jeudi 20 mars 2008
L'expo Alter Egaux à Lausanne
Des rois nègres en haut-de-forme et réveil en sautoir, des tyrans asiatiques fourbes et cruels aux longues moustaches tombantes, des commerçants juifs cupides au nez crochu, de Flash Gordon à Zig et Puce en passant par le dérapage d'Hergé dans L'Etoile mystérieuse, la bande dessinée du début du XXe siècle fourmille de clichés colonialistes, paternalistes, racistes ou antisémites.
C'est à une plongée formidablement documentée que nous invite l'exposition Alter Egaux, présentée à Lausanne par le Bureau pour l'intégration des immigrés, dans le cadre d'une semaine d'actions contre le racisme. Imagerie négative et réductrice, mais aussi, progressivement, visions positives et généreuses de la diversité des peuples. Plus de 160 extraits en cases, accompagnés de textes précis et fouillés qui mériteraient une publication, reflètent l'évolution du 9e art, mais aussi et surtout des mentalités et de la société. Jusqu'à la rencontre avec... les Martiens.
«Peu de vrai racisme»
L'intérêt de ce travail de recherche est qu'il ne se contente pas d'évidences hâtives, grâce aux compétences du commissaire de l'exposition, notre collaborateur Roger Gaillard, et de Cuno Affolter, conservateur à la Bibliothèque municipale de Lausanne, qui ont puisé jusqu'aux tréfonds des riches collections de la bibliothèque. Ainsi, aux côtés d'auteurs connus, d'Hergé à Zep en passant par Hugo Pratt, Marjane Satrapi, Art Spiegelman ou les «BD-reporters» comme Joe Sacco ou Patrick Chappatte, on découvre les regards du Gabonais Pahé (édité chez le genevois Paquet), du Serbe Zograf ou de la scénariste ivoirienne Marguerite Abouet.
«Ce qu'on a pu constater, souligne Roger Gaillard, c'est qu'il y a finalement très peu de vrai racisme, agressif et haineux, dans la bande dessinée. On y voit plutôt un racisme mou, pas très conscient, typique d'une époque dominée par la bonne conscience coloniale. Avec quelques exceptions comme les Pieds Nickelés, aux positions antiracistes très osées pour leur temps. Puis la BD évolue clairement vers la dénonciation du racisme et une perception plus ouverte du monde, dégagée de cette imagerie, qui n'était d'ailleurs de loin pas propre à cette forme d'expression.»
Car celle-ci était le reflet de son temps: «Je n'aimais pas les coloniaux [...] mais je ne pouvais pas m'empêcher de considérer les Noirs comme de grands enfants», dira Hergé en 1974, pour justifier les clichés naïfs et paternalistes de Tintin au Congo, un sujet qu'il aborde sans enthousiasme, sur l'injonction du directeur de son journal, Le Vingtième Siècle. Il a été fortement critiqué pour cette œuvre de jeunesse (il avait 22 ans en 1930), mais il s'est plus que rattrapé dans Le Lotus bleu, notamment, avec l'exemplaire leçon d'antiracisme et d'amitié de la rencontre de Tintin avec Tchang. «La plainte pour racisme déposée contre l'album en 2007 par un étudiant congolais de Bruxelles est absurde, note Roger Gaillard, cela n'a aucun sens de vouloir censurer un produit typique d'une époque; il faudrait alors interdire une bonne partie de la littérature de cette période!»
Attention: l'exposition ne dure qu'une semaine. Mais elle est destinée à circuler.
Au fond du trou, Adem Salihi ne demande que la paix
BASSINS Une inscription à l'Etat civil porte son nom, mais lui assure qu'il n'a aucune intention de se marier. Fragile, en pleine déprime, le requérant débouté ne veut plus qu'une chose: qu'on le laisse tranquille.
On avait connu un Adem Salihi jovial, jouant volontiers avec les enfants du village, toujours souriant, disponible. Solaire, même. L'Adem d'aujourd'hui regarde vers le sol, jamais dans les yeux. Son visage, pâle, n'est plus que l'ombre de celui qui avait séduit toute une population. Adem va mal.
Dans son édition d'hier, Le Temps annonçait le mariage prochain de celui qui avait perdu tout espoir de voir sa situation régularisée. «C'est complètement faux!» assure-t-il, se demandant comment son nom est arrivé sur un formulaire de l'officier d'Etat civil. Lequel, d'ailleurs,
confirmera «l'inscription de Monsieur Salihi». L'ancien employé communal de Bassins, lui, refuse de s'exprimer dans la presse. Il se sent épié, traité «comme un criminel». Il dit vouloir «tout quitter avant de faire une bêtise». Bassins, la Suisse, il ne veut plus en entendre parler.
«Trop de souffrances et de déceptions, je serai sans doute mieux ailleurs», lâche-t-il encore. Puis il quitte la pièce.
En traversant le village, on le croise encore, arrêté par deux autres journalistes, alors qu'à l'Auberge communale, deux confrères attendent encore pour le voir. «Je ne supporte plus toute cette pression, expliquait-il quelques minutes plus tôt. Vous ne vous rendez pas compte
à quel point vos articles, même positifs, me font du mal. Tout le monde me reconnaît, m'arrête dans la rue. Vous m'avez volé ma vie!»
Reste à se demander comment un homme a pu se retrouver ainsi broyé. Et comment son mariage (éventuel) a pu devenir l'affaire de toute une région.
Otage d'une situation qu'il n'a pas voulue
Syndic de Bassins, Didier Lohri est sans doute parmi ceux qui connaissent le mieux Adem Salihi comme son dossier. Lui aussi regrette l'ampleur qu'a prise l'affaire. «Jamais Adem n'a souhaité que son problème soit médiatisé, pas plus que la Municipalité. Sympa, il n'a simplement jamais refusé de répondre aux questions qu'on lui posait.
Jusqu'à ce que tout ça devienne trop gros, pour lui comme pour nous!»
Et de mentionner le comité de soutien constitué pour la défense du «chouchou de Bassins». «Ils ont estimé que l'exécutif ne faisait pas son boulot, alors que depuis quatre ans, nous planchions sur le problème avec soin. Ils ont voulu médiatiser l'affaire, sûrs que tout irait plus vite. On voit aujourd'hui le résultat. De héros local, Adem est devenu, pour beaucoup, un clandestin profiteur à deux doigts de contracter un mariage blanc.»
En somme, Adem Salihi se retrouve otage d'une situation qu'il ne maîtrise pas et, surtout, qu'il n'a jamais souhaitée. «Il est maintenant un personnage public. On l'a élevé au rang d'exemple, son cas représentant toute la problématique de l'asile en Suisse. On a tous, élus, médias et même citoyens, une part de responsabilité dans ce gâchis.»
Gâchis qui, finalement, ne touche qu'un homme: Adem Salihi, ancien employé communal à Bassins, apprécié de tous ses concitoyens.