mercredi 28 janvier 2009

Voyage dans le temps au pays des Roms

Les Roms des campagnes sont souvent ceux qui tentent leur chance à l’Ouest. Ils nous ont montré leurs conditions de vie et la réussite de ceux qui sont revenus.

LAURENT GRABET TEXTES PATRICK MARTIN PHOTOS DE RETOUR DE ROUMANIE, dans 24 Heures.

Ce jeune Rom et sa petite soeur n’ont pas la résignation constatée chez de nombreux adultes de leur village. Leurs camarades et eux auront peut-être droit à une vie meilleure et à une part du boom économique roumain aperçu sur la télévision familiale. Cerat, le 21 janvier 2009Le train a remonté le temps sur 250 km entre Bucarest et Cerat, village de 4800 habitants aux ruelles boueuses. Trois heures de voyage pour un saut de deux cents ans en arrière. Les 4×4 de 300 chevaux des gadjos (ndlr: les non-Roms) bucarestois ont fait place à des charrettes traînées par un vieux bourrin. Une gamine saute de l’une d’elles et négocie sa photo contre deux cigarettes. «Les Roms qui mendient dans nos rues ou travaillent sur nos chantiers viennent de villages comme celui-là. En ville, le travail manque moins», commente Cristiano Barale, délégué de Terre des hommes en Roumanie.

Entassés à neuf dans 20 m2

A part sur sa vieille télé, le miracle économique roumain ne passera probablement jamais par la maison de paille et de terre de Mihael Campeanu. Le Rom a 49 ans mais en paraît dix de plus. Contrairement à sa femme Maria, il semble avoir abandonné la partie depuis longtemps. Partager quatre lits et 20 m2 avec elle, sept de leurs neuf enfants âgés de 3 à 15 ans, un cochon et deux chiots, tirer l’eau au puits du bout de la rue, faire ses besoins dans un bidon de plastique enterré au milieu du jardin parmi les ordures: cette vie l’a usé. «Survivre, dit-il, avec 100 francs d’aide sociale aussi. Si seulement on avait du travail! Mais ici, il n’y a rien pour nous. Les Roumains nous considèrent comme des moins que rien.» La plainte est en partie fondée (lire ci-dessous), elle est aussi intéressée. Ses visiteurs ont des moyens, Mihael aimerait en profiter. Le regard de son fils Elvisu est plus naïf mais pas résigné. Avec ses jeans, ses baskets et son sweat-shirt à la mode, l’ado de 15 ans ne ferait pas tache dans les rues de Lausanne.

 

Quinze ans d’Italie contre une villa orange

Quelques maisonnettes plus loin, Florinel et Luminita Baragan nous ouvrent leur porte. Leurs quatre enfants vont à l’école. Cosmin, l’aîné de 19 ans, a terminé un apprentissage de mécano. «C’est bien, car chez les Roms les plus pauvres, l’enfant est souvent considéré comme un agent économique», décode le délégué de Terre des hommes. «Je ne veux pas que mes enfants partent à l’étranger», renchérit Florinel en décrottant ses chaussures. «Là-bas, il n’y a rien pour eux, surtout avec la crise. Ici, nous sommes moins discriminés! En plus, nous ne savons pas ce qui se cache derrière le luxe montré à la télé.»

Quelques kilomètres plus loin, chez Ion Akim, il faut se déchausser. Le quinquagénaire est une figure respectée ici. Il est Ursari, une ethnie pauvre dont les membres dressaient historiquement ours et chevaux. Pourtant, la villa orange qu’il se construit n’a rien à envier à celle des calderari, riches commerçants d’or. Il a fallu à Ion quinze ans de travail sur les chantiers italiens pour la payer. Ses six enfants y habitent toujours. «Ici, je n’aurais jamais pu y arriver honnêtement.»

Une route goudronnée financée par l’Union européenne mène à la ville voisine de Craiova. C’est là qu’habitent Adrian Bozgan et sa femme Leonora. Deux années passées à conduire des camions en Allemagne et à ramasser des fraises en Espagne leur ont permis de monter un business florissant de confection. En parallèle, le quadragénaire suit des cours du soir pour devenir assistant en radiologie. «Nous autres Roms avons plus d’énergie en nous que les gadjos! Mais nos qualités n’ont jamais été valorisées. Sans le communisme, notre nation serait plus avancée que le peuple roumain!» Et l’entrepreneur d’entériner le propos en offrant à chacun de ses visiteurs une des robes traditionnelles qu’il confectionne.

Son cousin Eduard se réjouit de l’image qu’Adrian donne des siens. Travailleur social intégré, le trentenaire a voyagé et même travaillé à l’Ouest. «Nous sommes Européens comme vous, mais laissez-nous du temps pour vous rejoindre!» martèle-t-il avec optimisme. Européen, peut-être, mais en Roumanie, encore et toujours perçu comme un Rom. Une condition difficile à porter. «Il vous faudrait vivre quelques jours dans ma peau pour comprendre.»

Deux millions de citoyens roumains de seconde zone

Riches ou pauvres, traditionalistes ou intégrés, honnêtes ou non, les quelque 2 millions de Roms ont un point commun: presque toute la Roumanie les voit comme des citoyens de seconde zone. Les autorités tentent mollement d’y remédier. Une agence nationale a été créée en 2001. Chaque commune a un conseiller chargé des Roms. Pour Margareta Matache de l’association Romani Criss, il reste du boulot pour dégommer les préjugés! Le nomadisme, qui ne concerne en réalité que 2 à 3% des Roms, en est un. «Mais ce n’est qu’un détail comparé aux discriminations qui commencent à l’école et se poursuivent à l’embauche.» Certains Roms se piègent aussi eux-mêmes en retirant leurs filles de l’école à 12 ans pour les marier à 14. La faible estime de soi est aussi un problème. «Les Roms qui ont réussi peinent à afficher leur origine. Quelques politiques roms crachent même sur la communauté!» La jeune femme veut quand même y croire. «Ces dernières années les mariages mixtes ont progressé et la série télé Cœur de gitan a changé la perception des Roms.»

Laurent Grabet dans 24 Heures