L’affaire des milliers de demandes d’asile restées en rade à l’Office fédéral des migrations scandalise les organisations de défense des réfugiés.
Dans les milieux de défense des migrants, la consternation règne après la découverte de 7000 à 10 000 demandes d’asile d’Irakiens laissées en déshérence dans les ambassades suisses d’Egypte et de Syrie. L’affaire a été révélée mercredi par la cheffe du Département fédéral de justice et police (DFJP), Simonetta Sommaruga, qui a annoncé dans la foulée l’ouverture d’une enquête (notre édition d’hier). Selon la conseillère fédérale, l’Office fédéral des migrations (ODM) a ordonné en 2006 aux ambassades – décision confirmée en 2008 – de ne pas traiter ces dossiers. Avec d’autres pays, la Suisse aurait confié ces requérants au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).
A ce stade, le déroulement des faits et les responsabilités politiques sont encore à définir (lire ci-contre). Mais la violation des procédures d’asile n’en est pas moins évidente, estiment divers organismes d’aide aux réfugiés. «Toute personne a le droit de voir sa demande d’asile traitée dans le cadre d’une procédure équitable», rappelle Denis Graf, de la section suisse d’Amnesty International. «Or ceci n’a pas eu lieu pour des milliers de requérants, nous sommes choqués.»
«Les faits doivent être établis»
L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) est également «consternée». «Parmi ces requérants figuraient certainement des gens ayant besoin d’une protection de la Suisse», relève Adrian Hauser, son porte-parole. «La loi sur l’asile exige que les demandes soient examinées. Il n’y a aucune excuse à ne pas la respecter.»
Et les circonstances atténuantes avancées mercredi par Simonetta Sommaruga n’y changent rien. La ministre a notamment laissé entendre que ces requêtes, lacunaires, avaient peu de chance d’aboutir alors que l’Egypte et la Syrie étaient à l’époque considérées comme des pays sûrs. «L’administration a précisément le devoir de faire en sorte que les faits soient établis avant de se prononcer, rétorque Denise Graf. Ce principe a été violé, l’ODM devait ordonner à l’ambassade d’auditionner ces personnes pour compléter leur dossier ou leur remettre un questionnaire.»
La Syrie, un pays sûr?
Car la prétendue sécurité des réfugiés dans ces pays est discutable, poursuit Marie-Claire Kunz, chargée du secteur réfugiés au Centre social protestant à Genève: «La situation en Syrie est très volatile, on le voit bien aujourd’hui. Y avait-il un risque de persécution ou de refoulement vers l’Irak? Cela fait partie des questions auxquelles l’ODM devait répondre dans le cadre d’une procédure au cas par cas.»
A titre d’exemple, elle évoque la situation des Kurdes, qui sont considérés en Syrie comme «sans nationalité» et bénéficient de «très peu de droits». Quant à savoir si des Kurdes irakiens figuraient parmi les 7000 à 10 000 dossiers laissés en rade, «seul un examen aurait pu le dire». Denise Graf ajoute: «A l’image des Palestiniens d’Irak, persécutés après la chute de Saddam Hussein et néanmoins refoulés par Damas, on peut considérer que certains groupes ne sont pas les bienvenus en Syrie.»
Pour Marie-Claire Kunz, il est tout aussi difficile d’affirmer que le HCR était en mesure de prendre en charge ces gens durablement. «Pendant combien de temps et avec quelles garanties?» interroge-t-elle. Autant de questions qui demeurent, à ce stade, sans réponse.
Mario Togni dans le Courrier
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L’ombre de Christoph Blocher
Quel rôle a joué Christoph Blocher dans la mise au placard de milliers de demandes d’asile? Dans le Tages-Anzeiger d’hier, l’ancien conseiller fédéral UDC admet qu’il était au courant de cette pratique et va jusqu’à la justifier. On ne sait pas en revanche si c’est Christoph Blocher lui-même qui a pris la décision de laisser ces dossiers en souffrance. Selon la Radio suisse romande, la Commission de gestion du Conseil national enquêtera sur cette affaire.
Chef du Département de justice et police (DFJP) jusqu’à fin 2007, Christoph Blocher s’est montré peu enclin à desserrer la vis face à la détresse des Irakiens. En 2007, un bras de fer l’opposait à la ministre des Affaires étrangères Micheline Calmy-Rey. Le ministre UDC ne voulait pas d’un contingent de 500 réfugiés irakiens proposé par la socialiste. Pour lui, la Suisse en faisait assez en accueillant 5000 Irakiens sur son sol. Le Conseil fédéral a suivi son avis et refusé de donner suite à l’appel du Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations Unies (HCR), qui demandait aux pays industrialisés d’accueillir au moins 20 000 réfugiés particulièrement vulnérables. En comparaison, quelque 2 millions d’Irakiens avaient trouvé refuge dans les pays voisins, notamment en Syrie et en Jordanie.
Sur les 7000 à 10 000 demandes classées sans suite, environ la moitié ont finalement été traitées. Avec toujours la même réponse – négative. «Aucune de ces personnes n’a obtenu l’asile», a indiqué mercredi la ministre Simonetta Sommaruga.
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Le HCR étonné
Directrice du Bureau de liaison en Suisse du Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations Unies (HCR), Susin Park n’est «pas au courant d’un accord» avec la Suisse concernant la prise en charge des réfugiés irakiens en Syrie et en Egypte. «Nous sommes en train de clarifier la question à l’interne», précise-t-elle. Un tel accord dispenserait-il pour autant la Suisse de traiter les demandes d’asile? «Ce ne serait pas usuel», glisse Susin Park, qui se dit «étonnée» par cette affaire. En Syrie, le HCR a procédé à l’enregistrement des réfugiés. Il a également mis sur pied un programme pour les plus vulnérables, comprenant l’accès aux soins et à l’école.
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