Estropiée par une voiture folle, sur un trottoir de Lausanne, au pied de la tour Bel-Air, Mirta Palma, Equatorienne de 53 ans, doit quitter le pays. L’accident l’a démasquée: depuis sept ans, elle vit sans papiers. Un article de Laurent Antonoff dans 24 Heures.
On dit qu’un malheur n’arrive jamais seul. Trois semaines après l’accident qui l’a estropiée sur un trottoir de Bel-Air à Lausanne (24 heures du 27 juin), Mirta Palma en est intimement persuadée. Clouée sur son lit à la maison, la jambe droite plâtrée, cette Equatorienne de 53 ans tient entre ses mains une lettre jaune reçue ce lundi, des mains même de la police. Elle émane du Service de la population (SPOP).
Le message est explicite: Mirta, sans-papiers arrivée en Suisse en 2002, a jusqu’au 15 septembre pour quitter le pays. «Quand on est clandestin à Lausanne, on vit avec la peur des contrôles. Un renvoi, on le redoute tous les jours. Mais là, quand j’ai reçu ma carte de sortie, je n’arrivais pas à y croire.» Mirta éclate en sanglots. De douleurs encore. De désespoir aussi.
La photo de Mirta, publiée au lendemain de son accident en une des journaux, la cheville tordue et ensanglantée, a touché plus d’un Vaudois. «Je me souviens de tout. De la voiture en panne au bord de la route, de la dépanneuse garée devant elle et du choc terrible que j’ai ressenti dans les jambes. Je me suis retrouvée sur le dos, couchée sous la voiture qui venait de me percuter. J’ai pensé que j’avais perdu mes jambes.» Mirta restera quatorze jours au CHUV à cause de multiples fractures ouvertes. C’est là, dans sa chambre d’hôpital, qu’elle a reçu la visite de la police. «Quand j’ai su que les agents allaient arriver, j’ai paniqué. J’ai téléphoné à des amis pour leur demander si je devais m’enfuir sur-le-champ.» Les policiers lui diront qu’ils ne font que leur travail, mais Mirta est démasquée: elle vit à Lausanne depuis sept ans sans papiers. Elle est dénoncée.
Célibataire, Mirta a laissé ses deux filles de 14 et de 30 ans en Equateur. Professeur en chimie et en biologie, elle vit à Lausanne de ménages et de repas qu’elle confectionne pour la communauté équatorienne, dont elle a présidé l’association de 2007 à 2008.
«Retourner au pays? Non, ce n’est pas mon destin!»
Et si son accident, aussi dramatique soit-il, et la carte de sortie du SPOP étaient un signe du destin pour l’inciter à retourner au pays? «Non. Ce n’est pas mon destin! A mon âge, je ne retrouverai jamais de travail en Equateur. Mes filles ne peuvent pas m’entretenir. C’est le contraire qui se passe. C’est pour cela que je suis venue en Suisse. Le destin? Non. C’est la faute au dépanneur si j’en suis là… Pour ce qui est de la conductrice qui était remorquée, et dont la voiture m’a roulé dessus, je n’ai pas de rancœur, mais ce sont malgré tout ces deux personnes qui m’ont mise dans cet état.»
Sur les conseils de son avocat, Jean-Michel Dolivo, Mirta Palma a déposé hier une plainte pénale pour lésions corporelles graves auprès du juge d’instruction chargé de l’affaire. Elle s’est également portée partie civile.
Et il faudra encore régler les problèmes d’assurances puisque Mirta, comme tous les sans-papiers, n’en bénéficie pas. Qui paiera les 14 jours d’hospitalisation au CHUV? Qui réglera les frais de réadaptation? «Je n’arrive pas à penser à l’avenir. Les policiers ont mon nom et mon adresse. Je ne me vois pas entrer dans la clandestinité dès le 15 septembre. Il y a non seulement cette menace d’expulsion qui pèse sur moi, mais également l’incertitude concernant ma santé. Je suis un être humain, pas un objet que l’on peut jeter hors du pays après un accident. Où est l’humanité dans tout cela?»
«La menace de renvoi de ma cliente est choquante»
C’est Jean-Michel Dolivo, par ailleurs membre du Collectif vaudois de soutien aux sans-papiers, qui est l’avocat de Mirta Palma. Son premier objectif: s’opposer au renvoi de sa cliente et lui décrocher un délai, au moins jusqu’à son complet rétablissement. «La menace de son renvoi est choquante. C’est faire preuve d’une grande inhumanité.» L’autre volet de son action sera de trouver une solution au paiement des frais occasionnés par l’accident. «En tant que sans-papiers, elle n’a bien entendu pas droit à l’assurance perte de gains. Elle n’a plus aucun revenu. Je parle aussi des frais de réadaptation. Une réadaptation qui pourrait être longue. Cela devrait être pris en charge par la responsabilité civile du dépanneur ou de la conductrice de la voiture folle», estime Jean-Michel Dolivo. Pour l’heure, Mirta vit grâce à la solidarité de la communauté équatorienne, notamment. Le centre LAVI (loi sur l’aide aux victimes d’infractions) la soutient également. «Parce qu’elle est avant tout une victime», insiste l’avocat.
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