Un article de Laurent Grabet (textes) et Pascal Frautschi (photos) dans 24 Heures.
Ici, son destin hors normes est la norme. Le sourire lumineux d’Hiwet la révèle davantage que son anglais approximatif. Ce qu’il semble démentir en revanche, c’est que ce petit bout d’Erythréenne de 29 ans a passé dix ans dans l’armée, dont cinq au front. Enrôlée de force dans la guerre que son pays livrait à l’Ethiopie voisine. Comme 314 autres requérants de 45 nationalités différentes, la jeune femme a trouvé refuge dans ce grand immeuble blanchâtre de trois étages planté à Anières, au milieu de la campagne genevoise.
Le centre d’accueil est censé accueillir un maximum de 280 personnes. Depuis l’été, cette «porte d’entrée sur la Suisse», où la plupart des pensionnaires passent six mois, bouchonne. «Nous sommes remplis à 113%, explique son directeur, Gabriel Fratianni.
Depuis 2004 pourtant, nos effectifs baissaient et nous tablions sur une quarantaine d’arrivées par mois. Aujourd’hui, il y en a une centaine ! L’explosion du nombre de demandeurs d’asile en Suisse nous a obligés à aménager quatre dortoirs.»
En quarantaine pour cause de tuberculose !
Conséquence: Jonathan, requérant nigérian de 27 ans, est entassé dans l’un d’eux avec une quinzaine d’autres célibataires. En septembre, cette pièce en hébergeait seulement six. Son nettoyage, confié aux occupants, laisse donc à désirer. Le sol est sale. «Cette casserole graisseuse traîne sur la table depuis ce matin, se plaint Jonathan en tripotant son permis N de requérant. Ces personnes n’appartiennent pas à notre ethnie. Nous nous parlons avec les mains, et c’est difficile de s’entendre sur le ménage ou de trouver le coupable quand notre nourriture disparaît du frigo.»
Il n’est en effet plus possible de regrouper les personnes sur des critères de «compatibilité nationale». Ainsi, parfois, Ethiopiens et Erythréens se retrouvent dans une même chambre, Africains et ressortissants des pays de l’Est sur un même lit superposé. La promiscuité multiplie les tensions et les vols; et, de l’aveu même du directeur, elle détériore les conditions sanitaires. Les personnes atteintes de varicelle, de gale et de tuberculose sont mises en quarantaine dans une chambre qui a dû être spécialement aménagée dans une annexe.
De leur côté, les dix assistants sociaux ne chôment pas. En moyenne, chacun d’entre eux s’occupe de 67 requérants. «Soit 27 de trop!» selon Gabriel Fratianni. Certains doivent même s’atteler aux lourdes et nombreuses tâches administratives. «Nous aimerions travailler plus en profondeur, mais il nous faut plutôt enchaîner les discussions entre deux portes», déplorent de concert Nina Spahr et Fanny Zurcher, fraîchement engagées pour maintenir le navire à flot.
Des cours pris d’assaut
Les cours de français affichent complet. Sur le tableau blanc, les pays d’origine des élèves sont listés en couleur à côté de quelques mots de base: Iran, Syrie, Irak, Erythrée, Somalie, Tanzanie, Sri Lanka. «Nous avons dû doubler le nombre de nos professeurs bénévoles. C’est bien, mais il faudrait faire plus», explique Corinne, la responsable de l’enseignement. Les bonjours de tous les accents saluant son passage dans les couloirs prouvent que ces efforts sont appréciés.
La majorité des requérants sont arrivés en Suisse récemment. Aucune lassitude ou rancœur n’a eu le temps de s’installer. L’espoir est de mise. Le tour de vis sur l’asile promis par la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf (lire ci-contre) risque de changer la donne. La rayonnante Hiwet pourrait alors devoir quitter les statistiques. «Mais probablement pas le pays», pronostique un assistant social.
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