mardi 16 mars 2010

Tristes nouvelles d’Abdirashid

En novembre dernier, il était le premier mineur non accompagné expulsé du canton en vertu du protocole de Dublin. Depuis, le jeune Somalien traîne dans Rome. Un article d’Ariel F. Dumont, Rome, pour 24 Heures.

Abdirashid Rome

Abdirashid Rome citation

Rencontré à Rome, il y a quatre mois, juste après son expulsion, Abdirashid Ali nous confiait son rêve: revenir en Suisse, étudier pour se construire un avenir. «Quand je serai grand», disait le jeune Somalien qui a fêté ses 18 ans en janvier. «Quand je serai grand, j’aimerais travailler dans les communications, devenir quelqu’un et avoir la chance que la vie m’a refusée jusqu’à présent.» Tout cela semble aujourd’hui bien loin derrière lui.

Hébergé au départ pendant quelques jours dans un centre d’accueil tenu par des Jésuites, Abdirashid Ali a dû rapidement changer d’adresse. «Un monsieur m’a dit que je ne pouvais pas rester dans cette maison, que je devais faire une demande et attendre six mois avant d’avoir une réponse peut-être positive, raconte le jeune Somalien. Je lui ai demandé: et moi, je dors où entre-temps?»

Nulle part où aller

Les prêtres lui ont trouvé un autre centre d’accueil situé dans un quartier cossu sur la colline de San Saba, derrière la FAO, l’organisation onusienne pour la faim et l’agriculture dans le monde. Mais dans deux mois, Abdirashid Ali devra refaire son baluchon. Pour aller où? Probablement à la case départ. Il squattera à nouveau l’ancienne ambassade de Somalie abandonnée depuis la guerre où il avait passé quelques nuits en novembre dernier.

Abdirashid Piazza Bernini

En attendant, Abdirashid laisse passer le temps et apprend l’italien. Quelques heures de cours chaque matin organisés par les prêtres, puis, direction les réfectoires des associations catholiques pour grappiller un déjeuner. L’après-midi, il cherche du travail. «J’ai été dans plusieurs agences, mais c’est toujours le même refrain, on vous rappellera.» Le jeune Somalien est désabusé. Sa carte de séjour expire l’an prochain et ne lui a été d’aucune utilité pour trouver le petit boulot qui lui permettrait de gagner un brin d’indépendance et de retrouver un peu de dignité. Le soir, il revient au dortoir et monte dans la chambre qu’il partage avec huit autres personnes en détresse.

Depuis quatre mois, Abdirashid se pose toujours la même question. Que faire? Repartir en Somalie? «Oui, c’est mon pays, il y a ma famille, ma maison, mais là-bas, on tue.» Abdirashid passe lentement la main sur sa gorge, imitant le geste de l’égorgeur. Rester en Italie? La réponse claque comme un coup de vent glacial: «Ici, les gens comme moi n’ont aucun avenir, on ne veut pas de nous.» Aller ailleurs en Europe? Impossible, sa carte de séjour lui permet seulement de s’offrir des vacances qu’il ne peut pas se payer.

«Ma vie ressemble à une impasse infinie», soupire Abdirashid. Après avoir espéré que la Suisse le reprendrait, il a compris que cette idée fait partie de ses rêves d’il y a quatre mois. Et quand on lui demande à quoi ressemble son futur proche, il répond: «Je ne sais pas.»

Traitement équitable des requérant-e-s d’asile

Dans le cadre de la mise en œuvre de la directive sur le retour, il est prévu d’accorder la possibilité d’exécuter directement les décisions Dublin. Et ce, bien que le Tribunal administratif fédéral ait jugé cette pratique contraire au droit international public. L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés OSAR enjoint au Conseil des Etats de se prononcer contre cette décision. Compte tenu des dispositions en vigueur, l’OSAR considère l’initiative sur le renvoi ainsi que les contre-projets direct et indirect comme obsolètes.

La proposition de mise en œuvre de la directive sur le retour prévoit de modifier dans la loi sur l’asile la possibilité d’exécution immédiate de l’expulsion de personnes dans la procédure Dublin. Cette proposition a été formulée après la procédure de consultation. L’OSAR recommande le rejet de cette disposition au motif que l’exécution immédiate des décisions Dublin est contraire au droit international et à la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme préconise un droit de recours effectif avec effet suspensif.

Vers la suite du communiqué de presse de l’OSAR

Les réfugiés de Québec: la santé mentale avant le travail

Les réfugiés qui atterrissent dans une nouvelle vie apportent avec eux leurs traumatismes, parfois amplifiés par les difficultés d'adaptation. Des problèmes psychologiques complexes, qui nécessitent des traitements sur mesure.

Le Service d'aide psychologique spécialisée aux immigrants et réfugiés (SAPSIR) s'occupe de ces cas. Il s'agit d'un service destiné à ceux qui ont des références culturelles différentes ou qui ont vécu des situations de violence extrême. Pour traiter leurs patients, les psychologues ont recours à l'ethnopsychiatrie. Cette pratique permet de trouver une solution aux problèmes des patients étrangers qui ne répondent pas aux thérapies occidentales. Un groupe de psychologues, de différentes origines, rencontre un patient à la fois. Le but est de le mettre en confort en lui montrant qu'il n'est pas le seul qui vient de l'étranger.

Paola Maria Akl Moanack, psychologue et responsable du SAPSIR, affirme que la plupart de ceux qu'elle rencontre ont de la difficulté à intégrer le marché du travail. Elle remarque que l'emploi est le sujet central des immigrants et particulièrement celui des réfugiés qui consultent. Selon la psychologue, les difficultés de trouver du travail augmentent leurs soucis, déjà nombreux en raison du processus d'installation.

Le syndrome de stress post-traumatique empêche des réfugiés ayant vécu la guerre de conserver un travail. Ironiquement, ce syndrome se déclenche lorsqu'ils acquièrent une certaine stabilité dans leur nouvelle vie. Avant, ils ont tellement d'autres préoccupations qu'ils arrivent à mettre leur passé en veilleuse.

Les réfugiés ayant connu la guerre constituent la majorité de la clientèle. «Ils prennent conscience des séquelles qu'ont laissée la guerre quand ils essaient de travailler et qu'ils en sont incapables», explique Mme Akl Moanack. Ils sont souvent aux prises avec des émotions et des flashs qui refont surface. Cela cause des difficultés de concentration et des pertes de mémoire les empêchant de travailler. «C'est à ce moment qu'ils se rendent compte qu'ils ont besoin d'aide», souligne la responsable du SAPSIR.

Lorsqu'un réfugié se fait dire qu'il doit trouver une autre profession ou refaire des études, cela peut causer un choc. «On dit que vous ne pouvez prétendre à vous identifier à cette profession. C'est violent comme processus», reconnaît Mme Akl Moanack. Certains de ses patients étaient des avocats et des juges qui avaient un certain statut dans leur pays. Ici, ils n'ont plus le respect particulier relié à leur ancienne profession.

Un article paru dans Le Soleil, signé Jean-Manuel Téotonio et relayé par cyberpresse.