Depuis deux ans, un nombre croissant de réfugiés africains s’installe dans la jungle brésilienne. C’est le destin de Nicolas Wilson.
Après avoir fui le nord-ouest de la République démocratique du Congo (RDC) et ses conflits ethniques meurtriers, Nicolas Wilson1 est devenu le premier réfugié originaire d’Afrique à s’installer dans la région amazonienne du Brésil. Son parcours reflète une tendance nouvelle dans le plus grand pays d’Amérique latine, où plus des deux tiers des réfugiés sont africains et installés en majorité dans le sud-est, près des ports de Rio de Janeiro et São Paulo.
«Nous voyons maintenant un nouveau type de réfugiés en Amazonie», assure Luiz Fernando Godinho, porte-parole du bureau local du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). «Cette région, qui reçoit surtout des personnes venues d’Amérique du sud, connaît un afflux en provenance d’Afrique. Un changement certes léger et discret, mais remarqué depuis deux ans.»
En effet depuis 2010, selon les Nations Unies, quelque 30 demandeurs d’asile africains se sont nouvellement établis dans les différents Etats de l’Amazonie. Pour la plupart migrants politiques, ils viennent aussi bien de Côte d’Ivoire, du Ghana, de Guinée-Bissau, du Nigeria et de la Sierra Leone, en Afrique de l’Ouest, que du Kenya en Afrique orientale, ou du Zimbabwe en Afrique australe, et de la RDC.
Et ils ne sont pas les seuls: cette immense portion de jungle – qui couvre plus de la moitié du territoire mais abrite seulement 10% de la population brésilienne – accueille à l’heure actuelle près de 140 réfugiés, venus surtout de la Bolivie voisine, et environ 700 demandeurs d’asile de différentes nationalités. Tous attendent leur sésame du gouvernement de Brasilia. La procédure peut durer six mois.
«La loi brésilienne va plus loin que celle de l’Onu car elle reconnaît comme réfugié toute personne dont les droits humains ont été violés massivement, explique Renato Zerbini, professeur de Droit international et coordinateur du Conare. Et La force de notre système d’accueil repose sur l’efficacité de la coordination entre les Nations unies, le gouvernement et la société civile.» Le Brésil accueille actuellement 4305 réfugiés, selon les chiffres du Comité national brésilien pour les réfugiés (CONARE), dont 65% d’Africains. En tête les Angolais (39%), suivi des Congolais de RDC (10%) et les Libériens (6%).
Jusqu’à présent, le Brésil n’a pas instauré de quotas pour limiter le nombre de réfugiés: avec un océan le séparant des traditionnelles routes migratoires d’Afrique ou d’Asie, il n’est pas une destination privilégiée. Du moins pas encore. Car la situation pourrait d’autant plus évoluer que le pays aux 192 millions d’habitants n’a pas fait de l’entrée illégale d’un étranger sur son sol un critère de refus de sa demande d’asile.
C’est probablement l’une des raisons qui a poussé Nicolas à débarquer à São Paulo fin 2009. Victime d’une fausse promesse d’embauche, il se rend à Manaus, la capitale de l’Etat d’Amazonas, la plus grande ville d’Amazonie. Sur place, avec l’aide de la Pastoral do Migrante, une organisation catholique qui assiste les migrants et les réfugiés, il dépose une demande d’asile auprès de la police fédérale et du CONARE. Requête acceptée en février dernier. Une première dans cette zone tropicale, réputée inhospitalière mais friande en main d’œuvre bon marché pour les activités agro-pastorales, minières ou forestières, qui grignotent chaque jour davantage la jungle.
Nicolas affirme avoir quitté son pays à cause de la guerre. En 2009, il a été missionné par son gouvernement pour organiser la répartition des terres et des vivres entre deux clans rivaux, au nord de la RDC. Mais le conflit s’est vite envenimé, avec l’implication de groupes lourdement armés. Accusé d’être un espion, il s’est caché dans la forêt avec des centaines de compatriotes, dont un grand nombre de femmes et d’enfants.
Cultivé, ce scientifique parle plusieurs langues: le lingala – un dialecte bantou congolais – le français, le swahili, l’anglais et le portugais. Mais le mot «saudade» (envie ou nostalgie en portugais) prend un sens nouveau pour lui quand il évoque sa famille, qu’il n’a pas revue depuis son départ. «Je souffre beaucoup de cette séparation», confesse-t-il. Il n’a pas les moyens de voyager, et rien à leur offrir à Manaus.
Il survit grâce à de maigres emprunts ou de petits boulots, et avec ce qu’il arrive à gagner en enseignant le français. Dans la précipitation de sa fuite de RDC, il n’a pas pu récupérer ses diplômes pour valider au Brésil l’équivalence de ses études universitaires, et ne peut trouver aucun poste dans son domaine d’expertise: la géo-informatique et la détection à distance. Mais il ne perd pas espoir.
Fabiola Ortiz et Sandra Titi-Fontaine dans le Courrier
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire