mercredi 2 mars 2011

Réflexions à propos de l'interdiction de la mendicité à Lausanne

Jean-Michel Dolivo et Jean-Pierre Thurre sont invités de la rubrique Opinions de 24 Heures pour y débattre de la mendicité.

jm dolivoLa chasse aux pauvres est ouverte…

Les miséreux doivent impérativement rester discrets et avoir le bon goût de ne pas étaler leur malheur publiquement! La chute dans la misère, particulièrement en période de crise, ne doit pas être visible. Etre mendiant, c’est d’une certaine manière abuser de la pauvreté…

La démagogie xénophobe s’est invitée dans la campagne pour les élections communales lausannoises. Le Parti libéral-radical a lancé une initiative pour l’interdiction de la mendicité par métier, prenant de vitesse l’UDC qui venait de déposer au législatif deux postulats au contenu similaire. Les bisbilles entre droite et extrême droite pourraient prêter à sourire si la surenchère sécuritaire de l’une ne tendait pas à légitimer les discours racistes de l’autre.

En demandant une interdiction de la mendicité, on stigmatise les Roms, population vivant dans une extrême pauvreté, en Roumanie ou ailleurs en Europe. Beaucoup n’ont d’autres possibilités pour faire survivre leur famille que de venir chercher quelques sous en mendiant dans nos villes.

L’été passé, Sarkozy a pris la tête d’une croisade contre les Roms, essayant d’occuper le terrain du Front national! Cette banalisation du racisme est d’autant plus inquiétante qu’elle gagne même épisodiquement les rangs de la gauche. «Avec les Gitans, c’est inévitable. C’est dans leurs mœurs. Un trait de caractère profond», a ainsi lâché le syndic Daniel Brélaz, constatant quelques dégâts commis par les 200 personnes accueillies au Chalet- à-Gobet en juillet dernier…

A en croire les libéraux-radicaux, la mendicité serait le fait de «bandes organisées, qui simulent la maladie»: un récent rapport de la police lausannoise a pourtant montré qu’il n’y avait en réalité ni bandes ni réseaux organisés, mais seulement une vingtaine de mendiants roms de passage.

Pire encore, selon le PLR, la mendicité nuirait «à l’image de Lausanne». On pourrait le rassurer en rappelant que la ville est déjà connue internationalement comme la capitale des multinationales du tabac: Philip Morris, British American Tobacco et autres empoisonneurs publics, attirés à coups de rabais fiscaux par le canton et la Municipalité dite de gauche.

L’interdiction de la mendicité conduirait à la mise à l’amende des mendiants. A Genève, cette interdiction n’a nullement fait disparaître la mendicité! Et des dizaines de milliers de francs dépensés chaque année pour amender et poursuivre en justice les mendiants sont ainsi gaspillés! Ces moyens seraient bien mieux utilisés pour combattre la pauvreté extrême et la stigmatisation dont souffre la population rom!

Plutôt que des amendes qui ne peuvent pas être payées et des renvois qui ne résolvent rien, il y a urgence à mettre sur pied des centres d’accueil permanents pour les mendiants – roms ou non – qui permettent de surmonter, un tant soit peu, la situation d’extrême précarité dans laquelle ils se trouvent.

 

jp thurreOsons porter un autre regard sur les Roms

Le débat sur la mendicité révèle de manière assez surprenante l’état d’esprit de certains politiciens, voire de certains citoyens face à la pauvreté. Même les Eglises sont interpelées par cette réalité et cherchent une réponse appropriée.

A coups de clichés simplistes, de slogans mensongers ou d’initiative, on veut stigmatiser les Roms, qui appartiennent à la communauté la plus pauvre d’Europe. Au Pont-de-Chailly, j’ai l’habitude de rencontrer régulièrement un jeune Rom, prénommé Peter. Nous avons des échanges chaque semaine et évoquons sa situation. Il vient d’un petit village de Slovaquie, où vit le reste de sa famille. Sa mère souffre de leucémie.

La communauté rom est victime de profondes discriminations depuis des siècles, et souvent rejetée par le reste de la population en raison de préjugés bien établis. Avec ses 10 à 12 millions de membres, elle est la plus importante minorité du continent.

Sur le plan politique, douze Etats d’Europe centrale et orientale se sont engagés, avec le soutien de la Banque mondiale, du Programme des Nations Unies pour le développement et de l’OSCE, à changer la donne. Ils ont proclamé 2005-2015 Décennie de l’intégration des Roms. Il faut maintenant que cela se traduise dans les faits. A mi-parcours, on doit reconnaître que les résultats ne sont pas très encourageants. La crise économique que nous traversons y est pour quelque chose.

Une partie de l’enjeu se situe au niveau de l’éducation. Nombre d’enfants roms ne vont pas à l’école, car ils vivent à l’écart des infrastructures, voire sont victimes d’exclusion. La Confédération participe en Hongrie à un fonds pour l’éducation, qui a notamment créé une année d’école préparatoire pour les petits Roms. Mais le défi reste immense, car les conditions sont précaires. La Commission européenne peut jouer un rôle moteur pour l’intégration des Roms, mais il y a une véritable méconnaissance du problème de la part des leaders européens.

Interdire la mendicité à Lausanne ne constitue pas la meilleure réponse, car on s’attaquerait ainsi au groupe le plus vulnérable d’Europe. Je suis d’avis qu’il faut rechercher des solutions concrètes avec les pays concernés en mettant sur pied des projets sur place. Mais, dans l’immédiat, les Roms n’ont pas d’autres ressources que celle de mendier, car ils n’ont pas accès au monde du travail. La mendicité constitue bien une solution par défaut.

La Direction du développement et de la coopération suisse (DDC) a publié Roma Realities , ouvrage qui retrace la vie des Roms et donne un éclairage plus objectif sur cette communauté. Par ailleurs, on y trouve de nombreuses photos d’Yves Leresche, qui connaît très bien cette population pour avoir séjourné parmi elle à maintes reprises. Et ceux qui veulent en savoir plus peuvent s’informer auprès de l’Association Opre Rom, à Lausanne.

24 Heures

Aucun commentaire: