samedi 9 juillet 2011

Les juges de Strasbourg n’entrent pas en matière sur l’initiative contre les minarets

La Cour a déclaré irrecevables les requêtes dont elle a été saisie après l’acceptation de l’initiative. Les plaignants n’avaient pas la qualité de victimes qui leur permettrait de se prévaloir d’une violation de la liberté religieuse. Seul le refus d’une autorisation d’ériger un minaret pourrait être attaqué devant la juridiction européenne.

Les juges de Strasbourg ne se prononceront pas sur la conformité de l’initiative interdisant la construction des minarets avec la Convention européenne des droits de l’homme. Du moins tant que les autorités suisses n’auront pas été saisies d’une demande d’autorisation, qu’elles l’auront refusée et que toutes les voies de recours, jusqu’au Tribunal fédéral, auront été épuisées. La juridiction européenne a déclaré irrecevable, vendredi, les requêtes déposées après l’acceptation de l’initiative en novembre 2009.

Les plaignants – l’ancien porte-parole de la mosquée de Genève Hafid Ouardiri ainsi que trois associations musulmanes basées dans les cantons de Vaud, Genève et Neuchâtel – n’ont pas la qualité de «victimes», a estimé la Cour, qui leur permettrait de se plaindre d’une violation de la liberté religieuse.

«Ce n’est pas une déception parce que nous nous y attendions. Nous avions conscience de cette difficulté», réagit Hafid Ouardiri, qui dirige aujourd’hui la fondation pour l’entre-connaissance, à Genève. «La sonnette d’alarme a été tirée. L’important, c’est que cette décision met en évidence le fait qu’il appartient aux autorités en Suisse de faire en sorte que ce type d’initiatives, qui visent l’exclusion, ne se répète pas. On ne peut pas laisser aller la Suisse dans la régression, dans l’affaiblissement de l’Etat de droit.» Selon le responsable musulman, qui rappelle que le Conseil fédéral avait clairement averti que cette initiative violait la liberté religieuse, «il appartient aux partis politiques d’étudier la situation et de faire des propositions».

Pour sa part, la section suisse d’Amnesty International (AI) s’est dite déçue de la décision, mais «prend note» de ce que celle-ci «ne préjuge en rien du fond du dossier». Pour AI, l’initiative contre les minarets aurait dû être invalidée, car le peuple ne doit pas être amené à se prononcer sur un texte qui viole les principes de l’Etat de droit et le droit international.

Ce verdict d’irrecevabilité avait été pronostiqué par de nombreux juristes, la Cour ne pouvant en principe se prononcer que sur un cas concret dans lequel les autorités suisses auraient refusé une autorisation de construire.

Ce n’est qu’exceptionnellement que les juges de Strasbourg acceptent de se saisir d’une plainte ne portant que sur un texte normatif. Ils étaient ainsi entrés en matière sur la requête déposée par un homosexuel irlandais contre la législation de son pays qui réprimait l’homosexualité et l’exposait dès lors en permanence à des poursuites judiciaires.

Dans le cas des minarets, les plaignants ne sont pas une situation comparable et n’ont dès lors pas la qualité de victimes, ni directes ni indirectes ni potentielles de la norme constitutionnelle interdisant la construction de minarets. Ils n’ont en particulier pas dit avoir l’intention d’en bâtir ou avoir effectué des démarches en ce sens. Ils n’ont pas prétendu non plus être entravés dans la pratique concrète de leur foi par l’acceptation de l’initiative.

Selon la Cour, «les requérantes invoquent le caractère discriminatoire de la disposition constitutionnelle litigieuse et l’absence de marge de manœuvre reconnue aux autorités nationales dans sa mise en œuvre. Elles ne mettent donc en avant aucun commencement d’application et n’allèguent pas qu’elle ait déployé un quelconque effet concret».

Les juges ne pourront être saisis qu’une fois qu’une demande d’autorisation déposée pour la construction d’un minaret aura été refusée et que toutes les voies de recours en Suisse auront été utilisées en vain. Hafid Ouardiri n’a pas connaissance d’une telle démarche en Suisse romande, et n’a pas non plus l’intention lui-même d’en initier une.

Un projet de minaret à Langenthal (BE) a fait l’objet d’une décision favorable des autorités cantonales bernoises en septembre 2010, après l’acception de l’initiative, mais l’autorisation avait été sollicitée et obtenue des autorités communales avant le scrutin, de sorte que l’interdiction ne s’y appliquait pas encore. Le Tribunal administratif bernois doit encore se prononcer.

Denis Masmejan dans le Temps

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