Ex-policier ouïgour réfugié en Suisse, Nijiati Abudureyimu raconte ses neuf années passées à travailler dans une prison chinoise qui réalisait des exécutions à la chaîne et prélevait les organes des condamnés pour les revendre. Il aimerait dénoncer les atrocités qu'il a observées devant l'ONU.
Il a refusé jeudi de monter dans l'avion qui devait le renvoyer à Rome, en vertu des Accords de Dublin. De retour au Centre pour réfugiés de Fontainemelon (NE), l'ex-policier ouïgour Nijiati Abudureyimu, 41 ans, raconte son histoire, sa fuite, et son espoir d'obtenir des papiers pour témoigner des atrocités auxquelles il a assisté durant des années à Urumqi, capitale du Xinjiang, province musulmane du nord-ouest de la Chine.
Depuis quand êtes-vous en fuite?
J'ai quitté Urumqi il y a trois ans et demi pour Dubaï, où vit mon frère, où je suis resté deux mois. Mais l'insistance d'une Chinoise, qui en fait était de la police, à se renseigner sur moi, m'a effrayé, et je suis parti pour l'Europe, l'Italie, puis la Norvège, qui m'a renvoyé en Italie, d'où je suis venu en Suisse pour témoigner à l'ONU. J'attends depuis novembre 2009 de pouvoir déposer une demande d'asile ici.
Pourquoi avez-vous dû quitter votre pays?
Parce que j'ai parlé en public des exécutions de prisonniers, des prélèvements d'organes qui étaient faits sur eux, alors qu'ils n'étaient pas encore morts, le trafic qui en était fait. C'est un vrai business en Chine, où tout le monde touche sa part, le docteur qui opère, les policiers qui laissent faire, tout le monde.
Durant combien de temps et dans quelles circonstances en avez-vous été le témoin?
J'ai été membre de la police spéciale de 1989 à 1998. En 1993, mon chef m'a dit que j'étais affecté à la prison de Liu Dao Wan, un nom qui fait trembler, car énormément de monde y est condamné à mort.
Des Ouïgours?
Oui, mais aussi des Mongols, des Tibétains, des Chinois.
Avez-vous exécuté des prisonniers?
Non, Dieu merci, ce n'était pas mon rôle!
Quelle était votre tâche?
J'enregistrais leurs noms, les informais du règlement, les menais à leurs cellules. Il y a deux longs couloirs jalonnés de petites pièces où ils sont entassés à vingt. Le soir, on me communiquait les noms de ceux que je devais aller chercher le lendemain à 6 heures pour leur exécution. Ils avaient peur, certains pleuraient, d'autres urinaient dans leur pantalon, des gardes les traînaient...
Impossible de changer de poste?
Au bout d'un certain temps, j'ai dit à mon supérieur que je voulais retourner dans la police, mais il a refusé car j'avais vu trop de choses. J'y suis resté cinq ans, jusqu'en 1998. J'ai assisté à de nombreuses scènes de torture, dans la section des hommes et celle de femmes. Un appareil électrique sur les parties génitales, enfoncé dans le sexe, les décharges, les cris...
Avaient-ils un avocat?
Non! On leur lisait l'acte d'accusation, la sentence de mort, puis ils avaient 15 minutes pour téléphoner à leurs proches ou faire leurs adieux au parloir. C'est moi qui les escortais. C'est court, 15 minutes. C'était insoutenable.
Les exécutions avaient lieu dans la cour?
Non, toutes les mises à mort se font à Xi Shan, qui veut dire la «Montagne de l'Ouest», où nous les conduisions dans des bus aux vitres teintées. Ils avaient les poignets liés aux chevilles, et une corde passée au cou suffisait, d'une traction, à les empêcher de crier. Ils étaient alignés à genoux et on leur tirait une balle dans le dos, en visant le coeur. Au besoin, ils étaient achevés de trois balles.
Il y a beaucoup d'exécutions?
Tout le temps. Seul, par groupe de trois ou de douze, d'après ce que j'ai vu personnellement. Je me souviens d'un garde qui, à chaque fois, regardait le soleil qui nous suivait, qui tapait fort sur Xi Shan, en disant: «C'est Dieu! Il est fâché à cause de ce que nous faisons.»
Quand avaient lieu les prélèvements d'organes?
Certains recevaient une balle non mortelle, puis n'étaient pas achevés sur place mais ramenés à la prison, où l'opération avait lieu et où on les laissait mourir. J'ai remarqué aussi qu'un peu avant l'exécution on faisait une prise de sang pour analyses à ceux qui avaient été choisis.
Pourquoi avoir attendu neuf ans pour fuir et témoigner?
J'ai démissionné en 1998 et vécu de commerce. Mon entourage ne comprenait pas que je quitte la police, qui est un bon job en Chine. Je ne parlais pas, car le Parti communiste chinois est partout. Fin 2006, un jour où j'avais un peu trop bu de vodka, j'ai rectifié en public les propos d'un médecin sur le prix d'un rein, environ 300 000 yuans (47 00 fr.), bref, j'ai trop parlé. Peu après, un ami de la police m'a dit que j'étais fini, qu'il me fallait quitter le pays tout de suite.
Vous avez de la famille?
Ma femme était enceinte, je suis allé la voir à 1800 km de là, à Hutan où elle vit. J'ai assisté à la naissance de ma fille, les ai embrassées et je me suis enfui début janvier 2007. Je ne les ai jamais revues et ne les reverrai sans doute jamais.
Sont-elles en danger?
Bien sûr. Six mois après ma fuite, mon père est mort dans des circonstances peu claires. Je connais leurs méthodes, j'ai été dans la police durant dix ans... Quand je joins ma femme par téléphone, nous parlons peu. Je suis sûr qu'elle est sur écoute. Mais je ne lui dis pas que je transite de camp en camp, elle croit que je mène une vie normale.
Arrivez-vous encore à dormir?
Très mal. Nous sommes huit par chambre à Fontainemelon. En comparaison, Genève, c'est l'hôtel avec deux personnes et la TV (Centre de Frambois près de l'aéroport, ndlr). Mais je fais surtout des cauchemars, je vois la police chinoise m'arrêter. Ma vie est finie. Parfois, j'ai envie de mourir. J'y pense.
Propos recueillis par Yvan Radja dans le Matin
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Un témoin précieux, selon Amnesty International
Après l'échec du renvoi à Rome de Nijiati Abudureyimu, «une nouvelle demande de réadmission va être faite à l'Italie», selon Michael Glauser, de l'Office fédéral des migrations (ODM). Si l'Italie ne devait pas répondre, une procédure d'asile pourrait être activée en Suisse. Une procédure qui ne serait pas exceptionnelle pour un Chinois ou un Ouïgour, contrairement à ce qu'a déclaré le conseiller d'Etat neuchâtelois Frédéric Hainard, affirme Le Temps dans son édition de samedi: «Selon les chiffres de l'ODM, 995 Chinois sont en processus d'asile en Suisse, et 713 d'entre eux ont obtenu une admission provisoire.»
Porte-parole d'Amnesty International pour la Suisse, Manon Schick craint que «si l'ODM le renvoie en Chine, il soit emprisonné, ou pire encore, car le sujet est tabou. On estime à 90% les organes utilisés pour des transplantations en Chine qui sont prélevés sur des prisonniers exécutés. Les preuves sont rares, et cet ex-policier est un témoin précieux.»
S'il désire témoigner devant l'ONU à Genève, Nijiati Abudureyimu devra suivre une procédure précise, explique Xabier Celaya, de la Commission des droits de l'homme: «En général il faut qu'il y ait plainte déposée contre un Etat par une victime. Ensuite, il faut être appuyé par un pays ou par une ONG.»
Etudes cliniques de Roche en Chine
Cette problématique touche la Suisse car «Roche et Novartis testent en Chine des médicaments antirejet sans garantie que l'organe provient bien d'un donneur consentant», explique Manon Schick.
Contacté par nos soins, Roche affirme que «les deux études cliniques menées en Chine pour le médicament CellCept respectent les mêmes standards scientifiques, médicaux et éthiques que dans les autres pays, selon la porte-parole Claudia Schmitt. De plus, ce sont les cliniques qui sont responsables de l'obtention des organes. Roche n'est pas autorisé, en Chine ni dans aucun autre pays, à connaître l'identité des donneurs.» Novartis, pour sa part, «soutient des actions comme le Programme chinois de coopération pour le don et la transplantation d'organes (CODTCP), déclare la porte-parole Isabel Guerra. Ce programme favorise l'alignement de la Chine sur les standards internationaux en termes de législation et d'obtention d'organes.»