samedi 6 août 2011

Expulsions forcées: la révolte des policiers

Dans une lettre que s’est procurée «Le Temps», la Fédération suisse des fonctionnaires de police accuse l’Office fédéral de migrations de ne pas écouter ses doléances et de mentir. La FSFP affirme que les policiers ne sont pas assez en sécurité lors des vols spéciaux.

Les policiers se rebellent. Après les images choquantes de «10 vor 10», le 7 juillet dernier, montrant deux policiers frappant un requérant débouté sur le tarmac de l’aéroport de Zurich, ils montent aux barricades pour se défendre. Dans une lettre de trois pages que Le Temps s’est procurée, la Fédération suisse des fonctionnaires de police (23 000 membres) déplore les problèmes de sécurité que les policiers peuvent rencontrer lors des expulsions forcées. Et accuse l’Office fédéral des migrations (ODM) de mensonge.

La lettre est datée du 22 juillet 2011. Elle est adressée à l’ODM et envoyée en copie à Micheline Calmy-Rey, Simonetta Sommaruga et à différentes institutions policières. Le ton est vif. La FSFP rappelle être déjà intervenue, par missive, à propos du vol spécial du 17 novembre 2009 vers le Nigeria, «lequel avait abouti à un fiasco sur le plan de l’organisation et de la sécurité». «Seul le hasard a voulu que personne n’y soit sérieusement blessé», révèle la lettre, en parlant de policiers «qui ont dû mettre en jeu leur intégrité physique dans le cadre des instructions reçues». Elle n’évoque à aucun moment le sort des requérants et encore moins la mort, en mars 2010, d’un Nigérian sur le tarmac de Kloten. Suite à ce drame, l’ODM a suspendu provisoirement les vols spéciaux. Pour réfléchir aux moyens d’éviter de nouveaux incidents graves.

«Apparemment les leçons des erreurs commises n’ont pas su être tirées. Avec la reprise des rapatriements à destination du Nigeria le 7 juillet 2011, les problèmes, les chaos, les détériorations et la violence ont été à nouveau de la partie», déplore la FSFP. «Cette situation est inacceptable (le mot est en gras dans la lettre, ndlr). Il est intolérable d’exploiter la volonté inépuisable de nos membres d’intervenir pour la sécurité de notre pays et le maintien de l’ordre – ainsi que de mettre en danger les personnes et les biens – simplement parce que l’on n’ose pas prendre les décisions qui s’imposent», poursuit la lettre. «Nous considérons qu’il est scandaleux que certaines personnes, devant quitter notre pays, se permettent de commettre des destructions dans l’avion et prennent la liberté de cracher au visage des forces de l’ordre, de les insulter et de les agresser physiquement, en vue d’échapper à une expulsion exécutoire vers leur pays d’origine.»

La FSFP ne s’arrête pas là. Elle juge «encore pire» le fait que l’ODM ait annoncé que le vol du 7 juillet s’était déroulé de façon positive et sans le moindre incident. «Cela ne correspond pas à la vérité et vous le savez. Nous nous demandons qui peut se permettre de tirer un tel bilan et de débiter un tel mensonge aux médias et – en fin de compte – à la population. Nous sommes profondément déçus de voir, d’une part, que les mesures de sécurité que nous jugeons absolument indispensables n’ont pas été prises, et d’autre part que les comptes rendus sont apparemment intentionnellement erronés.»

En clair, la FSFP accuse l’ODM d’être responsable du dérapage intervenu lors du dernier vol vers le Nigeria. Mais n’exprime pas de regrets quant aux brutalités policières filmées – un agent a frappé un requérant avec son poing, l’autre avec sa matraque. En raison d’exigences posées par le Nigeria après des mois de palabres, les personnes à expulser étaient moins ligotées que d’habitude donc plus aptes à se débattre.

«Nous sommes convaincus que la décision de prendre des mesures coercitives appropriées à la situation doit exclusivement incomber à la police compétente – bien entendu toujours dans le cadre légal. Comme d’autres pays le pratiquent déjà, le recours à des médicaments pourrait également représenter une possibilité», conclut la FSFP. Contacté, son vice-président, Jean-Marc Widmer, précise: «Lors du vol de novembre 2009, les requérants avaient réussi, cinq minutes avant l’atterrissage à Lagos, à se libérer des liens en plastique, et sont devenus violents. Nous voulons notamment que des menottes métalliques soient utilisées et que les requérants soient remis menottés aux autorités locales.»

L’ODM doit faire face à des critiques grandissantes à propos des vols spéciaux. Si les policiers veulent neutraliser davantage les personnes renvoyées de force, des ONG dénoncent régulièrement le «caractère inhumain» de ces expulsions. Les requérants sont généralement ligotés, ficelés, avec un casque de boxeur sur la tête et sont affublés de langes. Des médecins sont aussi montés au créneau. Le cardiologue Michel Romanens, président de l’association VEMS (Ethique et Médecine), estime que les médecins doivent refuser de cautionner ces vols (LT du 25.03.2011). Notamment parce que les soins, en cas de problèmes, ne peuvent pas être administrés rapidement à quelqu’un d’entravé.

Comment réagit l’ODM à ces nouvelles critiques? Le porte-parole Michael Glauser, visiblement étonné que Le Temps en ait eu vent, se contente de dire que l’ODM fournira une réponse écrite à la FSFP «dans les jours qui viennent». Et ne juge pas utile d’en parler publiquement. Le recours à des médicaments évoqué par les policiers? Il renvoie à la loi sur l’usage de la contrainte qui dit clairement que les médicaments ne peuvent pas être utilisés «en lieu et place de moyens accessoires» et qu’ils ne peuvent être «prescrits, remis ou administrés que selon des indications médicales et par des personnes autorisées à le faire en vertu de la législation sur les médicaments».

L’ODM a-t-il tiré des leçons de l’incident du 7 juillet? Juge-t-il que le dérapage est dû au fait que les requérants étaient moins attachés? La réaction de Michael Glauser tombe, froidement: «La réponse à cette question ne relève pas de la compétence de l’ODM mais du Ministère public du canton de Zurich.»

Valérie de Graffenried dans le Temps

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