Trois ans après La forteresse , le Lausannois Fernand Melgar revient à Locarno avec Vol spécial . Un documentaire très attendu sur les sans-papiers «jetés» de notre pays.
Ils sont environ 150 000 en Suisse – quelque 5000 à Lausanne – à vivre sans papiers. Depuis 1995, une loi autorise leur expulsion, même s’ils n’ont rien à se reprocher et sont bien intégrés. Sur simple décision administrative, certains d’entre eux sont «raflés» sans préavis et conduits, menottés, jusqu’à un vol spécial dans lequel ils seront entravés, sous la surveillance de trois gardiens par individu, parfois jusqu’à quarante heures d’affilée, contraints de faire leurs besoins sur leur siège. La Suisse est le seul pays du monde à pratiquer un entravement si musclé. L’agence européenne Frontex, qui gère les renvois pour l’espace Schengen, n’utilise qu’un menottage léger. Un état de fait qui ne pouvait laisser indifférent l’ancien sans-papiers qu’est Fernand Melgar, fils d’immigrés espagnols devenu l’un des ténors du nouveau cinéma suisse… Entretien.
Quel parcours avez-vous suivi de La forteresse à Vol spécial ?
Après La forteresse , l’expulsion de l’un de nos «acteurs», l’Irakien Fahad, m’a fait découvrir le centre de détention administrative de Frambois, près de Genève. Il en existe une trentaine de similaires en Suisse. J’y ai rencontré des sans-papiers qui n’avaient pas commis le moindre délit, mais dont certains allaient passer là jusqu’à deux ans de leur vie. J’ai voulu en savoir plus…
L’autorisation de filmer a-t-elle fait problème?
Le capital de confiance acquis avec La forteresse , loué par la conseillère fédérale Widmer-Schlumpf et régulièrement montré à ses collaborateurs, m’a facilité les choses. La prison de Frambois, qui découle de la mauvaise conscience des cantons latins accusés de ne pas appliquer les mesures de renvoi, reste un lieu relativement ouvert. Les détenus ne sont pas coupés du monde 23 heures sur 24 comme à Zurich ou à Berne, et la préparation des vols spéciaux se fait avec des égards. Tant le directeur que les conseillers d’Etat des cantons concernés de Genève, de Vaud et de Neuchâtel, m’ont soutenu dans ma démarche, sachant que je resterais objectif.
Le film dégage, pourtant, une très forte charge émotionnelle…
Evidemment, toute sa dramaturgie, liée à l’attente angoissée du vol spécial, suit le développement de situations humaines souvent poignantes, voire bouleversantes.
Comment avez-vous choisi les six «cas» suivis de plus près?
En fonction, précisément, du caractère particulier, mais toujours aussi intense ou complexe, du drame vécu. Par exemple Pitchou le Congolais, en Suisse depuis dix ans, coiffeur à Aigle, et qui vient d’être père, auquel un policier vaudois annonce qu’il va être renvoyé… et qui sera finalement libéré, – le seul! – sans qu’on sache pourquoi (lire encadré) …
Allez-vous «suivre» les destinées de vos personnages?
Certainement, et ce sera particulièrement important pour ce que vit l’un d’eux, réfugié politique pour ainsi dire livré à ses bourreaux, torturé à son retour dans son pays sous prétexte qu’il avait osé demander asile en Suisse, et qui se trouve actuellement sous notre «protection». En outre, le film sera prolongé par un webdocumentaire coproduit par la RTS et ARTE, où l’on pourra suivre le développement de chaque situation particulière.
Quel «message» entendez-vous faire passer avec Vol spécial ?
Le film pose une question simple: comment mettre un terme à des pratiques humiliantes, indignes d’un pays qui se réclame des droits de l’homme? Ce qu’il montre clairement, faits à l’appui, c’est que l’arbitraire règne dans les décisions prises. Dans le seul canton de Vaud, le pouvoir discrétionnaire d’une poignée de fonctionnaires détermine le sort des sans-papiers. Au niveau fédéral, à l’Office des migrations (ODM) – qui n’a pas vu notre projet d’un bon œil –, nous savons que quatre collaborateurs sur cinq jugent que les décisions prises par l’ODM «ne sont pas prises sur la base de faits établis et d’arguments objectifs».
Jean-Louis Kuffer
Vol spécial sera projeté en première mondiale au Festival de Locarno, le 6 août, à 14 h, à la FEVI.
Sortie en salle le 21 septembre.
Il passera également sur la TSR et Arte.
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