samedi 30 juillet 2011

Leur première fête nationale dans la peau d’un Suisse

Avant de pouvoir exercer leur droit de vote cet automne, des Suisses naturalisés depuis peu racontent leur 1er Août.

Ce lundi, la croix suisse n’apparaîtra pas seulement sur les lampions et les drapeaux. Elle sera aussi dans leur poche, sur un passeport rouge tout neuf. Pour ouvrir les feux de ce 1er Août, 24 heures est parti à la rencontre de femmes et d’hommes qui viennent d’être naturalisés. Cet automne, ils pourront, certains pour la première fois, mettre leur bulletin de vote dans l’urne, en cette année d’élections fédérales où la question de l’immigration est déjà inscrite dans le débat.

Il y a les Mekonnen, arrivés d’Ethiopie comme requérants d’asile il y a une quinzaine d’années. Tous deux employés chez Nespresso, ils vivent dans un quartier populaire des hauts de Lausanne. Alain Avni Celik, lui, a débarqué à Moudon en 1979, muni de son contrat de travail à la fonderie. Sa femme l’a rejoint et ils n’ont plus quitté la bourgade. Daniel Sautrey a dirigé, pour sa part, les fabriques de Nestlé à Broc (FR) et à Orbe, dont lui et son épouse, Annie, sont bourgeois depuis l’automne 2010. Tous deux sont d’origine française. Enfin, la famille Vogel, arrivée de Bavière pour s’installer à Préverenges voilà vingt-deux ans, pour raisons professionnelles. Horst Vogel est professeur de chimie à l’EPFL. Ont-ils d’autres points communs qu’une identité suisse qu’ils ont choisie?

L’an dernier, dans le canton de Vaud, ils ont été quelque 4100 à être ainsi naturalisés, contre 5900 en 2009. Les deux années précédentes, ce chiffre s’élevait à 5600. Selon le secteur des naturalisations du Service vaudois de la population, cette baisse relative s’explique notamment par l’afflux d’étrangers venus des Balkans, qui s’est répercuté dix ans plus tard sur les nationalisations dont ils étaient demandeurs. Le canton a alors mis des ressources pour augmenter le nombre de cérémonies de prestation de serment qui officialisent les naturalisations. Désormais, la situation devrait se stabiliser au niveau de 2010.


«Cette fois, on saura qu’on est Suisses»

Au salon, des drapeaux suisses et des bougies à croix blanche. La famille Mekonnen a décoré son appartement, imprégné des effluves d’un repas évoquant leur Ethiopie d’origine. Sur le guéridon trône l’invitation pour leur cérémonie officielle de naturalisation.

Le 1er Août, les Mekonnen iront comme d’habitude faire la fête à Ouchy. «Cette fois-ci, ce sera différent», estime Argaw Mekonnen, manutentionnaire chez Nespresso. «Avant, c’était seulement la fête. Là, on saura qu’on est Suisses», approuve sa femme, Aberra Marey. Et cet automne, ils utiliseront leur droit d’élire leurs autorités. «C’est quelque chose d’important, surtout en Suisse. Là, il y a une différence lorsqu’on vote.»

Pour eux, leur nouveau pays est incomparable. «C’est l’humanitaire. Ils ont accueilli les gens», relève Aberra Marey. Arrivés en 1996 et 1997, ils faisaient partie des fameux «523», ces requérants d’asile sans papiers revendiquant le droit de rester dans un bras de fer politique et médiatique.

«Même sans papiers, l’administration était ouverte pour nous comme pour tout le monde», remarque Argaw. «Lorsque M. Mermoud (ndlr: conseiller d’Etat alors en charge de l’asile) nous a interdit de travailler, c’était finalement une bonne décision, car cela a fait bouger les choses qui traînaient depuis des années.»

Ils ne diront rien de ce qui pourrait changer ici, de ce qu’ils aimeraient peut-être retrouver de l’Ethiopie. «La Suisse est unique. Le 1er Août fête cela, même si tout n’est pas parfait à 100%.»


«J’apprécie l’esprit de consensus»

Originaires de Dole, en Franche-Comté, Annie et Daniel Sautrey sont devenus citoyens d’Orbe en octobre 2010. Ce couple de jeunes retraités vit au Mont-Pèlerin. Depuis leur terrasse, ils ont une vue splendide sur Vevey, le lac et les montagnes. Pourtant leur choix de devenir Urbigènes n’est pas le fruit du hasard. En effet, durant les sept dernières années de sa vie professionnelle, Daniel Sautrey a dirigé la fabrique Nestlé d’Orbe. Sa bonne entente avec les autorités locales l’a incité à demander la bourgeoisie de la commune.

Le 1er Août, ils iront chez leur fille en Valais et, avec leur petit-fils de 13 mois, ils prendront part aux festivités de Martigny. «Il est important pour nous de bien s’intégrer dans le pays où l’on vit. Nous votons à chaque scrutin. Et cet automne, nous avons à cœur de participer aux élections fédérales pour la première fois, commentent en chœur les époux Sautrey. De plus, le système de vote par correspondance simplifie bien la tâche.»

«J’apprécie l’esprit de consensus et le goût du travail que l’on trouve en Suisse, témoigne Daniel Sautrey. La cohabitation des langues et des religions me touche. Chaque village a su conserver ses traditions, ce qui fait la richesse du pays. J’ai conservé un bredzon en souvenir de mon passage à la direction de la fabrique de chocolat à Broc.» Annie Sautrey apprécie la tranquillité de notre pays.

«Je n’oserais plus me rendre seule dans un parking souterrain dans une ville comme Marseille.» Le couple souligne également que l’adaptation en Suisse a été plus facile que celle au sud de la France.


«C’est un pays qui accepte la diversité»

Sur la terrasse de la villa située dans un quartier tranquille non loin du lac, de petits drapeaux suisses sont plantés dans les pots de fleurs d’un jardin campagnard. Chaque année, ou presque, depuis plus de vingt ans, la famille Vogel, d’origine allemande, assiste à la célébration du 1er Août sur la plage de sa commune, à Préverenges. Elle fera de même lundi. «Avec les enfants nous avons beaucoup participé, et c’est aussi l’occasion de voir les vieux amis», se réjouit Doris Vogel.

Ses fils sont âgés de 27 et 25 ans aujourd’hui. «J’ai les deux passeports, allemand et suisse, mais lorsque l’on m’interroge à propos de ma nationalité, je réponds que je suis Suisse, car c’est ainsi que je me sens», confie Julian, prêt à repartir à Shanghai, où il travaille. Son père, Horst Vogel, est professeur de chimie à l’EPFL.

La famille se prépare à voter lors des prochaines élections fédérales en octobre. «C’est absolument nécessaire. Cela représente une opportunité unique d’influencer la politique fédérale, celle qui unit la Suisse. Nous adhérons à ses valeurs: le respect de la diversité et la préservation de l’environnement», développe Horst Vogel. La famille se dit très sensible à cette notion de partage identitaire qui fait la richesse de son pays d’adoption. «Cependant, il est dommage que, durant leur scolarité, les élèves ne visitent pas une fois au moins le Palais fédéral pour se forger une image de leur pays», estime Doris Vogel. Son fils Julian renchérit: «Après dix ans de cours d’allemand à l’école, personne ne parle cette langue. Il faudrait agir pour rapprocher les régions linguistiques et promouvoir une identité fédérale pour lutter contre ce manque de compréhension entre les régions.»


«Moudon, c’est comme chez nous»

Elle a choisi le prénom de Nathalie pour compléter Sureyya. Lui a opté pour Alain, en plus de son identité turque, Avni. En devenant Suisses, l’an dernier, les Celik se sont dit: «Changeons tout!»

Ce qu’ils ne modifieront pas, c’est leur façon de fêter le 1er Août. «Trois jours avant, on regarde où il y a des choses intéressantes. L’an dernier, c’était à Estavayer, parfois à Moudon pour boire un verre avec les amis. Cette année, ce sera à Ouchy. On aime la fête, avec les feux, le monde et le lac.» Pensent-ils le vivre différemment? Nathalie est dubitative. «Ah si! réagit son mari. Avant, tout le monde nous voyait comme des étrangers.» Aujourd’hui, c’est plutôt en Turquie qu’ils se sentent touristes. Leurs grands enfants, naturalisés depuis un moment, n’y ont jamais vécu. «Je suis arrivée ici à 19 ans et j’en ai 46. Ma vie est ici, je vais mourir ici», confie-t-elle. «Moudon, c’est comme chez moi. Parfois, c’est juste un peu difficile à cause de la langue, approuve Alain, qui aime trop la ville, où il est arrivé en 1979, pour songer à la quitter. Ici, c’est vraiment particulier. En Suisse, il y a ce mélange des cultures. On vit mieux, la démocratie est différente. C’est là qu’on gagne notre salaire.» Il travaille à l’usine d’emballage et elle fait le ménage au CHUV.

Après avoir voté comme étrangers au niveau communal, ils ont déjà mis deux fois leur bulletin de vote de citoyens suisses dans l’urne cette année, et prendront part aux élections fédérales cet automne. A Moudon, Alain Celik s’est d’ailleurs présenté ce printemps sur les listes radicales. Son épouse est-elle d’accord? Elle esquisse une moue ironique. «Toujours…»

Laurence Arthur, Pierre Blanchard, Laure Pingoud, Florian Cella (photos) dans 24 Heures

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