Alard du Bois-Reymond a été licencié. Simonetta Sommaruga n’a pas souhaité divulguer les motifs exacts de cette séparation. La ministre et le patron de l’ODM n’ont pas su établir une «relation de confiance» adéquate. Il avait notamment déclenché la polémique avec des propos déplacés sur les Nigérians.
Il était sur un siège éjectable depuis plusieurs mois. L’annonce du licenciement d’Alard du Bois-Reymond, patron controversé de l’Office fédéral des migrations (ODM), n’est qu’une demi-surprise tant des signaux extérieurs prédisaient une fin de carrière précipitée. «Après mûre réflexion, j’ai décidé de m’en séparer. La décision n’a pas été facile à prendre», a souligné Simonetta Sommaruga mercredi devant les médias. Avant de préciser qu’elle et le principal concerné ont décidé de ne pas divulguer les motifs exacts de cette séparation.
La conseillère fédérale a annoncé le même jour au Conseil fédéral l’ouverture d’une enquête externe portant sur des milliers de demandes d’asile d’Irakiens déposées entre 2006 et 2008 – donc sous les règnes de Christoph Blocher et d’Eveline Widmer-Schlumpf – qui n’auraient pas été traitées correctement (lire encadré). Alard du Bois-Reymond n’était pas encore à l’ODM à ce moment-là. Mais la ministre, évasive, a refusé de confirmer qu’il n’y avait aucun lien entre les deux objets. Contacté par Le Temps, Alard du Bois-Reymond est lui catégorique: «Il n’y a absolument aucun lien direct.»
Son explication: «Nous n’avons pas su établir une relation de confiance. Mais il n’y a pas eu d’élément déclencheur.» En mai déjà, un collaborateur du Département fédéral de justice et police nous confiait: «Madame Sommaruga et Alard du Bois-Reymond ne s’entendent pas. Ils ont des approches très différentes des dossiers, il a tendance à vouloir prendre des décisions de son côté, le courant ne passe pas. Elle est beaucoup plus proche d’Eduard Gnesa.» Eduard Gnesa n’est autre que l’ex-patron de l’ODM, dont Eveline Widmer-Schlumpf s’est débarrassée en 2009. Il est depuis devenu «ambassadeur extraordinaire chargé de la collaboration internationale dans le domaine des migrations.»
Alard du Bois-Reymond est entré en fonction en janvier 2010, dans un contexte difficile. L’ODM subissait une mue radicale amorcée par Eveline Widmer-Schlumpf, entraînant un climat délétère et une grande déstabilisation au sein du personnel. Des têtes ont valsé; deux tiers des 80 postes de cadres ont été mis au concours. Lui-même a tenté d’appliquer au mieux le grand nettoyage programmé par la Grisonne pour se libérer de l’héritage de Christoph Blocher, mais il n’a pas su se faire apprécier à l’interne. Un audit interne révélé en juin par la RSR est sans appel: le document montre notamment que plus d’un quart de l’office était «à bout» ou «déçu» des changements. Mais aussi, plus inquiétant, que 4 collaborateurs sur 5 pensent que «les décisions à l’ODM ne sont pas prises sur la base de faits établis et d’arguments objectifs».
Alard du Bois-Reymond a surtout très rapidement été au centre d’une polémique, qui a laissé des cicatrices. Il a dû faire face, en mars 2010, à la mort d’un Nigérian sur le tarmac de l’aéroport de Kloten, alors qu’il était sur le point d’être expulsé. Il a provoqué la controverse plus tard en déclarant que 99,5% des requérants nigérians utilisent la filière de l’asile pour s’adonner à des activités illégales, comme le trafic de drogue.
«C’était complètement déplacé! Cela n’a fait que compliquer les longues et difficiles négociations avec les Nigérians», souligne un diplomate. Une rumeur laisse entendre qu’il aurait fait verser une indemnité de 50 000 francs à la famille du Nigérian décédé sans en référer plus haut. «C’est totalement faux», commente Alard du Bois-Reymond. Il dit l’avoir fait en accord avec les Affaires étrangères et son supérieur hiérarchique. «D’ailleurs aujourd’hui mes relations avec le Nigeria sont excellentes», s’empresse-t-il d’ajouter.
Autres reproches: l’ODM a été accusé, en décembre 2010, de ne pas respecter la jurisprudence de l’autorité de recours sur l’admissibilité des renvois vers certains pays à risques. Un désaveu d’une extrême sévérité, infligé par le Tribunal administratif fédéral. Le TAF avait aussi tapé sur les doigts de l’ODM, l’accusant d’appliquer l’Accord de Dublin avec trop de célérité, en expulsant des requérants sans qu’ils puissent déposer un recours. Lors du «printemps arabe», il était par ailleurs frappant de constater les prises de position divergentes du patron de l’ODM et de sa cheffe s’agissant des menaces d’«afflux» de réfugiés, lui étant beaucoup plus alarmiste qu’elle.
Le mal-aimé Alard du Bois-Reymond quittera ses fonctions fin octobre, avec une indemnité équivalant à un an de salaire. C’est l’actuel directeur suppléant, Mario Gattiker, qui assurera la direction de l’ODM à titre intérimaire à partir de novembre.
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