Image © Isabelle Favre
L'Ukraine étant considérée par la Suisse comme un pays sûr, la famille Boldyreva a vu sa demande d'asile rejetée.
Lilia Boldyreva et ses cinq enfants rescapés du Monte Lema (TI) tentent de récolter 60'000 francs avant de rentrer en Ukraine.
Victor Fingal - le 10 février 2009, 00h13
Le Matin
Le compte à rebours a commencé. La famille ukrainienne qui s'était égarée sur le Monte Lema (TI) en janvier 2008 et avait failli mourir de froid en franchissant la frontière italo-suisse est sur le point de regagner sa patrie d'origine. Le Tribunal administratif fédéral (TAF) avait en effet confirmé en novembre dernier une décision de l'Office fédéral des migrations (ODM), qui avait rejeté la demande d'asile, l'Ukraine étant considérée par la Suisse comme un pays sûr. La famille ukrainienne, qui vit encore à Martigny, va obtempérer. Mais avant elle tente de réunir en urgence quelque 60'000 francs pour pouvoir s'acheter une maison sur place.
«En Ukraine, les locations d'appartement ne sont pas développées comme en Suisse. Nous sommes obligés d'acquérir un logement si nous voulons avoir un toit», précise Oksana Boldyreva, 22 ans, qui s'exprime dans un français des plus corrects au nom de la famille. Une quête placée sous le signe de l'urgence. «Ce n'est plus qu'une question de jours, nous nous attendons à devoir partir dans le courant de février.»
C'est Lilia, la maman de 43 ans, qui a entraîné les siens dans un périple insensé. Une mère tantôt admirée pour sa foi et sa volonté, tantôt décriée pour les risques qu'elle a fait prendre à sa famille. Une mère Courage, qui a engagé sa progéniture dans un périple de huit ans à travers l'Europe pour échapper, dit-elle, à un mari violent et à des représentants de l'autorité en place qu'elle ne veut plus nommer à cause des répercussions possibles lors de son prochain retour.
Délire ou réalité? Difficile de faire le tri. Oksana, par contre, est plus précise: «Nous appartenons à une minorité russophone vivant en Ukraine près de la frontière russe. Nous sommes baptistes dans une région à majorité orthodoxe. Quand nous étions enfants, nous subissions des vexations et même des attaques physiques violentes, comme des coups de pied dans la figure, de la part d'autres élèves.»
Permis humanitaire refusé
Le désespoir de cette famille qui était restée bloquée par un demi-mètre de neige, passant deux nuits de janvier à la belle étoile, avait ému le pays. Un élan de solidarité, surtout au Tessin, où les oeuvres d'entraide catholiques avaient récolté plus de 700 signatures, avait obligé le Conseil d'Etat à se mobiliser. Le Tessin demandait à Berne l'octroi d'un permis humanitaire et se disait prêt à accueillir la famille en perdition. Peine perdue.
«La famille Boldyreva est coupable d'avoir joué cartes sur table», relève Philippe Rothenbühler, le pasteur de l'Eglise évangélique de Martigny qui a pris les Ukrainiens sous son aile. Et l'homme d'Eglise d'ajouter: «Je connais des candidats à l'asile qui ont obtenu des permis sous de faux noms après avoir été expulsés une première fois du pays.» Le sort des enfants présents lui tient particulièrement à coeur.
D'autant plus que celui de deux filles de Lilia est incertain. Elles avaient quitté le bateau alors que la famille séjournait dans un camp pour réfugiés en Hongrie. Svetlana, 18 ans, aurait été adoptée par une famille hongroise. Ludmilla, 20 ans, vivrait en clandestinité en Autriche. Restent, outre Oksana, les quatre autres enfants qui ont suivi leur mère: Alex, 16 ans, Denis, 15 ans, Maxim, 11 ans, et Alona, 10 ans. Tous parlent déjà le français après une année en Suisse. Alona suit une école primaire à Martigny. «C'est elle qui parle le mieux le Français», explique fièrement la maman. Les autres ont été placés dans des classes pour étrangers. Oksana, la plus âgée, parle sept langues, glanées au cours de son périple et des différentes écoles qu'elle a dû fréquenter. «J'aurais aimé devenir traductrice», confie la jeune femme. Mais le sort en a décidé autrement. Avec sa mère, elle va ouvrir un petit magasin de légumes à Donyeck, près de la frontière russe, pour subvenir aux besoins de la famille.
25'000 francs déjà récoltés Une fois en Ukraine et s'ils réalisent leur projet d'ouvrir un petit magasin de légumes, la fondation suisse de Service social international leur versera encore 5000 francs. La famille ukrainienne tente actuellement de récolter les 30'000 francs manquant par le biais de donations faites à l'Eglise évangélique de réveil à Martigny. |
Huit années d'errance Dès lors, Lilia est persuadée que le salut des siens passe par la Suisse. Mais deux des filles refusent de suivre leur mère. Les cinq autres enfants acceptent le pari de leur maman, et la famille quitte la Hongrie le 9 janvier 2008. Elle passe par l'Autriche et l'Italie. Une organisation d'aide aux SDF va les prendre en charge une nuit à Milan. Par deux fois, ils tenteront d'obtenir un visa par le biais du consulat. Sans succès. Malgré un sit-in de protestation organisé devant la représentation suisse le 12 janvier. Lilia décide alors de tenter le tout pour le tout, sans tenues d'hiver adéquates et juste munie d'un talkie-walkie, elle veut traverser la frontière italo-suisse. La famille en perdition - l'un des fils souffrant de graves gelures - sera secourue le 20 janvier par un hélicoptère de la Rega. Avant d'être placés à Martigny, les Ukrainiens ont passé par les centres de Chiasso et du Bouveret. |
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