Berne réfute avoir voulu maquiller les statistiques en ne traitant pas dix mille demandes d’asile.
C’est à la demande de l’ambassadeur de Suisse en Syrie que l’Office fédéral des migrations (ODM) a décidé de ne pas traiter 7000 à 10 000 demandes d’asile déposées par des ressortissants irakiens. C’est ce qui ressort de documents officiels produits jeudi soir par l’émission 10 vor 10 de la TV alémanique.
Selon ces documents, l’ambassadeur en poste à l’époque à Damas, Jacques de Watteville, aujourd’hui chef de la Mission suisse auprès de l’Union européenne, est intervenu en novembre 2006 auprès de l’ODM pour l’inciter à ne pas réagir aux quelques 2000 lettres d’Irakiens reçues par ses services. Le diplomate craignait en effet une avalanche d’autres demandes, voire des attroupements aux portes de l’ambassade de Suisse, avec à la clé des risques pour la sécurité de son personnel.
Raison pour laquelle, dans sa lettre, Jacques de Watteville enjoint Berne à «adopter une approche coordonnée avec les autres ambassades occidentales concernées et avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, sinon nous risquons d’attirer à nous toutes les demandes d’asile et d’être submergés.»
Statistiques maquillées?
A la suite de cette démarche, l’ODM accepte de ne pas répondre aux demandes d’asile, «momentanément». Ce n’est que début 2010 que leur traitement débutera. Pourquoi si tard? Les autorités suisses de la migration en ont-elles profité pour maintenir les chiffres de l’asile à un niveau artificiellement bas? «Je ne vais pas me risquer à de telles suppositions. Mais il est clair que les statistiques de l’asile de l’époque ne peuvent plus être lues au pied de la lettre», affirme Denise Graf, d’Amnesty International. «Dix mille demandes d’asile ignorées sur deux ans, cela fait une différence assez énorme.»
Sous couvert de l’anonymat, un cadre de l’ODM conteste toute intention de maquiller les chiffres à l’époque. Pour sa part, le porte-parole de l’office, Michaël Glauser, explique que ces demandes déposées dans les ambassades n’apparaissent de toute manière pas dans les statistiques officielles, à moins que le requérant d’asile ait reçu le droit de venir en Suisse à l’issue d’un premier examen de son dossier par l’ODM (c’est le cas de 1295 personnes actuellement). Aucune malice là-dedans, assure le porte-parole. «Cela s’est toujours fait comme ça.»
Tour de vis contesté
Pour le reste, tout le monde préfère rester à couvert dans l’attente des résultats de l’enquête externe mandatée sur cette affaire par la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, cheffe du DFJP. A cette enquête administrative pourrait s’en ajouter une autre, plus politique, si la commission de gestion suit lundi la proposition de sa présidente, la socialiste genevoise Maria Roth-Bernasconi.
En parallèle, la gauche réclame du Conseil fédéral qu’il renonce, à la lumière de cette affaire, à supprimer la possibilité de déposer une demande d’asile dans les ambassades de Suisse à l’étranger. Le gouvernement veut serrer la vis en raison de l’inflation du nombre de ces requêtes (665 en 2000, 3963 en 2010, 4247 depuis le début 2011), arguant que la Suisse est le dernier pays européen à offrir cette porte d’entrée à sa procédure d’asile. Le dossier est entre les mains du parlement, et la ministre Simonetta Sommaruga le laissera suivre son cours, indique-t-on dans ses services.
Enfin, la Télévision suisse romande affirmait hier soir que trois conseillers fédéraux au moins savaient que des milliers de demandes d’asile d’Irakiens étaient en souffrance à l’ODM. Outre l’ex-ministre Christoph Blocher (UDC), qui admet désormais les faits, l’entourage direct de Micheline Calmy-Rey (PS) et d’Eveline Widmer-Schlumpf (PBD) aurait été informé.
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