Des jambes noires foulent un sol rouge marqué d’une croix suisse. L’affiche de l’UDC «contre l’immigration de masse», du titre de l’initiative qu’elle a lancée hier, est dans la droite ligne du langage visuel auquel le premier parti de Suisse a jusque-là recouru. Stigmatisant, il joue sur le registre de la peur en traduisant le fonds de commerce anti-étrangers qui a fait son succès. Trois jours après l’attentat et la fusillade terroristes en Norvège, la question de l’impact de telles images, mais surtout du discours de haine qu’elles véhiculent, est d’une sinistre actualité.
Contrairement aux explications qui ont circulé dans un premier temps, le drame qui secoue le royaume nordique n’est pas le fait d’islamistes barbus, mais d’un chrétien blond aux yeux bleus en croisade contre l’islam, l’immigration et le marxisme – il affirme en tout cas avoir agi seul. Certes, la menace djihadiste est objectivement la plus importante depuis le 11-Septembre, mais l’Europe a du coup négligé le risque venant des milieux de l’extrême droite. Avec la tragédie vécue par la Norvège, le Vieux-Continent se réveille brutalement d’une léthargie coupable.
Car si Anders Breivik semble avoir choisi tout seul d’abattre froidement ses innocentes cibles, la pieuvre populiste et nationaliste qui étouffe l’Europe lui a largement fourni le fusil idéologique. En Norvège, le Parti du Progrès, nationaliste et xénophobe, a recueilli plus de 22% des suffrages aux élections législatives de 2009 et sa leader, Siv Jensen, a fait de l’islamophobie la matrice de son discours politique, a rappelé en France le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples. «Ceci ne pouvait rester sans conséquences», a-t-il ajouté, se faisant immédiatement accuser de récupérer cette douloureuse actualité par Marine Le Pen, présidente du Front national. Celle-ci, à l’instar des leaders xénophobes européens, a fermement pris ses distances avec la tuerie attribuée à un déséquilibré isolé.
Le lien factuel n’existe peut-être pas. Mais, outre le basculement dans la violence et le terrorisme, pas grand-chose ne différencie le fond idéologique du tueur d’un Geert Wilders, chef de file de l’extrême droite néerlandaise qu’Oskar Freysinger voulait inviter chez lui. En boutant le feu xénophobe, on ne sait jamais jusqu’où il va se propager.
Les formations nationaliste populistes ne sont pas seules en cause, puisqu’elles ont aspiré dans leur sillage bien des partis «traditionnels». La responsabilité de ces derniers est encore plus engagée, car au lieu de combattre l’idéologie de la haine, nombreux l’ont encouragée. Un exemple parmi tant d’autres? La Franco-Norvégienne Eva Joly, d’Europe-Ecologie, a été l’objet d’un racisme d’Etat pestilentiel lorsque le premier ministre français François Fillon (UMP) a considéré sa remise en cause du défilé militaire du 14 juillet illégitime en raison de son origine.
En Suisse aussi, la propagande xénophobe sape dangereusement la cohésion sociale, en transformant la démocratie en poubelle à émotions. Ou plutôt en une cocotte-minute prête à exploser.
Rachad Armanios dans le Courrier
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