vendredi 16 septembre 2011

Contrôles aux frontières, les pays de Schengen ne pourront plus agir seuls

Les Etats membres de l’Espace de Schengen, dont la Suisse, ne pourront plus décider seuls de rétablir des contrôles aux frontières. La Commission européenne veut avoir son mot à dire.

La Commission européenne ne veut plus laisser aux Etats membres de l’espace Schengen, dont la Suisse, le soin de décider seuls de rétablir les contrôles à leurs frontières. Ils devront avoir le feu vert de Bruxelles lors d’événements «prévisibles» et «imprévisibles».  En vertu d’un projet présenté vendredi par la Commission européenne, le champ des possibilités offertes aux gouvernements pour demander bientôt un tel retour aux contrôles sera élargi. Il inclut un événement tel qu’une vague d’immigration massive ou les défaillances d’un pays de l’Espace Schengen apparues dans la surveillance de ses frontières.

Actuellement, les 25 pays membres de l’espace Schengen, dont la Suisse, peuvent décider de rétablir temporairement les contrôles de leur propre chef en cas de menaces terroristes ou de grands événements comme un sommet de chefs d’Etat ou une compétition sportive.  En introduisant un mécanisme qui de facto constitue une clause d’exclusion temporaire de Schengen, la Commission vise aussi sans les nommer des pays comme la Grèce, qui a de la peine à empêcher le passage d’immigrants clandestins via sa frontière avec la Turquie.  En contrepartie, Bruxelles veut que les gouvernements ne décident plus à leur guise de rétablir les contrôles. Ils devront demander l’autorisation à la Commission et justifier en détail les requêtes. L’exécutif européen soumettrait ensuite ces demandes à l’approbation des Etats membres.

La décision serait prise par un comité au sein duquel siègent tous les pays de l’Espace Schengen, dont la Suisse, la Norvège et l’Islande, qui ne font pas partie de l’Union européenne. Mais seuls les Etats membres de l’UE auraient le droit de se prononcer sur ces demandes.  Dans des «situations d’urgence», les gouvernements pourront encore rétablir les contrôles sans feu vert préalable de Bruxelles, mais pendant une période limitée à cinq jours. Passé ce délai, Bruxelles serait alors chargée d’évaluer les conditions de sécurité, éventuellement en dépêchant des enquêteurs sur le terrain.

La Suisse va examiner attentivement la proposition de la Commission et prendra ensuite position, a déclaré à l’ats Guido Balmer, porte-parole du Département fédéral de justice et police (DFJP). Sur le principe, Berne estime que la libre-circulation des personnes ne doit être limitée que dans des «situations extrêmes». M. Balmer a ainsi salué la définition de critères clairs pour justifier une telle décision.  Et de rappeler que la Confédération a déjà souligné qu’à son avis la compétence de réintroduire des contrôles aux frontières doit rester du ressort des Etats membres. En mai, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga avait ainsi déclaré à Bruxelles que la Confédération n’était «pas la seule» à trouver une telle proposition inconcevable.  L’objectif de la réforme est aussi de rassurer des pays comme la France. Paris avait ainsi réclamé des changements en début d’année après l’arrivée sur son sol d’immigrants fuyant les pays arabes.

Catherine Cossy dans le Temps

Les vols spéciaux sur la sellette

Laurent Krügel, Mario Annoni et Jean-Pierre Restellini évoquent leur fonction d’observateur spécial lors des renvois forcés. Regards croisés sur fond de polémique.

La fonction d’observateur sur les vols spéciaux qui rapatrient les demandeurs d’asile déboutés n’a rien d’une sinécure. Dans le jargon de l’Office fédéral des migrations (ODM), les vols spéciaux dits «de niveau 4» signifient que les personnes renvoyées sont totalement entravées, parfois casquées, muselées, assises sur une chaise roulante pour être conduites jusqu’à l’avion. «Je m’attendais à une atmosphère lourde et c’est un euphémisme», lâche tout de go Jean-Pierre Restellini, président de la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) et observateur à deux reprises récemment. «Ces vols de degré 4 sont difficilement supportables. Des gens hurlent, se débattent pendant des heures. Notre commission a effectué l’observation de sept de ces opérations ces douze derniers mois. Pour quelqu’un qui n’a pas l’expérience de ce genre de situation, cela peut provoquer des émotions très fortes.»

Cinq observateurs
En juin dernier, la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) a accepté le mandat d’assurer le contrôle de ces renvois pour une période pilote de six mois. Cinq observateurs ont été choisis. Parmi eux et aux côtés de Mario Annoni et Laurent Krügel, l’ancien directeur de l’établissement pénitentiaire de Wauwilermoos (LU), une professeure de droit et l’ancienne directrice de la police et des affaires militaires du canton de Berne. «Ces personnes ont été sélectionnées et engagées d’entente entre l’ODM, la FEPS et l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR)», indique un communiqué de l’ODM. Mais aucune d’entre elles n’a l’expérience pratique de ces rapatriements forcés. Rencontré à Lausanne une semaine avant son premier vol, Laurent Krügel confie s’attendre à des moments difficiles, puisque l’exercice même de ce mandat consiste à observer l’opération depuis le moment «où l’on peut surprendre quelqu’un brutalement au réveil jusqu’à son arrivée dans son pays d’origine». Mais ces renvois comportent «une couche légale et administrative dont on ne peut faire l’économie», estime-t-il.
«Il faut appliquer les décisions prises par la population, lui fait écho Mario Annoni. Il en va de la crédibilité de l’Etat. Les demandeurs d’asile déboutés sont des êtres humains qui ont souvent une biographie très difficile, qui ont connu des guerres, une misère sociale, certes, mais qui ne remplissent pas les conditions que la Suisse s’est fixée pour les accueillir en tant que réfugiés ou dans le cadre du regroupement familial, donc on les refoule.»

Droits humains et dignité en question
S’il mentionne avoir déjà assisté à Genève à un refoulement depuis le centre de détention jusqu’au tarmac, le président de Pro Helvetia précise que son rôle consiste à observer le «comment» et non le «pourquoi» de ces opérations qui doivent rester «conformes aux droits de l’homme» et s’effectuer «dans le respect de la dignité des personnes concernées».
Dignité. Un mot qui semble élastique et qui divise d’ailleurs fortement la population sur ce dossier précis. Depuis que la FEPS a été mandatée pour effectuer ce monitoring, la CNPT s’est mise en retrait. «Mais nous restons en contact étroit pour que le travail d’observation évite les traitements inhumains ou dégradants», indique Jean-Pierre Restellini. Tout en ajoutant que la frontière entre ce qui est humain ou non, dégradant ou non, est difficile à établir : « Il y a plus de dix ans, le responsable de l’aéroport de Zurich avait dit qu’un vol de degré 4 était toujours inhumain et dégradant», commente notre homme, en ajoutant être préoccupé au plus haut point d’une chose: faire en sorte que la catastrophe de 2010, soit le décès d’un jeune Nigérian au cours d’un de ces vols, ne se reproduise pas. «Il y a des mesures à prendre d’urgence pour que les personnes placées dans cette situation de stress majeur puissent le supporter. Il faut donc notamment qu’un médecin puisse s’exprimer sur l’état de santé des personnes que l’on rapatrie.»

Gabrielle Desarzens dans le Courrier

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En 2010, 5699 personnes ont été renvoyées par avion, dont 136 sous contrainte, sur 27 vols spéciaux.
De janvier à juin 2011, 76 ont été renvoyées de force.

L’émission Hautes Fréquences de dimanche 18 traite de ce dossier à 20h sur RSR La Première.

Un avenir suisse ?

Plusieurs des détenus apparaissant dans Vol spécial étaient présents lors de la projection de jeudi à Lausanne. Certains en hommes libres, d’autres en clandestins. Le Kosovar Jeton Idrizi, 26 ans, était très ému: «C’était dur de voir ce film, de voir ma femme pleurer. Mais il faut toujours penser aux autres, ceux qui viendront après. J’espère que les gens vont changer d’avis après avoir vu le film, qu’ils ne vont plus voter comme ça.»

Plusieurs des détenus apparaissant dans Vol spécial étaient présents lors de la projection de jeudi à Lausanne. Certains en hommes libres, d’autres en clandestins. Le Kosovar Jeton Idrizi, 26 ans, était très ému: «C’était dur de voir ce film, de voir ma femme pleurer. Mais il faut toujours penser aux autres, ceux qui viendront après. J’espère que les gens vont changer d’avis après avoir vu le film, qu’ils ne vont plus voter comme ça.»

Après le décès survenu lors d’une expulsion à Zurich, les vols spéciaux ont été suspendus et Jeton Idrizi a été libéré: «Je suis resté à Payerne sans papiers, chez ma femme, nous avons eu un enfant. Jeudi matin, j’ai reçu un permis F (ndlr: admission provisoire). J’ai la possibilité de travailler, de vivre en Suisse.»

Le Camerounais Elvis Enow, 23 ans, a été choqué de revivre les moments douloureux de son expulsion: «C’est la loi, mais ce n’est pas une raison pour nous attacher comme des animaux. J’ai pris l’avion ligoté sur une chaise.» Un voyage via le Nigeria et le Congo l’a emmené jusqu’à Yaoundé. «Quand nous sommes arrivés, le consul de Suisse est venu nous accueillir, mais nos autorités n’ont pas vu comment nous étions traités. J’ai passé une semaine au Cameroun à voir ma famille. Et puis je suis revenu en Suisse.» Père de jumeaux depuis le 24 août, Elvis Enow vit à Lausanne, sans papiers. «Je dois travailler pour éduquer mes enfants, pour qu’ils aient un avenir. Je regarde devant moi, j’espère qu’il y a une place pour moi ici. Les Suisses doivent voir ce film, surtout ceux qui votent UDC.»

Tribune de Genève