«Vol spécial», le nouveau film de Fernand Melgar, suit la trajectoire de six migrants emprisonnés à Frambois. L’un d’eux aurait été torturé à son retour au Cameroun.
Le regard de l’homme, à travers la caméra, est empreint de douceur. Mais lorsqu’il parle des êtres qu’il a filmés, la voix est vibrante de révolte. Chez Fernand Melgar, l’espace laissé à la pensée et aux émotions du spectateur n’exclut pas l’engagement, et vice-versa.
Avec Vol spécial, qui sera présenté en compétition internationale le 6 août au festival de Locarno, le réalisateur suisse poursuit ce travail éminemment politique qui consiste à redonner un visage à ceux que la machine administrative réduit à des statistiques, et les affiches de l’UDC à des animaux – moutons, corbeaux ou rats. «Les gens doivent savoir qu’en votant pour durcir le droit d’asile, ils votent sur des êtres humains. Des familles sont détruites», martèle Fernand Melgar.
Fin du parcours
Dans La Forteresse (2008), le réalisateur glissait sa caméra dans le centre d’enregistrement de Vallorbe, où sont hébergés des requérants au début de leur procédure d’asile. Avec Vol spécial, le cinéaste a voulu voir ce qui se passe à «la fin du parcours», quand les migrants ont perdu quasiment tout espoir de vie en Suisse. «La genèse de ce film est à la fois intime et liée à l’histoire de Fahad», explique-t-il. Fahad, c’est l’un des protagonistes de la La Forteresse, cet Irakien menacé dans son pays d’origine pour avoir servi d’interprète à l’armée américaine. Après la sortie du film, l’homme a été refoulé vers la Suède, pays dans lequel il avait déposé sa première demande d’asile. Il a finalement réussi à regagner la Suisse, où il s’est marié in extremis l’an dernier.
La rencontre avec Fahad aura permis à Fernand Melgar de découvrir un univers qu’il ne connaissait pas: la détention administrative. Pour réaliser Vol spécial, il a passé une année à la prison de Frambois, à Genève, l’un des vingt-huit centres de détention administrative du pays. Des établissements carcéraux d’un genre particulier, puisque les hommes et les femmes qui y sont enfermés n’ont pour la plupart commis aucun délit. Etrangers, ils sont considérés comme indésirables en Suisse. Surpris au petit matin par la police, séparés de leur famille, ils sont parqués là dans l’attente de leur renvoi. Pour ceux qui ne peuvent pas être expulsés faute d’accord de réadmission avec le pays d’origine, l’incarcération vise à accroître la pression psychologique.
40 heures en enfer
La durée de cette peine qui ne dit pas son nom peut varier de quelques jours à vingt-quatre mois. Certains, comme Pitchou, un jeune Congolais arraché à son fils nouveau-né dont Le Courrier a relaté le sort (notre édition du 27 février 2010), seront libérés in extremis. Mais la plupart d’entre eux, à l’instar du Camerounais Geordry, seront embarqués de force à bord d’un vol spécial, pieds et poings liés, attachés à leur siège et coiffés d’un casque. On leur enfile des couches-culottes, rapporte le cinéaste, de sorte qu’ils «baignent dans leurs excréments» pendant les huit à quinze heures que dure en moyenne un vol, avec des pointes à quarante heures. «C’est une forme de torture».
Implicitement, l’Office fédéral des migrations (ODM) semble lui donner raison. Pour motiver son refus de laisser la caméra capter l’embarquement des requérants, l’ODM a invoqué «une ordonnance qui interdit de filmer quelqu’un dans des situations humiliantes ou dégradantes», se souvient Fernand Melgar. C’est lors d’un tel transfert qu’un Nigérian est mort en mars 2010 à l’aéroport de Zurich-Kloten. Le 7 juillet dernier, un autre Nigérian a été matraqué par la police zurichoise à son embarquement dans l’avion.
Les vols spéciaux, qui donnent son titre au film, restent donc dans un trou noir. Le fait que la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) ait accepté d’envoyer des observateurs pour accompagner ces convois ne rassure pas le cinéaste. «C’est un scandale! Comment une personne qui a des croyances et qui défend des valeurs humaines peut-elle supporter cela? Va-t-elle leur faire des lectures de la Bible?»
Gardiens inquiets
Dans cette salle d’attente angoissée qu’est Frambois, il y a néanmoins place pour un petit bout de «théâtre» de la vie. C’est ce que montre le film, à travers six personnes en instance d’expulsion. Leur colère, leur incompréhension, mais aussi les liens qu’elles tissent avec le personnel de la prison. Des employés au profil plus social que policier, selon Fernand Melgar, et qui vivent difficilement les drames auxquels ils assistent. «Très souvent, les gens qui se sont fait expulser téléphonent pour dire qu’ils sont bien arrivés. Les gardiens se font du souci».
Non sans raison: plusieurs des passagers de Vol spécial ont été ou sont en danger de mort, affirme le cinéaste, qui est allé enquêter su place. Geordry, le Camerounais, a été «emprisonné et torturé durant cinq mois» à son arrivée à Yaoundé. Des éléments compromettants de sa demande d’asile auraient été transmis aux autorités locales. Alain, un syndicaliste congolais a dû se réfugier dans un pays voisin, et son entourage a été inquiété. «Ce ne sont pas des cas isolés», assure Fernand Melgar. Un webdocumentaire coproduit par la RTS et ARTE, annoncé pour début 2012, plongera dans le destin de ces expulsés. Il promet de faire des vagues.
Michaël Rodriguez dans le Courrier
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