Jamais sans doute un film suisse n'aura fait l'objet d'un tel battage médiatique: "Vol spécial", de Fernand Melgar, qui sort prochainement en salle, est instrumentalisé sans vergogne par les médias pour faire la leçon aux Suisses, à qui il faut faire payer le fait d'avoir voulu une politique d'asile rigoureuse.
Au Festival de Locarno déjà, on ne parlait (enfin, les médias dominants, service public en tête), que de ce film. Déjà aussi, on nous expliquait que nous devrions avoir honte, que nous devrions nous repentir et nous jeter des cendres sur la tête. Même Micheline Calmy-Rey avait poussé d'un air grave le refrain obligatoire chez les bien-pensants, quitte à dégommer par-derrière la politique de la Confédération.
Fernand Melgar est un cinéaste habile, d'aucuns diraient manipulateur. Son origine étrangère est un capital inestimable aux yeux des Justes, bien entendu; et son langage cinématographique, qui consiste à susciter l'émotion en s'intéressant à des destins individuels, mais jamais aux questions de fond, est terriblement efficace. Qui n'aurait pitié d'un destin individuel tragique, qui n'aurait envie de dire "il faut faire quelque chose"? Dans les années 70, un auteur français avait tourné le problème d'une élégante façon, parlant du chômage: "Un chômeur c'est un drame, 100000 chômeurs, c'est une statistique."
Et c'est sur ce ressort émotionnel que jouent systématiquement les groupes, paroisses, mouvements et assoces innombrables, qui veulent s'opposer à l'expulsion de tel requérant débouté: c'est le roi des bons types, il travaille, il est bien intégré, etc. En face, bien évidemment, ceux qui prennent les décisions sont des salauds, des sans-cœur, tout comme ceux - vous et moi, la majorité des Suisses - qui ont voulu cette politique d'asile, non pas par xénophobie, mais par le souci de ne pas laisser s'installer des situations qui, elles, de manière certaine, conduisent à la xénophobie.
Je ne reproche nullement à Fernand Melgar d'avoir réalisé ce film, et je ne lui reproche pas davantage de tirer à fond sur la corde émotionnelle: c'est un choix artistique et il est, on l'a dit, efficace dans son genre. En revanche, que penser, par exemple, de La Première, radio de service public financée par l'impôt déguisé de la redevance - même ceux qui n'ont ni radio ni télé payeront désormais! - qui consacre plusieurs émissions de grande écoute à "Vol spécial" - dont le ton ne sera sans doute pas très critique? On connaît les penchants idéologiques du service public, on connaît son obsession de sans cesse inculquer au public ignorant les principes de la pensée correcte, les beautés de l'immigration et les joies du métissage.
Bien sûr, le peuple, dans les urnes, manifeste régulièrement son opposition forte à cette pensée unique; mais l'arrogance de nos maîtres à penser les conduit à croire que plus ils sont isolés, plus ils ont raison, plus le peuple doit être éduqué, voire puni.
Pourquoi n'y a-t-il pas de concurrence face au rouleau compresseur de la RTS?
Philippe Barraud, journaliste, invité du Nouvelliste
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