jeudi 26 août 2010

Un vol vers l’Afrique aux circonstances obscures

Après quelques mois de trêve, les renvois forcés de requérants déboutés ont repris au début de l'été. Et les circonstances floues de certains «vols spéciaux» affrétés par l'Office fédéral des migrations (ODM) suscitent déjà leur lot de controverses.

Le 28 juillet, un convoi à destination de la Gambie avait dû faire marche arrière après que l'aéroport de Banjul, la capitale, lui avait refusé le droit d'atterrir. Les cinq requérants gambiens à bord étaient donc rentrés à Zurich. Hier encore, l'ODM disait ne rien savoir sur les raisons de ce dénouement «inhabituel», alors qu'un «accord oral» avait été obtenu au préalable. Trois semaines plus tard, le 18 août, un nouveau vol a donc été organisé pour la Gambie et le Sénégal, avec neuf personnes à bord. Cette fois, tout le monde est descendu dans l'un ou l'autre des deux pays, mais dans un contexte qui reste obscur. Plusieurs témoins – des requérants présents dans l'avion – accusent en effet les autorités suisses d'avoir déposé à Dakar des personnes non ressortissantes de ce pays, comme le rapportait hier Le Temps. Contacté par téléphone au Sénégal, Lamine, l'un d'eux, assure que des Gambiens et des Guinéens (Guinée-Bissau) ont bien été débarqués sur le tarmac de la capitale sénégalaise. Lui même dit être guinéen. Pis: il déclare avoir vu des représentants helvétiques payer des agents de l'aéroport. «Les Suisses ont donné de l'argent aux policiers pour qu'ils nous acceptent.» Des faits que conteste catégoriquement l'ODM. Selon le requérant, le trajet a été «très difficile»: «J'avais les pieds et les mains liées, on ne pouvait pas aller aux toilettes... Arrivé à Dakar, j'ai du aller à l'hôpital.»

A Frambois, centre de détention administrative aux abords de Genève, Mohammed partageait sa chambre avec Lamine, avant son renvoi le 18 août. Depuis, il entretient des contacts téléphoniques avec plusieurs des requérants expulsés ce jour-là, en Gambie et au Sénégal. Selon lui, seuls deux Gambiens auraient accepté de descendre volontairement de l'avion à Banjul. «Les autorités ont refusé de prendre par la force ceux qui résistaient, qui sont repartis vers Dakar, précise-t-il. Il y a eu des bagarres dans l'avion.» D'après lui, ni médecin ni observateurs externes n'étaient à bord du convoi. Déjà présent dans le vol avorté du 28 juillet, Dembo est de ceux qui sont descendus en Gambie. «Psychologiquement abattu», il a cédé malgré le fait qu'il n'a plus aucune attache dans son pays. «J'ai été ligoté et traité comme un animal, témoigne-t-il au bout du fil. Ici, je n'ai rien, même pas d'argent pour les médicaments. Toute ma famille est en France, à Lille, je dois retourner là-bas.» Face à cette situation, Mohammed et d'autres détenus de Frambois ont décidé de se mobiliser. Dimanche, une lettre a été envoyée aux autorités sénégalaises ainsi qu'à Amnesty International. En plus de relater les témoignages récoltés, ils dénoncent des renvois forcés «inhumains et dégradants»: «Les Suisses nous privent de nos enfants, écroulent notre univers, nous renvoient alors que nous n'avons pas commis de crime ou de délit.» Et d'ajouter: «Le consulat sénégalais à Genève délivre des laissez-passer dans le dos de certains ressortissants d'autres pays. Pourquoi le Sénégal cède-t-il a cette injustice?» De son côté, l'Office fédéral des migrations (ODM) livre une toute autre version des faits. Selon sa porte-parole, Marie Avet, «les quatre personnes débarquées à Dakar ont toutes été identifiées par les autorités sénégalaises comme des ressortissants de ce pays.» Les cinq autres étaient des Gambiens, tous déposés à Banjul «sans problème». Elle précise que la Suisse ne renvoie pas des gens autre part que dans leur pays d'origine, «les autorités concernées ne l'acceptent pas». Du moins, aucun cas n'aurait été avéré. L'ODM nie tout autant avoir remis de l'argent à des agents de l'aéroport de Dakar. «Ce n'est pas une pratique à laquelle nous recourons, poursuit la porte-parole. Sur place, nous livrons les papiers de voyage et les laissez-passer des requérants. Il est possible que certains aient cru qu'il s'agissait d'un échange d'argent.» Elle mentionne encore que des médecins figuraient dans tous les vols affrétés par l'ODM depuis leur reprise cet été. Quant à la présence d'observateurs indépendants, la mesure est prévue, mais ne sera appliquée que l'année prochaine, conclut-elle.

Mario Togni dans le Courrier

Aucun commentaire: