La rubrique Opinions de 24 Heures reçoit Stéphane Lathion et Ada Marra, qui livre chacun leur idée sur cette question d’actualité.
Un malaise qui perdure…
La question du foulard est vieille de bientôt vingt ans, mais elle continue de défrayer régulièrement la chronique. Sans entrer dans une analyse des multiples motivations ou contraintes qui peuvent pousser une femme à le porter, il me semble important d’insister sur le fait que cette visibilité religieuse suscite des réactions totalement opposées, qu’il est essentiel d’entendre.
Pour certains, le voile symbolise le refus de s’intégrer, alors que, pour d’autres, il est la preuve même d’une volonté de s’intégrer.
Il est clair que des jeunes femmes sont contraintes par leur père, leur frère, leur petit ami à porter ce foulard dans le but de les préserver des dangers de la concupiscence masculine. C’est une réalité qu’il serait naïf de nier, et il est de la responsabilité des musulmans(e)s de la modifier pour garantir aux femmes la liberté de choix qu’ils proclament souvent en ces termes: «Pas de contrainte en religion!»
Il est tout aussi indéniable que bon nombre de jeunes filles choisissent librement, par conviction, de porter le foulard. Elles affirment et démontrent qu’elles sont bien dans leur peau, vivent comme leurs copines, sont émancipées et ne menacent en rien l’ordre social ni le vivre-ensemble.
La vérité est bien souvent au milieu…
Dans le contexte de méfiance qui prévaut aujourd’hui, il me semble légitime d’exiger que les personnes circulant dans l’espace public soient reconnaissables. Le voile intégral, la cagoule ou tout autre déguisement pourraient être interdits pour des motifs n’ayant rien de religieux ni de sexué: ordre public, sécurité, convivialité… Comment dialoguer, échanger quelques mots de courtoisie avec une personne camouflée?
Osons le parallèle avec le nudisme et la frustration de certains naturistes de ne pas pouvoir se balader nus dans la rue. Toute liberté peut être restreinte pour de justes motifs; il en va ainsi de la liberté d’expression comme de la liberté de pratique religieuse. Le nudisme est autorisé dans la sphère privée, sur des plages réservées et pas ailleurs. Bon sens et respect de la liberté et de la pudeur des autres individus.
Pour certaines musulmanes, il est moins question de revendications concrètes que de perception, de reconnaissance. Ce qui se jouera ces prochaines années, c’est la façon dont tant les responsables associatifs musulmans que les pouvoirs publics vont permettre, faciliter cette construction identitaire à l’aide d’au moins deux références. En effet, il faut que l’univers «Mosquée» admette que le musulman va également avoir besoin de l’univers «Mairie» pour se construire et trouver sa place dans la société; et vice versa.
Plutôt que de «starifier» M. Blancho, il serait plus professionnel de le traiter, lui et sa lecture des textes, sur le même plan que les fondamentalistes catholiques d’Ecône ou les fondamentalistes évangéliques, qui œuvrent librement dans nos contrées. Le faire passer pour un interlocuteur crédible, représentatif des communautés musulmanes de Suisse, frôle la malhonnêteté, tout en alimentant les simplifications, les préjugés que l’on peut avoir contre les musulmans.
*Auteur de Islam et modernité – IdentitéS entre mairie et mosquée , Desclée de Brouwer, Paris 2010.
Le pays est-il assiégé?
La Suisse compte 900 000 pauvres, un travailleur sur vingt-deux est un working poor , et il y a 800 000 personnes touchées par l’illettrisme. Pourtant, face à ce constat, on persiste à parler tous les deux jours des habitudes vestimentaires des femmes musulmanes. Soit. Mais j’aimerais sortir de la question religieuse pour revenir à une question sociétale. Car c’est de cela qu’il s’agit.
Je reste convaincue que le port choisi du foulard est un droit absolu des femmes adultes musulmanes. Et je ne vois pas de problème à ce qu’une chirurgienne m’ausculte avec ce fichu sur la tête.
Bien sûr, la burka – le voile intégral – me dérange beaucoup plus. Pourquoi? Parce que ce vêtement a en fait une incidence beaucoup plus grande. Se cacher le visage, c’est rompre le lien social. Se cacher le corps et le visage dans la rue, c’est refuser de faire partie de la société. C’est se mettre de côté, sortir du monde, occidental en tout cas. C’est exprimer un refus de se mélanger aux autres.
En conséquence, d’aucuns voudraient légiférer pour interdire le port du voile en Suisse. Mais, comme on se rend compte que faire une loi pour les exceptions – voie dans laquelle s’empêtrent actuellement nos voisins français – n’est pas viable à long terme, on aimerait faire valoir l’argument de la sécurité. C’est bien connu: la Suisse est en état d’alerte face à la menace terroriste d’Al-Qaida. Derrière chaque burka, un kamikaze…
Les différents acteurs doivent définir leur objectif. Personne n’a vu en Suisse une femme avec le voile intégral chercher du travail ou revendiquer le droit de travailler avec ce vêtement. Le port du voile intégral s’accompagne plutôt d’un comportement traditionaliste, la femme restant à la maison. Le débat sur le droit à la burqa à l’école ou sur les lieux de travail n’a pas lieu d’être dans notre pays. La question posée par les tenants de l’interdiction est donc: faut-il l’interdire dans nos rues?
Si je m’oppose à une interdiction du port de la burqa, c’est que je reste persuadée que, aujourd’hui en Suisse, il est encore possible et temps d’instaurer un dialogue avec les quelques dizaines de femmes concernées. Ce phénomène reste à échelle humaine. Son traitement aussi.
Comme nos autorités ont réussi à convaincre la plus grande partie des familles musulmanes ou évangélistes demandant une dispense de gym pour leur fille du peu de fondement de leur requête, nous pouvons persuader ces femmes que la burka est un acte de non-intégration. Car il s’agit de leur permettre de vivre avec nous, dans notre monde. Je n’ai jamais été partisane de la fessée ou du martinet comme principe pédagogique. Cela doit rester un choix de ces femmes.
A mon sens, on fait une montagne d’un épiphénomène. Il y a en Suisse des problèmes bien plus sérieux que la burqa, auxquels il faudrait prêter davantage d’attention.
Il faut traiter tous les problèmes de manière proportionnée. Et celui-là, ma foi, ne mérite pas chez nous une mention quasi quotidienne dans les médias. Si le centre-droite et la droite s’en inquiétaient réellement sans visées électoralistes, ils auraient accepté la proposition de Josef Zisyadis demandant la création d’une Commission fédérale des religions, vrai lieu de débat en la matière.