La découverte d’une liste de gendarmerie qui associe, au mépris de loi, «délinquance itinérante» et «minorités non sédentarisées» provoque la colère des associations.
Quatre associations ont déposé plainte contre un «fichier ethnique, illégal et non déclaré» de la gendarmerie sur les Roms et les gens du voyage. L’existence de tels fichiers interdits a toujours été niée par le gouvernement français.
Comme l’a révélé Le Monde daté du 8octobre, l’action en justice de la Voix des Roms, l’Union française d’associations tsiganes (Ufat), la Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les Gens du voyage (Fnasat) et l’Association nationale des gens du voyage catholiques (ANGVC), s’appuie sur des documents de l’Office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI), dirigé par un colonel de gendarmerie, et destinés à «effectuer une généalogie des familles tsiganes», ce qui «ne semble possible qu’avec l’utilisation d’un fichier» dénommé Mens, pour «Minorités ethniques non sédentarisées».
«Généalogie» Les avocats Mes William Bourdon, Henri Braun et Françoise Cotta ont découvert sur Internet la présentation des missions de l’OCLDI par un chef d’escadron lors d’une conférence à Lille, en 2004. Ce gendarme expose «la généalogie des familles tsiganes», région par région, et attribue à chacune des habitudes délinquantes : vols de bijoux, trafic de voitures, blanchiment, etc. Les «groupes à risques» répertoriés décomposent «les gens du voyage» en deux ethnies («Manouches et Gitans»), puis les distinguent des «délinquants itinérants en provenance des pays de l’Est» et «des équipes de cités». Enfin, un «état numérique des interpellations de Roms (étrangers) par la gendarmerie» les classe par nationalité.
Le représentant de l’Office utilisait ce tableau litigieux lors de conférences comme lors de la «formation des chefs de sûretés départementales ou urbaines», en juin 2005, ou à Bucarest (Roumanie), en avril 2004, pour exposer le travail de la Cellule interministérielle de liaison sur la délinquance itinérante (Cildi), montée en France pour constituer «un réseau de correspondants dans les pays étrangers».
Selon les plaignants, ces documents «attestent de l’existence d’un fichier des interpellations des Roms (ethnie) nationalité par nationalité», de surcroît «non déclaré» à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), comme c’est obligatoire. Me Bourdon a mandaté mercredi un huissier de justice pour «rechercher la trace» de Mens sur le Net et assure qu’il a obtenu une «liste de résultats», bientôt transmise au procureur de la République de Paris.
Ces documents suspects étant datés de 2000 à 2004, une autorité de la gendarmerie nationale a indiqué à Libération : «C’est un vieux truc ! A ma connaissance, il n’a jamais existé de fichier Mens à proprement parler, mais des données Mens utilisées dans le fichier généalogique tenu par l’OCLDI jusqu’à sa suppression, fin 2007.» Ce ponte de la gendarmerie, à laquelle incombe la sécurité dans les zones rurales et par conséquent la délinquance itinérante, rapporte que ses pairs «employaient des vocables divers comme manouches ou gitans» mais qu’une circulaire du 25 mai 1992 leur a demandé «d’utiliser le terme plus correct de "minorités ethniques non sédentarisées» (Mens). Ensuite, sur le fichier généalogique de la délinquance itinérante, des personnes étaient identifiées en tant que Mens, et il y a fort à parier qu’il y avait plein de gens du voyage. Mais cela remonte à l’époque où les fichiers n’étaient pas en règle. Depuis, la police et la gendarmerie ont fait le ménage.»
Supprimé. Ce haut gradé de la gendarmerie assure que «l’intégralité des fiches de ce fichier généalogique a été supprimée il y a près de trois ans, on a fait de l’ordre sans attendre que ça sorte dans les médias». Le ministère de l’Intérieur «précise qu’il n’a pas connaissance d’un tel fichier» Mens, mais affirme également que «le fichier généalogique» de l’OCLDI a été supprimé le 13 décembre 2007, «conformément aux obligations de la loi».
Le communiqué du cabinet de Brice Hortefeux précise que «demeure seulement en vigueur la base de données de suivi des titres de circulation délivrés aux personnes sans domicile ni résidence fixe, base de données autorisée par un arrêté interministériel du 22 mars 1994 et après avis de la Cnil», selon lui. Un «contrôle dans les bases de données de la gendarmerie nationale» a été demandé à un groupe présidé par le criminologue Alain Bauer.
Si elle était confirmée, l’existence d’un «fichier ethnique» toujours niée par les autorités françaises relancerait le tollé né des expulsions de Roms, reprochées à la France dans le monde entier.
Patricia Tourancheau dans Libération
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