Aucune décision n'est irréversible: après avoir présenté le renvoi des Selimi comme inéluctable, Berne a délivré à cette famille kosovare installée à Carouge un permis humanitaire. Le père, Musa, clandestin en Suisse depuis vingt ans, a vécu mercredi «le plus beau jour de sa vie». Joie, soulagement: l'émotion était partagée par cet homme, sa femme, ses deux filles et l'ensemble des personnalités et anonymes qui ont déployé une énergie du diable pour gripper l'appareil étatique.
Malgré les dénégations, c'est sans aucun doute cette pression qui a fait fléchir la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf et son cerbère Alard du Bois-Reymond, chef de l'Office des migrations.
C'est une excellente surprise. Car la médiatisation de sans-papiers ou de requérants d'asile afin d'éviter leur expulsion est à double tranchant: sous l'oeil des caméras, les autorités sont mises au défi de maintenir le cap de la politique très restrictive qu'elles vendent à leurs électeurs.
Le destin tragique de Mirta Palma est éloquent. Cette sans-papiers équatorienne s'est fait faucher sur un trottoir de la place Bel-Air, à Lausanne, par une voiture. En plus de graves séquelles, l'accident lui a valu d'attirer sur elle l'attention de la police des étrangers. Elle est menacée d'expulsion et son recours n'a pour l'heure pas fait vibrer la corde sensible de Mme Widmer-Schlumpf.
Le chanteur Alain Morisod, fer de lance médiatique de la croisade en faveur des Selimi, se dit pourtant fier de notre ministre, dont le coeur, au fond, n'est pas fait que de pierre. Le happy-end de mercredi soulagera probablement les consciences: notre politique d'asile est ferme, mais humaine. C'est du moins le message qu'a choisi de délivrer Mme Widmer-Schlumpf plutôt que de poursuivre un bras de fer devenu contre-productif – n'oublions pas qu'Alain Morisod chante sur les mêmes terres populaires que les xénophobes...
De Genève à Berne, on loue la «parfaite intégration» des Selimi, qui gagnent le droit de devenir des citoyens modèles. Un discours là encore à double tranchant, car il s'insère dans la justification des régularisations seulement au cas par cas. Une fumisterie: en Suisse, seuls Genève et Vaud adressent de telles demandes à Berne, et les régularisations sont des gouttes d'eau par rapport aux 150000 clandestins en Suisse. Cette main-d'oeuvre corvéable à merci est maintenue dans la précarité afin d'être mieux exploitée.
Il fut un temps où le gouvernement genevois se battait pour la régularisation collective des sans-papiers du canton. Désormais, Isabel Rochat se contente d'appeler Musa Selimi pour le féliciter.
Editorial de Rachad Armanios dans le Courrier
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire