jeudi 18 août 2011

Clandestins mais pas criminels

Une récente jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne a jugé contraire au droit supérieur l’emprisonnement pour défaut de papiers d’identité de résidents illégaux. S’il est toujours possible de recourir à la contrainte – emprisonner un clandestin pour l’expulser –, le fait d’être sans titre de séjour ne devrait pas être passible de poursuites pénales.

Comment cette jurisprudence qui concerne un cas italien s’appliquera-t-elle en Suisse? A ce stade, les juristes consultés découvrent cet arrêt et les avis fluctuent au gré des personnes interviewées. On se réjouira tout d’abord que le bon sens ait – partiellement – prévalu. La forteresse Europe, que d’aucun veulent ériger sur le rejet et l’exclusion, pose bel et bien des problèmes en termes de droits fondamentaux.

Mais en cas de désaveu de la Suisse, qui pratique également une telle criminalisation des personnes en séjour illégal, on entend déjà la droite populiste en appeler au respect de la volonté populaire. Elle qui n’est jamais en reste pour présenter un texte contraire au droit supérieur(1): initiative contre les minarets, expulsion des criminels étrangers ou encore – le scud est parti le 1er août – l’initiative dite «contre l’immigration de masse».

En l’occurrence, ce dernier texte est contraire à la libre circulation des personnes qui vient pourtant d’être approuvée par le peuple il y a deux ans. Que se passera-t-il en cas d’acceptation de cette initiative? Le Conseil fédéral est chargé de renégocier les accords bilatéraux. On imagine d’ici la tête des dirigeants européens. Leur patience a des limites et la Suisse sera envoyée paître en des termes même pas polis.

Ce qui ne déplairait peut-être pas à la frange la plus excitée de l’extrême droite pour qui un bantoustan helvète n’est pas un épouvantail mais bien un sort enviable. En tous les cas, cela aurait l’intérêt de mettre la secte blochérienne devant ses contradictions. Car cela ruinerait tout simplement la Suisse; on doute que l’aile économique de l’UDC s’y retrouve. Et surtout, à force de refuser toute norme qui n’ait pas été adoubée par une Landsgemeinde, la formation conservatrice se place aussi en porte-à-faux de l’histoire dont elle prétend tirer sa vertu politique.

La Suisse doit son existence à un certain nombre de traités internationaux – celui de Westphalie et les traités consécutifs aux guerres napoléoniennes – contre les prétentions des Habsbourg honnis. Le droit protège le faible contre le fort, en bonne logique rousseauiste. Cela vaut pour les pays. Mais ce principe s’applique aussi aux personnes. Et c’est peut-être précisément ce qui déplait à la formation au bouc, qui œuvre au démantèlement des normes de protection sociale.

L’extrême droite montre son vrai visage à double titre. Son discours est populiste mais ne défend en rien les intérêts populaires. Et sa lecture de l’histoire n’est que propagandiste, voire pure manipulation.

Edito de Philippe Bach dans le Courrier

(1) La revue hebdomadaire Domaine public a consacré une série d'articles forts intéressants à cette problématique. Voir notamment Alex Dépraz, «Les conséquences d’une acception de l’initiative du 1er août», DP 1920, 8 août 2011.

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