Offensé par de nouvelles attaques, contre «Vol spécial», Fernand Melgar sort de sa réserve. Il réfute la «propagande mensongère» de Paulo Branco.
A Locarno, Paulo Branco, président du jury, a qualifié de «fasciste» Vol spécial, le documentaire que Fernand Melgar a ramené du centre de détention de Frambois, où les déboutés de l’asile attendent leur expulsion. Le producteur portugais avait encore du venin à exprimer. Dans une interview publiée par 24 heures, il réitère ses insultes et clame son indignation. «Je n’ai jamais vu un film aussi obscène que Vol spécial.» Il dénonce le collaborationnisme des spectateurs, la complicité du réalisateur avec les bourreaux. L’archaïsme idéologique confine au délire paranoïaque, multiplie les erreurs de fait, les insinuations mensongères et les divagations – il faut oser tirer un lien entre le Prix du Jury œcuménique attribué à Vol spécial et les accointances du Vatican avec les nazis pendant la guerre.
La violence de cette nouvelle attaque a déterminé Fernand Melgar à sortir de sa réserve. Car ce n’est pas seulement lui, mais tous les partenaires du film, et encore le Festival de Locarno et la Suisse que le parrain vieillissant du cinéma d’auteur insulte.
Fernand Melgar a demandé à 23 personnes, autorités politiques ou responsables culturels, dont Didier Burkhalter, Jean-Frédéric Jauslin, Marco Solari, Olivier Père ou Gilles Marchand, de prendre position face au terrorisme intellectuel. En attendant les réponses, le cinéaste lausannois réfute les contrevérités de son détracteur.
Paulo Branco trouve scandaleux que «Vol spécial» montre les images d’un immigré décédé.
Fernand Melgar: «Le premier argument sur lequel il base sa dénonciation est que j’aurais construit le film autour d’un pensionnaire dont je savais qu’il allait mourir. Or ce Nigérian, décédé pendant un vol spécial, n’était pas détenu à Frambois. Il me semble que c’est évident pour qui a vu le film…»
Paulo Branco ressasse l’épithète «complice».
Fernand Melgar: «C’est le seul point sur lequel je supporterais d’entrer en matière. On assistait aux réunions de travail des surveillants, on savait qui allait être expulsé. Mais nous avions le consentement de tous les gens que nous filmions. Nous avons passé un contrat avec eux, ils ont signé des autorisations de tournage. A tout moment, ils pouvaient décider de disparaître du film. Et puis les détenus ne sont pas idiots. On leur a dit qu’on connaîtrait avant eux le moment de leur expulsion. Réponse unanime: «De toute façon, c’est foutu pour nous. Ce qui compte, c’est qu’on ne nous oublie pas, qu’on sache ce qui se passe.» Ils nous ont demandé d’être là, jusqu’au bout, jusqu’à l’entravement, parce qu’ils avaient peur. Branco est dans la confusion totale lorsqu’il croit qu’une personne va se faire tuer et que nous sommes les complices du meurtre.»
Paulo Branco déplore l’absence de contestation ou de révolte.
Fernand Melgar: «Je pourrais m’enchaîner au grillage de Frambois en criant «Je ne partirai pas, moi, Fernand Melgar, cinéaste engagé.» Je ne fais pas des films militants, mais un cinéma de responsabilité collective. Je suis responsable de ce que je filme, le directeur du centre est responsable de ses actions. Mais vous, qui regardez le film, vous êtes aussi responsables. Pour Branco, le directeur de Frambois, c’est le Mal absolu, genre le colonel Kurtz dans Apocalypse Now. Plutôt que de crier «Salaud! Fasciste!», je préfère proposer une réflexion sur les responsabilités individuelle et collective.»
Paulo Branco dénonce la glorification du directeur de Frambois à Locarno sans qu’il ait été amené à se justifier.
Fernand Melgar: «Mensonge! A Locarno, il y a eu une rencontre d’une heure avec le public. La première question a été pour le directeur de Frambois. C’était: «Comment pouvez-vous vous regarder dans la glace le matin?» Il a répondu: «Je fais juste le sale boulot que vous m’avez demandé de faire. Et j’essaie de le faire le mieux possible.»
Paulo Branco qualifie le film de «portrait peu correct d’un pays qui oublie de se remettre en cause».
Fernand Melgar: «Branco est plus parisien que portugais. Les Parisiens ont un côté détestable: la Belgique ou la Suisse, c’est tout de suite bienvenue chez les ploucs. De plus, il est du dernier chic de rajouter bienvenue chez les nazis. Donc il traite 3000 spectateurs de collabos. Il insulte Micheline Calmy-Rey. Et Dick Marty, et tout le parterre politique. Les Français n’arrivent pas à comprendre que la première citoyenne du pays assiste à la première du film, me serre la main, en parle à la télévision. Aucun pays européen n’a jamais ouvert les portes d’un centre de rétention temporaire à un documentariste. La Suisse a cette étonnante franchise. C’est pourquoi je peux y faire mes films. C’est l’aspect merveilleux de ce pays: on peut remettre en cause les institutions, réfléchir aux avancées du totalitarisme.»
Propos recueillis par Antoine Duplan dans le Temps
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