tolérance entre les différents peuples. On annonce la prochaine Fête des Couleurs à Aigle. Une rame du flamboyant BVB fait halte juste en face. Il y a du rouge sur les flancs du train. Du jaune. Du bleu aussi. Dans la tête des Bellerins pourtant, depuis le saccage d'un restaurant lundi soir (24 heures de mercredi), une seule teinte prédomine. C'est le noir. «On en a ras-le-bol», lâche une commerçante. Elle souhaite rester anonyme. Elle dit craindre que les Africains du centre Fareas viennent «tout brûler» chez elle. Le mot «nègre» est prononcé par cet autre. A Bex, c'est visiblement le noir complet. Bien malin qui saura dire d'où reviendra la lumière.

«L'autre nuit, je me suis arrêté pour faire le plein à la station-service. Soudain, un Noir est apparu dans les phares de ma voiture. Puis un autre. Au final, ils étaient cinq autour de moi.» Le témoignage est celui d'un commerçant présent à Bex depuis 25 ans. Il dit que même «les flics» ont peur des requérants; qu'ils ne se déplacent plus quand on leur signale du trafic de drogue. «Et l'autre soir, ce dealer Guinéen au Grotto, il faisait quoi en Suisse alors qu'il s'était vu refuser l'asile depuis deux ans? Le patron, il faudrait lui donner une médaille!» Ou une étoile de shérif? «Bex n'est pas encore le Far West. Notre image est bien plus vilaine que ne l'est la réalité. Mais les dealers sont comme les assassins: il faut les mettre en cage et loin!»

«Les autochtones ont peur de sortir le soir»

Cette image de Far West, de Bellerins prompts à faire justice eux-mêmes, le syndic Michel Flückiger la réfute. Il a 56 ans. Il est né ici. Mais bon. Dans son village, les «autochtones» auraient de plus en plus peur de sortir le soir. Une femme confirme. «Quand vous arrivez tard à la gare, vous prenez un taxi pour rentrer chez vous. Finies les rentrées à pieds. A la Fareas, qu'on nous mette des familles et non plus les interdits de Lausanne ou de Vallorbe!» Le syndic: «tout le monde se regarde de travers désormais. Le pire, c'est que même si les Africains ne font rien, le racisme est en train de monter. Après 23h00, on ne croise pas plus d'un ou deux Blancs au centre, contre une trentaine de Noirs.»

Des Africains qui auraient même leur stamm, à la nuit tombée. Le quartier général des requérants, c'est le bar City. Le Central aussi, mais dans une moindre mesure. Le City est situé à quelques dizaines de mètres seulement du Grotto. On dit que lundi soir, la vingtaine d'Africains qui l'a saccagé venait justement de là. Le patron se refuse à tout commentaire. Il ne veut pas de problèmes. On craint pour un pavé dans la vitrine. Ou pire. D'autres se montrent plus causants, mais toujours de façon anonyme. Ici, ce sont les Blancs qu'on redoute, ceux qui accusent notamment les Africains de «siffler leurs femmes.» A les écouter, il existerait même à Bex des lieux désormais accessibles ou non aux Noirs. «C'est tout juste si ce n'est pas marqué White Only sur la porte.» Une légende bellerine? Quand on demande au patron du Grotto du Chablais s'il accepte les Africains chez lui, il répond avec malice «seulement ceux en salopettes». Comprenez: ceux qui travaillent.
John, requérant africain à la Fareas depuis 18 mois: «On n’est pas tous de méchants Noirs»

PAROLES DE REQUÉRANTS Pour les Noirs qui séjournent au centre de la Fareas de Bex, «les jours sont difficiles». Leur requête: «Ne nous mettez pas tous dans le même sac.»


Jeudi soir à Bex, c'est sur un parking un peu en retrait du centre-ville que de jeunes requérants africains se sont donné rendez-vous. Ils sont une dizaine. Plusieurs sont assis sur un banc à l'ombre d'un arbre. Un dans la cabine téléphonique. John* parle au nom du groupe. En anglais seulement. Il ne dit pas son âge. Ni son pays d'origine. Il affirme séjourner au centre de la Fareas à Bex depuis dix-huit mois. «Les jours sont difficiles pour nous ici… Surtout depuis lundi soir. Les gens nous voient et aussitôt ils nous jugent. Ne nous mettez pas tous dans le même sac. Nous ne sommes pas tous des méchants Noirs. Il y en a aussi chez vous. On vient de la guerre. Nous avons vécu le stress. Si nous sommes venus en Suisse, c'est pour nous retrouver en sécurité. Pas le contraire!»

Que font-ils là sur ce parking? «On est mieux ici qu'au centre. On ne se cache pas des villageois, mais quand tu n'as pas d'argent pour boire un soda, tu ne traînes pas au centre.»

Tous jurent ne pas avoir participé au saccage du Grotto lundi soir. Tous dénoncent l'agressivité du patron de la même voix. Leur version des faits: le dealer Guinéen tabassé n'était entré dans le bar que pour acheter des cigarettes. «Il n'est pas normal de se faire lyncher pour ça. S'il y a des bars à Bex qui nous sont interdits? Pas encore. Mais il y en a qu'on fait bien d'éviter.»

«Le centre est une passoire mais la Fareas ferme les yeux»

TÉMOIGNAGE Un ancien responsable de l’encadrement de la Fareas accuse. Selon lui, le centre de Bex est une «véritable passoire». Pire encore, la Fareas fermerait délibérément les yeux.


Les autorités de Bex ne sont pas seules à critiquer le dispositif de surveillance du centre Fareas de leur commune. Arthur*, lui, a vécu la situation de l'intérieur. Ancien responsable de l'encadrement des lieux, il veillait la journée. Avec des remplacements ponctuels la nuit: «Ce centre est une vraie passoire. Quand j'y travaillais, il n'y avait qu'un seul veilleur à la fois. Autant vous dire qu'avec six entrées à contrôler et près de 150 personnes, c'était mission impossible. Enormément de gens essayaient d'entrer. Des NEM, on en rejetait sans arrêt. On faisait des rondes dans les étages mais il est certain que des NEM dormaient là, hébergés par des connaissances.» La drogue: «Ça circulait beaucoup. J'ai découvert une fois des petites boulettes de cocaïne. A l'extérieur des bâtiments, on voyait beaucoup de voitures, parfois immatriculées en France. Quand les conducteurs nous voyaient arriver, ils filaient. Quand on mettait la main sur une substance, on avertissait la police de sûreté.» Arthur blâme la Fareas pour la «gabegie» régnant au centre d'accueil de Bex. «J'ai l'impression que la Fareas ferme les yeux pour ne pas prendre en main les problèmes. Ce n'est pas une question de moyens mais d'organisation.»

Interview de Ruth Dreifuss dans 24heures

Après Christoph Blocher mercredi, 24 heures donne la parole à l’ancienne conseillère fédérale Ruth Dreifuss qui prône un double non aux lois sur l’asile et les étrangers.
Vous regrettez que Christoph Blocher ait refusé de participer à un débat face à vous?

- Je comprends sa décision. Elle est logique par rapport à l'attitude de Monsieur Blocher qui milite pour une intervention minimale du Conseil fédéral dans les campagnes. Je n'ai cependant pas l'impression qu'il reste au-dessus de la mêlée et se contente d'expliquer les tenants et les aboutissants des lois sur lesquelles nous voterons en septembre.

- Pourquoi vous engagez-vous pareillement dans cette campagne?

- J'ai toujours considéré que la démocratie suisse demandait un engagement très fort de chaque citoyen et de chaque citoyenne. Par ailleurs, c'est un sujet qui me préoccupe presque depuis ma naissance en 1940. Mon père allait chercher des gens à la frontière: le souvenir de l'Europe sous le joug nazi, ça vous marque. La question de l'asile est une question clé de l'attitude de la Suisse face aux drames du monde. Il y a d'ailleurs une mobilisation assez exceptionnelle contre ces lois sur l'asile et les étrangers, notamment de la part de tous les spécialistes qui travaillent sur le terrain dans le domaine de l'immigration.

- La tradition humanitaire de la Suisse est-elle vraiment en danger?

- Chaque révision de la loi sur l'asile a été un durcissement, une fermeture. Il faut se battre pour cette tradition humanitaire. Et la révision n'est pas une amélioration, c'est une péjoration. En voulez-vous juste une preuve?

- Oui.

- Il y avait eu une belle unanimité des partis politiques, à l'exception de l'UDC, pour rejeter l'initiative de l'UDC sur l'asile en 2002. A une exception près, la loi actuelle correspond à cette initiative et va même au-delà dans le durcissement.

- Mais selon le Conseil fédéral et le Parlement, cette loi respecte les standards internationaux.

- Elle est certainement contraire à l'esprit des conventions internationales et elle pourrait, selon des avis qui me semblent très sérieux, être contraire aussi à la lettre. Ce qui m'étonne, c'est que le Parlement et le Conseil fédéral ont pris des décisions alors que les avis de droit disponibles allaient à sens contraire. Certes, le Département de Christoph Blocher a demandé à un professeur allemand, le Professeur Hailbronner, de faire à son tour une étude. Mais elle a été faite après les débats pour donner une sorte de caution académique à ces lois. Toute une série de décisions ont été prises par le Parlement sans que le Conseil fédéral se soit donné la peine de fournir des analyses précises, un message où il montre les raisons et les conséquences des dispositions proposées. Je me permets de dire que la décision du Parlement a été bâclée.

- C'est surtout le Conseil fédéral qui a accepté, sans plus de discussions, des ajouts de Christoph Blocher.

- J'ai assisté à toute la procédure menant au message proposé par Ruth Metzler à l'époque. J'ai été très présente dans cette discussion. Je n'aurais bien sûr pas accepté avec enthousiasme cette loi. Mais ce qui s'est passé après reste un mystère. Et un triste mystère. Car le travail sérieux qui avait été fait – les consultations, les expertises, les négociations – a été jeté par-dessus bord. Quand j'étais au Conseil fédéral, j'avais un petit côté maîtresse d'école. L'un de mes collègues, lorsque la discussion devenait difficile, disait: «Ruth Dreifuss va lever le doigt et demander, mais où est la cohérence?» Même si je ne suis plus au Conseil fédéral, je continue à croire que la cohérence est une condition première de la politique. La solidité des décisions. La crédibilité finalement. J'y suis très attachée. C'est pour cela que je me sens blessée par des revirements que rien ne justifie.

- La nouvelle loi va tout de même lutter plus efficacement contre les abus. Les policiers se plaignent souvent de ne pas pouvoir expulser des criminels requérants d'asile qui se rendent inexpulsables en cachant leur identité.

- Il y a des personnes tellement angoissées à l'idée de rentrer dans leur pays qu'elles ne collaborent pas. Il faut établir des voies de communication avec les pays de provenance pour garantir un traitement expéditif des demandes de papiers. Il y a aussi beaucoup de gens qui collaborent.

- Demain, vous serez l'invitée de la Soupe à La Radio suisse romande. Pourquoi avoir finalement accepté de vous y rendre?

- J'ai longtemps refusé d'y aller car je n'aime pas les plaisanteries qu'ils font sur mes collègues. Je peux difficilement rire lorsqu'ils s'en prennent à des gens que j'estime et avec qui j'ai travaillé. Par ailleurs, j'aime beaucoup les imitations de Lambiel et l'humour pratiqué par les marmitons. On ne peut pas répéter sans arrêt que les politiciens ne doivent pas se prendre trop au sérieux et refuser ad aeternam d'aller à la Soupe.
«C’est Kafka»
— Quel est le point que vous reprochez le plus à la nouvelle loi sur l’asile?
— Le plus grave, c’est l’augmenta­tion des mesures de contrainte. Il y a une telle disproportion entre ce que l’on peut reprocher à ces personnes et ce qu’elles subissent ici. Je ne peux pas l’accepter. Les Européens sont en train de réfléchir à une norme commune pour la détention en vue de refoulement. Ils vont vraisembla­blement s’entendre sur un maxi­mum de six mois. La Suisse en aurait quatre fois plus: deux ans, au maximum.La privation de l’aide sociale, c’est aussi une question difficile. Il ne faut pas inciter les gens à rester ici s’ils n’ont pas d’avenir ici. Mais quand je vois ce qu’est l’aide d’urgence, je ne peux pas l’accepter. Mon­sieur Rau (n.d.l.r.: ancien prési­dent de Swisscom, engagé contre la loi sur l’asile) a visité l’autre jour dans la campagne soleuroise le lieu où sont encasernés les requérants aux bénéfices de l’aide d’urgence. Ils ne reçoivent que de l’eau et 8 francs. Le bus coûte plus de 8 francs pour aller faire leurs courses à Soleure. Et quand ils sont à Soleure et ratent le bus, la police prétend qu’ils sont en séjour illégal et les enferme pour une nuit ou deux. Alors qu’ils sont pris en charge par l’aide d’urgence et qu’on prépare leur retour. En outre, certains d’entre eux avaient le droit de travailler.
Et on les empêche de continuer avant leur rapatriement pour les mettre à l’aide d’urgence. C’est Kafka. Ces mesures sont absur­des et indignes de notre pays.
— Mais en même temps, Christoph Blocher dit que depuis 1964 il y a eu une seule erreur, celle de Stanley Van Tha, emprisonné en avril 2004 dès son retour en Birmanie.
— Cela m’a fait bondir. Je ne comprends pas comment Mon­sieur Blocher peut dire cela. En général, j’admire sa connaissance des dossiers. Sans chercher, je peux vous donner au moins quatre cas que je connais person­nellement. Dont celui de Mon­sieur Salihi, renvoyé au Kosovo et condamné à six ans de prison. La Suisse a ensuite tout fait pour le récupérer. Hélas, cela n’a été possible qu’après de longues années de souffrance, de persécution.

L'imposture

Lire l'édito d'Alain Jeannnet dans l'Hebdo
L'étude de Sandro Cattacin sur la misanthropie des Suisses y est démolie en quelques formules assassines...
Extrait:
Le mouvement qui se constitue ces jours pour lutter contre les lois Blocher montre bien l’inanité des étiquettes partisanes. On trouve dans ce vaste front hétéroclite des politiciens bourgeois, des représentants de l’économie, les Eglises, des historiens éminents, la gauche, les grandes villes….
Tous sont convaincus que la Suisse est menacée de régression si elle emboîte le pas à l’UDC. Ces nouvelles lois sont contraires à la dignité et aux droits humains, une honte pour le pays, mais elles sont aussi inefficaces et coûteuses.