Le conseiller national UDC sera à Paris en décembre pour s’exprimer sur «l’islamisation» de l’Europe. Il a été invité par le Bloc Identitaire, une des formations les plus importantes de la droite radicale française. Analyse d’un politologue.
Oskar Freysinger poursuit ses liaisons dangereuses. Le 18 décembre, il sera l’invité du Bloc Identitaire à Paris. Cette formation généralement classée à l’extrême droite de l’échiquier politique organise des «Assises internationales sur l’islamisation», dans le but de «défendre la laïcité» et «les valeurs de notre civilisation». Le communiqué du Bloc Identitaire présente le conseiller national UDC comme un invité de marque, en soulignant qu’il est «l’artisan de la votation citoyenne contre les minarets en Suisse».
Cette invitation intervient après les remous provoqués par le récent voyage d’Oskar Freysinger en Belgique. A la demande du groupe catholique radical Euboco, il devait y donner une conférence sur l’islam, qui a été annulée au dernier moment. Le politicien valaisan a finalement été accueilli au sein du parlement flamand par Filip Dewinter, membre du Vlaams Belang, un parti nationaliste flamand d’extrême droite. Les nouvelles fréquentations d’Oskar Freysinger sont-elles inquiétantes? L’analyse du politologue français Jean-Yves Camus, spécialiste des mouvements nationalistes et extrémistes en Europe.
Le Temps: Qu’est-ce que le Bloc Identitaire?
Jean-Yves Camus: Il s’agit sans doute, numériquement, de la plus importante des formations de la droite radicale en France hors Front national. C’est un mouvement qui est souvent présenté commme étant le successeur du groupe Unité radicale (dissous par décret pour son antisémitisme et parce qu’il propageait des idées encourageant la discrimination, la haine et la violence à l’égard des étrangers, ndlr). Un certain nombre d’ex-dirigeants de ce groupe sont maintenant à la tête du Bloc Identitaire. Mais ils ont évolué, et leur positionnement politique est aujourd’hui différent. Ils se sont rendu compte que l’activisme débridé ne menait à rien, et se sont positionnés comme des gens cherchant à faire avancer un certain nombre d’idées, notamment sur la question identitaire. Leur objectif n’est pas uniquement d’avoir des élus. Ils souhaitent une grande recomposition non seulement de l’extrême droite, mais aussi des droites en général, et visent notamment la frange la plus à droite de l’UMP.
– Quelle est l’idéologie de ce mouvement?
– Les identitaires défendent quelques idées-force, qui les distinguent de l’extrême droite classique. La première est l’opposition à l’immigration, non pas seulement par xénophobie comme peut le faire le Front national, mais par opposition déterminée au multiculturalisme. L’idée centrale du Bloc, c’est l’opposition à la société multiculturelle. Pour ce groupe, l’islam est intrinsèquement inassimilable au paysage religieux et culturel européen. La deuxième idée-force qui les différencie est le localisme. L’extrême droite française traditionnelle est nationaliste, jacobine et centralisatrice. Elle se méfie beaucoup des identités locales ou régionales. Le Bloc Identitaire, à l’inverse, est organisé sur la base de groupes régionaux relativement autonomes et qui défendent une identité enracinée dans un terroir local. Suivent deux autres étages d’appartenance identitaire: à la nation française et à l’Europe. Les identitaires ne sont pas souverainistes et ne veulent pas sortir de l’Union européenne. Ils veulent une autre Europe, qui ne serait pas fondée sur les postulats libéraux et fédéralistes, mais qui serait conçue comme un espace culturel et civilisationnel. Les mouvements identitaires se distinguent aussi par le fait qu’ils ne sont ni fascistes, ni antisémites. Je ne classerais donc pas le Bloc Identitaire à l’extrême droite. Il se situe plutôt à droite de la droite. C’est une force encore embryonnaire. La dernière manifestation à Paris a réuni 300 personnes. Les identitaires récoltent souvent 5% des voix lors des élections cantonales, ce qui n’est pas négligeable.
– Oskar Freysinger a récemment été invité par Filip Dewinter, membre du Vlaams Belang. Il s’est aussi adressé à Robert Spieler, l’un des fondateurs de la Nouvelle droite populaire, un parti français d’extrême droite. Le politicien valaisan serait-il en train de se radicaliser?
– Oskar Freysinger a commis une erreur stratégique. Le fait d’aller à une manifestation organisée par le Bloc Identitaire est encore dans les limites de l’acceptable. En revanche, il sera compliqué pour l’UDC de prétendre qu’elle n’a pas de contact avec l’extrême droite du moment que l’un de ses dirigeants a rencontré Filip Dewinter et écrit à Robert Spieler. L’UDC est un parti gouvernemental qui s’est toujours présenté comme une formation de la droite classique. Elle a des racines profondes dans la droite conservatrice mais démocratique, et on peut difficilement la classer dans l’extrême droite. En Europe, les formations les plus proches de l’UDC sont aujourd’hui le Parti pour la Liberté de Geert Wilders aux Pays-Bas et la Ligue du Nord en Italie.
– Toutes sortes d’organisations sont associées à la manifestation du Bloc Identitaire, comme La Poule déchaînée, Riposte laïque, Résistance républicaine, Comité Lépante, Actions Sita, la Ligue du droit des femmes, etc.
– Il s’agit essentiellement de vitrines internet, derrière lesquelles il n’y a pas nécessairement de force militante. La seule organisation ayant une petite audience est Riposte laïque, une frange marginale du mouvement ultra-laïciste français qui s’est focalisée ces dernières années uniquement sur la question de l’islamisation, et qui est loin de faire l’unanimité dans les milieux laïcs français.
Propos recueillis par Patricia Briel dans le Temps