En voulant offrir des apprentissages à des adolescents sans papiers, l’exécutif lausannois a médiatisé un vrai problème, mais a-t-il fait avancer la recherche d’une solution satisfaisante? Rien n’est moins sûr.
La scolarisation d’enfants de couples vivant en Suisse sans autorisation de séjour a fini par s’imposer partout, sans que la Suisse ait à le regretter. En bonne logique, les filières gymnasiales et universitaires ont aussi été ouvertes aux jeunes sans papiers. Mais ce n’est pas le cas de la formation professionnelle qui suppose un contrat de travail, ce que la loi sur les étrangers interdit. Cette discrimination bouche l’horizon d’adolescents qui, quand ils sont nés en Suisse ou y vivent depuis une dizaine d’années, ont une légitimité à vouloir y construire leur avenir. Ces mineurs ne sont pas responsables de leur statut illégal. Il est donc injuste et indigne de les punir et de les contraindre à l’oisiveté et à la marginalité.
Mais que penser d’un Etat qui vote des lois sans les appliquer ou en les appliquant à son bon vouloir? L’existence d’enfants dans un ménage sans papiers signale le couple à l’autorité, qui a pour habitude de fermer les yeux. Les parents survivent grâce à une ou plusieurs activités rémunérées en violation de la loi sur le travail. Ainsi commence la complicité coupable de l’Etat dans une Suisse qui a pourtant plusieurs fois durci ses lois sur les étrangers et sur l’asile, qui exclut d’assouplir les conditions de régularisation et qui refuse d’admettre que le simple exercice durable d’un travail rémunérateur puisse ouvrir la voie au permis de travail.
Or c’est bien cette politique intransigeante qui se révèle intenable. L’expérience montre que les personnes en situation grise – l’illégalité tolérée – se multiplient. Les renvois, impopulaires sauf quand ils visent des délinquants, sont pratiqués à géométrie variable. Les institutions censées garantir le respect de l’Etat de droit délivrent des messages ambigus. Cette dangereuse incohérence renforce l’hypocrisie collective tout en entretenant l’espoir fragile de celles et ceux qui, par leur intégration irréprochable bien que souterraine, mériteraient d’obtenir un statut qu’aucune autorité ne peut toutefois leur promettre.
Lausanne a défié la Confédération en repoussant les limites des contradictions que peut supporter l’Etat. Mais elle l’a fait sans chercher à forger une alliance qui donnerait une réelle chance à une solution équitable, forcément nationale.
Le Temps, éditorial de François Modoux
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