mercredi 30 janvier 2008

La Municipalité de Vallorbe attend le soutien de Berne

Malaise à la gare de Vallorbe. La présence des requérants d’asile indispose une partie des habitants. Le syndic espère trouver une solution avec Berne. Un article de Pierre Blanchard dans 24 Heures.


Laurent Francfort place beaucoup d’espoirs
dans la réunion de vendredi, où les autorités
communales, fédérales et les CFF se mettront
autour d’une table.
VALLORBE, LE 29 JANVIER 2008
Michel Duperrex

Coincée entre la falaise et la route cantonale, sur­plombant la ville, la grande bâtisse accueille 240 personnes en quête d’un avenir plus serein. Le centre de requérants d’asile n’a rien du camp de vacances même s’il est logé dans un ancien hôtel. Rien à faire. Attendre seulement. Il y a bien la gare et son hall chauffé à quelques encablures, mais ils n’y sont pas les bienve­nus.
Le syndic Laurent Francfort déplore que la motion des radi­caux demandant l’interdiction de l’accès de la gare aux requé­rants donne une image tron­quée de Vallorbe. Pour lui, le noeud du problème c’est le peu d’investissement de la Confédé­ration dans l’encadrement des requérants d’asile. Il a l’impres­sion que Berne a abandonné sa ville.
Dialogue avec la Confédération
A sa demande, une déléga­tion de la Municipalité, des re­présentants de l’ODM (Office fédéral des migrations) et des CFF se rencontreront pour la deuxième fois vendredi.
Chaque partie reconnaît l’existence du problème, mais Berne prône une politique des petits pas alors que le syndic de Vallorbe espère que des mesu­res concrètes soient rapidement mises en oeuvre. Selon lui, les requérants doivent avoir un lieu de rencontre approprié en dehors du centre d’enregistre­ment et de procédure (CEP), et c’est à la Confédération de le financer.
Pour la Confédération, le dé­ménagement du centre de Ge­nève à Vallorbe, en 2000, a été une aubaine qui lui a permis de réaliser, sur le loyer, une écono­mie de 1 million de francs par an. Dans la Cité de Calvin les requérants se fondaient plus facilement dans l’anonymat des habitants de la ville. Les statis­tiques confirment cette impres­sion: à Vallorbe, ils représen­tent, 8,6% de la population, contre 0,33% à Bâle, 1,2% à Kreuzlingen et 3% à Chiasso.
«En votant massivement le durcissement de la loi sur l’asile, bien des Vallorbiers ne se sont pas rendu compte qu’ils acceptaient implicitement une plus grande pression du centre sur leur quotidien», ajoute Lau­rent Francfort.
Plus de pression
Depuis le printemps 2006, la prise en charge des deman­deurs d’asile a profondément été modifiée, avec pour consé­quence l’augmentation de la du­rée des séjours dans les centres. Leur moyenne a passé de 10 à 60 jours. Ce séjour plus long permet aux candidats à l’asile de prendre leurs marques et leur présence devient plus visi­ble. Sur le site de la gare de Vallorbe, le malaise a été en grandissant au point que le Parti radical a déposé, lors du dernier Conseil communal, la controversée «motion Jaillet». Le Département de l’intérieur a demandé un avis de droit sur sa recevabilité. Une étude qui de­vrait aboutir dans les jours à venir.

Le CEP en bref


Le CEP de Vallorbe
Michel Duperrex


NOM: Centre d’enregistrement et de procédure (ex-CERA, Centre d’enregistrement des requérants d’asile). Il a ouvert ses portes le 15 novembre 2000.
FONCTION: Indépendamment de la manière dont les requérants sont entrés en Suisse, ils doivent tous se présenter dans l’un des quatre CEP ouverts en Suisse (Vallorbe, Chiasso, Bâle et Kreuzlingen). C’est là que les réfugiés attendent l’acceptation ou le refus de leur demande d’asile.
RÉSIDENTS: Le nombre de requérants varie au gré des arrivées et des départs. La capacité du CEP est de 270 places. Actuellement, ce sont environ 240 demandeurs d’asile (80% d’hommes) qui sont logés dans le centre.
HEURES DE SORTIE: En dehors des entretiens liés à la procédure d’asile, les requérants peuvent sortir du centre de 8 h à 12 h et de 13 h à 17 h 30. De plus, ils sont libres de leurs mouvements durant le week-end. Ceux qui ont de la famille dans notre pays en profitent pour rendre visite à leurs proches. Après chaque sortie, ils doivent justifier la provenance des marchandises en leur possession.

Requérants plus visibles et moins rassurants

«Je peux vous citer dix dames âgées qui m’ont dit qu’elles ne viendraient plus faire leurs courses à Vallorbe. Elles vien­nent de Bretonnières, Premier, etc., et elles ont peur de traver­ser la gare.» C’est Jean-Luc Martignier, boucher, qui le dit.


Interdire la gare aux requérants?
C’est le remède prôné par le Conseil
communal en décembre dernier,
pour mettre un terme à
l’omniprésence des demandeurs
d’asile qui gênent les usagers.


De l’insécurité à la gare de Vallorbe? Un sentiment en tout cas, pour bon nombre d’habi­tants, né de l’omniprésence de requérants d’asile à ses abords.
Lundi, 10 h 30. Ils sont une vingtaine d’Africains réunis devant l’entrée de la gare.
Comme chaque jour. Le soleil brille et ils restent à l’extérieur, à siroter des bières. «Mais quand il pleut, ils peuvent être une quarantaine à l’intérieur à faire la fête», glisse une femme qui travaille à la gare. Du coup, les CFF ont… retiré les bancs qui se trouvaient à l’intérieur de l’édi­fice et fermé les salles d’attente.
Dehors, les réfugiés discutent. Bruyamment. Refusent toute photo et prétendent ne parler qu’anglais. Pourtant, un Ivoirien s’approche spontanément. «Je suis là depuis le 7 janvier», explique-t-il. «Nous interdire d’aller à la gare? Je ne suis pas au courant. Nous, on est des étrangers, ce n’est pas nous qui décidons. Si on nous interdit de venir ici, on ira ailleurs.» Là est le problème. A Val­lorbe, les requérants sont con­damnés à l’oisiveté. La situation a empiré aux yeux de la popula­tion car depuis quelques mois, leurs heures de sortie ont été étendues. Le CEP accueille aussi de plus en plus de réfugiés (actuellement 240) et ces der­niers restent à Vallorbe parfois 60 jours.
S’ils vont à la gare, c’est parce que c’est le lieu public chauffé le plus proche du centre. Et aussi parce que l’Aravoh (Association auprès des requérants d’asile de Vallorbe oecuménique et huma­nitaire) y a son local. Là-bas, la présidente Christiane Mathys est surnommée Mama Africa. Les 45 bénévoles de l’association s’y relaient pour accueillir avec un peu de chaleur un millier de réfugiés par semaine. Dans cette pièce exiguë (60 m2 ), deux Africains jouent aux dames, un autre lit le journal. Ils sont une dizaine à papoter devant un café. «Je suis convaincue que l’on n’a jamais réglé le moindre problème en dressant des murs et en isolant un groupe de personnes», s’insurge Christiane Mathys à l’évocation de la mo­tion Jaillet. Si elle passe la rampe, l’association devra bien sûr changer de local. «Quand je pense que, à l’époque, nous avions eu le soutien des autori­tés pour déménager ici…» A sa création, l’Aravoh avait son quartier général en ville.
La solution, toute simple, est évoquée par un réfugié: «Il nous faudrait un autre endroit où on pourrait se réunir, boire un verre et se distraire.» Reste à trouver le financement.

"C'est une idée choc !"

Interview express de Yann Jaillet, conseiller communal radical, auteur de la motion. Par Vincent Maendly dans 24 Heures.

«Nous voulons faire avancer les choses et je crois que c’est en train de marcher!»

– En voulant interdire aux requérants l’accès à la gare, n’y êtes-vous pas allé un peu fort?
– Non. Cette motion a été interprétée comme une mesure discriminatoire contre les gens du CEP, mais ce n’est pas la volonté de base de notre texte.
C’est-à-dire?
– La volonté de mettre fin au squat de la gare, qui est occu­pée toute la journée. Les usa­gers ne peuvent plus passer, il y a sans cesse du brouhaha, des déchets. Cela crée un sentiment d’insécurité. Or la gare est le portail de Vallorbe. Mais si tout cela était le fait d’un groupe de jeunes Vallorbiers par exemple, cela ne changerait rien.
– Il s’agit tout de même d’une idée choc…
– Oui, on peut le dire, c’est assez choc. Notre but était aussi de réveiller un peu tout le monde. Il semble qu’il n’était plus possible de dialoguer avec les autorités bernoises. Nous voulons faire avancer les choses et je crois que c’est en train de marcher! Je rappelle aussi que si la motion a été déposée par le Parti radical, elle a été très largement soutenue par les autres partis. C’est l’affaire de toute une population.
– Cela dit, croyez-vous que votre motion est recevable sur le plan du droit?
– Beaucoup de gens ont émis des doutes à ce sujet mais, à mon avis, elle a des chances.
Elle fixe un but à la Municipa­­lité, mais lui laisse toute lati­tude dans les moyens à mettre en oeuvre pour y parvenir.
– Et si la motion est malgré tout jugée irrecevable?
– L’important, c’est que le problème soit résolu. Une mesure qui a les mêmes effets serait la bienvenue.

Témoignage de Fernand Melgar

«Les gens se précipitent pour entreprendre des travaux qui se déroulent en ce moment dans le froid»
Depuis le début du mois de décembre, l’équipe du cinéaste Fernand Melgar passe ses journées dans les entrailles du CEP pour tourner un documen­taire sur le quotidien des de­mandeurs d’asile et des person­nes qui les encadrent. Pour lui le regroupement des requé­rants sur le site de la gare est un pis-aller qui l’attriste: «S’ils passent leur temps à boire des verres sur le perron, c’est pour tromper le temps et faire face à l’inactivité qui leur est impo­sée. » La caméra capte la réalité de la vie, mais l’oeil du cinéaste se refuse à porter des juge­ments sur la politique d’asile.
«J’ai assisté à l’ouverture des inscriptions pour les candidats aux travaux d’utilité publique, organisés conjointement par le service forestier de la com­mune et les responsables du centre. J’ai été surpris de voir les gens se précipiter pour entreprendre des travaux qui se déroulent en ce moment dans le froid», rapporte Fernand Melgar.
Les places pour ces travaux sont limitées à cinq par se­maine. Cette occupation per­met
également aux requérants d’être reconnus dans leur dignité d’être humain.
«Les candidats à l’asile ont un état d’esprit proche de celui des pionniers. Ils sont prêts à déployer une énergie considé­rable pour vivre plus digne­ment. En travaillant, ils peu­vent s’échapper un instant de leurs préoccupations et évacuer les tensions liées à l’attente de la décision de l’ODM qui in­fluencera grandement leur avenir», commente encore le
cinéaste.

Fernand Melgar garde l'oeil ouvert



«Les clandestins de 2008 ont
remplacé les saisonniers de 1964.
La dégradation sociale en plus»
LAUSANNE, LE 19 JANVIER 2008
PHOTO PHILIPPE MAEDER

Que la douceur du regard ne leurre pas. Fernand Melgar, documenta­riste vaudois, est une mule. Anda­louse de surcroît. Il ne change jamais d’avis, toujours il tient son cap. Cet entêtement — en cherchant bien il l’avoue — est même un vilain défaut. «Je n’écoute pas assez les gens qui me sont proches.» C’est aussi une qualité qui avec un chouïa de patience lui a permis de gagner la confiance de l’Office fédéral des migrations (ODM). Melgar réalise en ce moment un documentaire,
La forteresse, sur le Centre d’enregistrement et de procédure (CEP) à Vallorbe.
Sourire aux inconnus reste le meilleur moyen de les approcher. Essentiel quand on veut faire partie des meubles pour filmer de très près. Voilà des mois que le documentariste habite avec l’équipe de tournage une maison près de «la Forte­resse ». Il a été jusqu’à servir à 7 h un lait chaud aux requérants d’asile pour le petit­déjeuner. Ce geste est la marque de son savoir-faire. A Vallorbe le tournage dure jusqu’à 20 h. Le documentariste est libre de se promener où il le souhaite. Viendront ensuite six mois de montage et le passage du documentaire 35 mm sur la TSR et Arte. Une mule donc.
La douceur du regard encore est empa­thique. Fernand Melgar est un frère pour l’autre. Surtout quand l’autre est un petit, un obscur, un sans-grade, un nobody.
«J’aime profondément l’humain. Alors je rencontre et raconte. Sans commentaire, sans musique. Mais à la différence des journalistes, je me donne les moyens de temps.» prendre mon Le temps, il le trouve pour vivre pendant deux ans près des membres de l’association Exit. Se faisant tout petit, il filme jusqu’au dernier moment celles et ceux qui ont choisi la mort, l’auto-délivrance. Y a-t-il eu buée sur l’oeilleton de la caméra? En tout cas le pathos n’a pas pollué la chronique de ces deuils partagés. Ensuite Exit, le droit de mourir a raflé des couronnes de lauriers dans les festivals européens.
Un père «mort de tristesse» l’été der­nier, une mère toujours «pleine de vie», les parents de Fernand sont la source du style Melgar, de sa révolte inextinguible contre les injustices. Lui, le fils de saison­nier qui devait se cacher sous le lit quand la police frappait à la porte du domicile familial à Chavannes-près-Renens. Para­doxe, l’adulte n’oubliera jamais que c’est un policier municipal qui, fermant les yeux, a invité sa famille à scolariser l’en­fant. «Les clandestins de 2008 ont rem­placé les saisonniers de 1964. La dégrada­tion sociale en plus.» Aussi fin 2008 quand il en aura terminé avec les demandeurs d’asile, Fernandito, petit clandestin de 1964, tournera sa pre­mière fiction, Loin derrière la montagne. Le scénario, écrit avec Janka Rahm, raconte l’histoire d’une famille de sans-papiers équatoriens à Lausanne.
Revendiquant une communauté de pen­sée avec les Belges Dardenne et le Britanni­que Ken Loach, Fernand Melgar rêve de fresque sociale mais se défie de tout mani­chéisme, «ce qu’aurait tendance à faire un militant d’extrême gauche». Pas de boîte à outils marxiste pour ce libertaire qui avait deux grands-pères syndicalistes anarchistes. Pas militant doctrinaire mais un oeil ouvert. Ainsi il y a plus d’un quart de siècle, plus souvent qu’à son tour, Fernand Melgar est mis au cachot dans les combles de l’Ecole de commerce au Maupas. Il voit passer des jeunes de Lausanne Bouge. Une banderole l’enchante. Il y avait écrit quelque chose comme: «Ne pas mourir de faim se paie par mourir d’ennui». Cela lui plut, il suivit la manif. Et comme il ne fait rien à moitié, arrivé au Centre autonome, il a fondé dans la foulée le Cabaret Orwell, l’ancêtre de la Dolce Vita.
Il s’y est fait les souvenirs inoxydables de ses 20 ans. Comme le soir où quintuplant leur tube La décadence c’est la bonne am­biance, les Civils finirent par défoncer l’issue de secours pour fuir leur public. Il y a tissé aussi de solides amitiés qui durent encore. Climage, collectif bien vivant de documentaristes, est toujours là pour le rappeler au coeur du Maupas.
Un article d'Alain Walther dans 24 Heures