lundi 31 octobre 2011

Condamnés à mort pour cause de mariage, ils vivent en Suisse

Traqué par son propre clan, un couple de Pakistanais entame une nouvelle vie en Suisse. Témoignage.

sami et sara

«Sara* était condamnée à être enterrée vivante. Quand la tribu a su que je l’avais épousée, ils m’ont également condamné à mort», explique Sami* (27 ans). Une traque commence alors dans une grande ville du Pakistan. Elle durera une année. Une année pendant laquelle le couple se fait héberger en changeant d’endroit toutes les semaines. «Ils ont essayé de nous tuer trois fois avec des armes à feu. Nous n’étions en sécurité nulle part.» En avril 2011, quand Sami arrive en Suisse avec sa jeune épouse Sara (21 ans), le couple est aux abois.

L’histoire de Sara et de Sami ressemble à beaucoup d’autres au Pakistan. Les tribunaux tribaux (jirga) condamnent à mort des centaines de femmes chaque année. Le crime de Sara? Refuser d’épouser son cousin. Une affaire d’honneur dans la province du Sindh, où les femmes sont considérées comme des biens d’échange entre les familles. «Ma famille s’est plainte auprès du jirga , raconte Sara. Je suis devenue kari , c’est-à-dire un mouton noir.» Sara parvient à s’échapper, rejoint la ville de la province et contacte Sami, qui a grandi dans son village.

«Personne ne pouvait nous aider, ni la police, ni les autorités, ni les médias, si je n’avais pas une relation officielle avec elle», explique Sami. Ils se marient. Mais cela ne résout rien: il devient à son tour un karo , un mouton noir. Leurs têtes à tous deux est mise à prix. La tribu fait détruire la maison de Sami au village. Ses parents et sa sœur sont blessés. La loi pakistanaise interdit les jugements karo-kari , mais l’influence des clans reste puissante. Les pressions sont immenses: sur les familles pour qu’elles exécutent les sentences elles-mêmes, et sur la police pour qu’elle ferme les yeux.

En danger jusqu’ici

La Fondation Surgir, à Lausanne et à Genève, est alertée de la situation par une ONG asiatique, fin 2010. «Nous avons correspondu pendant trois mois par internet, puis nous avons obtenu un permis humanitaire pour Sara et Sami», explique Jacqueline Thibault, fondatrice et présidente de Surgir. Soutenu par la fondation, le couple loge dans un petit studio, prend des cours accélérés de français. Sami, bardé de diplômes dans son pays, a trouvé un job modeste dans une entreprise de transports. Sara, issue d’une famille riche qui n’avait pas besoin de travailler, fait des ménages. Ils ne retourneront jamais au pays: «Trop dangereux.» Leur vie est ici. Ils évitent de raconter leur histoire, car si la tribu retrouve leur trace, où que ce soit, ils ne seraient pas à l’abri de représailles.

Comme tous les pays occidentaux, la Suisse n’est pas à l’abri des crimes d’honneur. Le pays se souvient de la tragédie survenue à Zurich en mai 2010, où un père pakistanais a tué sa fille de 16 ans à coups de hache.

La Suisse en retard

«Il y a peu de crimes d’honneur officiellement recensés comme tels, mais les menaces sont bien réelles», prévient Jacqueline Thibault. La Fondation Surgir, créée en 2000 sous l’impulsion d’Edmond Kaiser, accueille et aide des victimes de l’étranger, réfugiées en Suisse, en France et en Italie. Environ vingt-cinq personnes et leurs enfants. Elle lutte aussi pour que ce problème soit pris au sérieux par les autorités: «En Grande-Bretagne ou en Belgique, les polices sont formées à décrypter les menaces, les mariages forcés, les crimes maquillés. En Suisse, tout reste à faire.»

La conseillère nationale Bea Heim (PS/SO) a déposé une motion en 2010 pour que la Suisse mette en place une politique de prévention. Sans succès. «La Suisse sous-estime le danger», regrette Jacqueline Thibault, qui vient d’éditer une plaquette sur les crimes d’honneur en Europe. Cette humanitaire, qui a écrit en 2006 Brûlée vive avec Souad (une Palestinienne victime d’un crime d’honneur), se bat pour que l’horreur ne devienne jamais banale. «Il faut que les gens sachent que dans certains pays les chiens sont mieux traités que les femmes, conclut Sami. Ce n’est pas une question de religion, mais de traditions ancestrales .»

* Prénoms d’emprunt

Patrick Chuard dans 24 Heures

Aucun commentaire: