samedi 23 juillet 2011

Fernand Melgar: «Je n’ai pas confiance en Simonetta Sommaruga sur les questions d’asile»

Fernand Melgar présente son nouveau documentaire, «Vol spécial», le 6 août à Locarno. Sans Simonetta Sommaruga, qui a décliné l’invitation, et déçoit le réalisateur.

Après «La forteresse» sur l’accueil des requérants à Vallorbe (VD), le cinéaste Fernand Melgar s’est intéressé à leur départ forcé. «Vol spécial» a été tourné à Frambois, centre de détention administrative à Genève. Après les récents incidents à l’aéroport de Zurich, durant lesquels on a vu un Nigérian se faire matraquer par un policier, le sujet est particulièrement sensible.

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Les renvois posent de sérieuses difficultés à la Suisse. A quelques semaines des élections, vous ne craignez pas la récupération politique?
Les politiciens peuvent récupérer tout ce qu’ils veulent, je fais des films pour qu’on en parle. Et, à part ça, je me demande qui va oser défendre les requérants d’asile avant les élections…
Après «La forteresse» en 2008, pourquoi ce nouveau sujet sur l’asile en Suisse?
Lorsqu’on évoque les renvois, les gens imaginent des criminels. Ils les voient sous la forme de moutons, de rats, de corbeaux, car les campagnes de l’UDC ont imposé cette image. Dans la réalité, les centres de détention administrative sont remplis de gens dont le seul crime est de n’avoir pas de statut légal ou d’avoir osé demander l’asile. C’est tout. De là, un jour, sur la simple décision d’un fonctionnaire, on leur passe les menottes et on les amène à l’aéroport, où ils sont encore ligotés. C’est ça que je veux montrer: des destins broyés par la machinerie administrative.
Les autorités expliqueront que si ces gens sont retenus et renvoyés de force, c’est qu’ils refusent de partir de leur plein gré et qu’ils avaient le choix. Pas convaincu?
Mais de quel choix parle-t-on? Des pères de famille ont fait leur vie ici et ils devraient accepter de tout quitter? D’autres savent qu’ils sont en danger dans leur pays et l’Office des migrations n’a pas voulu le reconnaître. Devraient-ils se jeter de leur plein gré dans les bras de leurs bourreaux?
Mais que proposez-vous, d’accueillir tous les requérants?
Je demande moins d’hypocrisie dans notre rapport au Sud. D’un côté, l’Occident exploite ses richesses, spécule sur ses matières premières. Il rapatrie les bénéfices de ses activités mais rejette les victimes du système. J’estime qu’on ne peut plus vivre dans cet écosystème et ce n’est pas être révolutionnaire que de le dire.
Et, en attendant que le monde change, comment fait-on?
Inutile de me poser vingt fois la même question. Je suis documentariste, et ce que je veux montrer, c’est qu’en Suisse on ne respecte pas la dignité humaine. La détention administrative revient à enfermer des hommes comme des animaux dans un enclos. Et on ne nous dit pas tout. Je n’ai pas pu filmer la manière dont on ligote les gens sur le siège de l’avion, avec un casque de boxeur sur la tête et des couches-culottes pour le voyage. On ne m’a pas laissé tourner car il paraît qu’on ne doit pas montrer une personne dans une situation humiliante.
Le domaine de l’asile et des étrangers est maintenant du ressort de Simonetta Sommaruga, une socialiste. Vous avez confiance en elle?
Non.
Pourquoi?
En proposant la création de nouveaux centres d’enregistrement afin d’accélérer les procédures, elle renforce une sorte de régime de la semi-détention qui pourrait très vite se transformer en détention tout court. Ce faisant, elle reprend un projet né sous l’ère Blocher qu’Eveline Widmer-Schlumpf n’a pas osé présenter. Simonetta Sommaruga, elle, va au-delà des vœux de l’UDC.
Avez-vous pris contact avec elle à propos de votre film?
Je lui ai écrit une gentille lettre pour l’inviter à la première à Locarno. Ainsi que le chef de l’Office des migrations, Alard du Bois-Reymond. Mais le samedi 6 août, à 14 h, ils sont occupés, tout comme les autres conseillers fédéraux. Seule Micheline Calmy-Rey n’a pas encore répondu. C’est étonnant, non? Car, s’il y a une journée où tous les politiciens se bousculent, c’est bien celle-là! A la projection de «La forteresse», Eveline Widmer-Schlumpf était présente, elle!

Propos recueillis par Magali Goumaz pour le Matin Dimanche

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