samedi 6 août 2011

Le drame sans fin des migrants

Des clandestins asphyxiés, d’autres morts et jetés par-dessus bord. Depuis la mi-mars et le début de l’intervention de l’OTAN en Libye, quelque 24 000 personnes sont arrivées sur les côtes italiennes.

drame  sans fin des migrants

Certains sont morts asphyxiés dans la cale d’un navire. D’autres ont agonisé sur le pont, déshydratés. Trop faibles pour atteindre les côtes européennes, ils sont décédés durant la traversée, leurs corps étant parfois jetés par-dessus bord par leurs compagnons de voyage qui débarquent ensuite, comme des survivants hagards, dans le port de la petite île de Lampedusa.

Depuis la mi-mars et le début de l’intervention militaire en Libye, le nombre d’immigrés, originaires principalement d’Afrique subsaharienne qui tentent de fuir les violences en montant sur des embarcations de fortune pour rejoindre les côtes italiennes s’est élevé à 24 000. Mais dans le même temps, «plus de 1500 migrants ont été portés disparus», dénonce Laura Boldrini, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

Parti de Libye vendredi dernier, un bateau chargé de 370 personnes a ainsi été pris en charge, jeudi soit au bout de six jours d’une odyssée tragique, par les gardes-côtes italiens. Les immigrés ont été débarqués à Lampedusa, au sud de la Sicile. Mais environ 100 migrants manqueraient à l’appel. «Au bout de vingt-quatre heures nous nous sommes perdus», a raconté une jeune femme qui a expliqué: «On a erré en mer sans eau ni nourriture. Quand les premières femmes ont commencé à ne plus résister, à mourir comme beaucoup de leurs enfants, les hommes en pleurs ont été contraints de jeter les corps à la mer. Nous étions 400 au départ. A la fin nous n’étions plus que 300.»

«Nombre de témoignages de rescapés confirment que les passagers du navire ont été contraints de jeter en mer plusieurs dizaines de cadavres, indique Andrea Ciocca, coordinateur de la mission de Médecins sans frontières (MSF) à Lampedusa. Selon nos informations, le moteur du bateau serait rapidement entré en avarie laissant les migrants sans vivres.» L’embarcation aurait ensuite été repérée à 27 miles des côtes libyennes par un remorqueur chypriote qui aurait lancé un SOS. Un bâtiment de la flotte de l’OTAN – vraisemblablement français – situé à proximité, n’aurait pas réagi provoquant l’indignation des autorités italiennes. Celles-ci ont alors envoyé des secours à partir de Lampedusa, située à 90 miles de là. Cet épisode intervient trois jours seulement après la découverte dans la soute d’un navire les cadavres de 25 personnes mortes asphyxiées dans la salle des machines. Elles avaient tenté en vain d’ouvrir la trappe pour remonter sur le pont déjà occupé par 271 immigrés.

«L’afflux de bateaux en provenance de Libye se produit par à-coups, remarque Andrea Ciocca. Fin juillet, il n’y a pas eu d’arrivées, mais les débarquements sont presque continus depuis quelques jours. Cela peut être dû à la détérioration de la situation sur le terrain, aux meilleures conditions météo ou bien encore à une manœuvre délibérée.»

Pendant des années, le colonel Kadhafi a notamment fait pression sur l’Italie en ouvrant, par intermittence, le robinet de l’immigration pour obtenir des concessions, notamment économiques, de Rome. Une chose est sûre, toutes les embarcations qui arrivent à Lampedusa partent de la zone encore contrôlée par le régime libyen. «La plupart sont des étrangers d’Afrique subsaharienne qui travaillent depuis des années en Libye et qui ne peuvent plus rester sur place, détaille Laura Boldrini. Puis il y a des réfugiés qui fuient leur pays, comme des Somaliens ou des Erythréens. Enfin, il y a des personnes qui, au début du conflit, ont fui vers la Tunisie mais ne voyant pas d’avenir dans le camp de Shusha, sont rentrées en Libye pour tenter de partir par la mer.»

Au total, sur le port de Tripoli, plusieurs milliers de personnes seraient encore aujourd’hui en attente d’un passage maritime pour l’Europe. En principe, depuis la Libye, la traversée devrait durer un jour et demi. Mais au moindre ­incident, c’est la tragédie. «Pour fuir les bombardements, les immigrés sont prêts à s’embarquer en masse sur des gros navires délabrés, note Laura Boldrini. En cas de problème, le nombre de victimes est beaucoup plus important qu’autrefois quand ils embarquaient sur des petits bateaux.»

Dans le sillage des autorités italiennes, les ONG demandent aux bâtiments de l’OTAN de prendre en charge les navires chargés de migrants partis de Libye sans attendre qu’ils subissent une avarie. Mis en cause pour la tragédie de jeudi, un porte-parole de l’Alliance atlantique a nié vendredi tout refus d’intervention, soulignant que «l’OTAN répond et intervient toujours dans les situations d’urgence en conformité avec les dispositions du droit international». En attendant, le gouvernement de Silvio Berlusconi a réclamé une «enquête formelle» de l’OTAN et l’ouverture d’une discussion officielle pour «élargir la mission au secours des bateaux de migrants».

Eric Jozsef dans le Temps

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