A la surprise générale, l'Office des migrations va octroyer un permis à Musa Selimi et à sa famille. Une nouvelle vie après vingt ans d'angoisse.
Musa Selimi arrive sur la terrasse carougeoise dans son blouson noir. Un sourire apaisé, détendu. Ils sont une douzaine à l'attendre avec une émotion et une impatience débordantes. Son comité de soutien a débarqué tous azimuts afin de savourer cette belle victoire. Parmi eux, les conseillers nationaux Luc Barthassat et Jean-Charles Rielle, la conseillère municipale carougeoise Henriette Stebler ou encore Alain Morisod. «Je vous présente le clandestin le plus connu de Genève», lance-t-on. «Mais il n'est plus clandestin!» rétorque-t-on. Musa Selimi enchaîne, un regard serein, presque perdu dans des rêves qu'il n'osait plus caresser: «Non. Maintenant, je suis chez moi.» Henriette Stebler le serre dans ses bras. Ses larmes coulent, elle doit même s'asseoir un moment, tellement l'instant est fort.
Sans passer au rouge
Hier matin, alors que l'homme de 40 ans se préparait à se rendre dans la pizzeria où il travaille depuis une dizaine d'années, le téléphone sonne. «Pour une fois on m'appelait pour m'annoncer une bonne nouvelle!» La voix lui explique sobrement qu'il doit se rendre au contrôle des habitants. «J'ai foncé. Tous les feux étaient au rouge, c'était long, tellement long. Mais j'ai respecté, je n'en ai grillé aucun! assure-t-il, en riant. A 11 h, on était avec mon avocat, Yves Rausis, pour recevoir cette nouvelle: Je peux rester en Suisse avec ma famille!»
Une nouvelle qu'il ne réalise pas encore tout à fait. On l'imagine. Vingt ans qu'il fait attention de ne pas se trouver au mauvais endroit au mauvais moment comme il dit. «Ma femme a pleuré lorsque je la lui ai annoncée. Moi? Pas encore. Mais ça va venir. Je n'ai pas encore vraiment intégré ce qui nous arrivait.»
Peu à peu - le champagne, les appels qu'il ne cesse de recevoir sur son portable et l'effusion ambiante aidant - il commence pourtant à livrer les envies qui naissent. «Ma femme va pouvoir travailler un peu, et comme ça, je n'aurai plus besoin de bosser comme un fou. On aura plus de temps pour nous», glisse-t-il, regardant son épouse, Nazife, avec tendresse.
Les toasts s'enchaînent. «Au comité de soutien!» «Aux Carougeois!» «A la Suisse!» Les autorités sont aussi largement saluées. «Mme Widmer-Schlumpf, c'est une grande dame», reconnaît Musa Selimi, son expression pleine de conviction. «Et je vais continuer à tout faire au mieux, comme je l'ai fait jusqu'à présent», poursuit cet Albanais du Kosovo, expliquant qu'il a été très touché par l'attitude de la Suisse pendant la guerre. Il plaisante, raconte que comme il n'a pas pu voyager à l'étranger, il connaît le pays dans ses moindres recoins. «Avec les enfants, on a fait tous les zoos, les parcs, les piscines. Ici, à Lucerne, à Berne. Ce matin, ils m'ont demandé de ne pas me rendre à l'étranger ces prochains jours. Mais c'est bon, j'ai l'habitude!» rigole-t-il dans un français parfait. «C'était très important pour moi d'apprendre parfaitement la langue. La seule chose que je voulais garder, c'est mon accent: ça fait mon charme.»
Son regard se tourne vers la banderole verte, celle que le comité de soutien a brandie à maintes reprises. «Je vais toutes les garder. Je les montrerai à mes enfants plus tard, pour qu'ils réalisent.» Son fils de 8 ans, Dibrian, valse à travers les chaises de la terrasse. Il sourit. Même s'il ne comprend pas tout, il décode la joie de ses parents. Sa soeur de 10 ans, Xhenete, n'est pas encore au courant. Elle est en camp de vacances en Valais. Son père se réjouit d'aller lui annoncer la nouvelle le lendemain. «Et vous vous rendez compte. Ils vont pouvoir aller voir leurs grands-parents!» lance Jean-Charles Rielle.
Musa Selimi s'assied enfin quelques instants, se cale au fond de sa chaise, et regarde ses amis: «Quand je suis arrivé à Carouge, je ne connaissais personne. Et là, regardez, je suis si entouré.»
«De nouveaux éléments sont apparus»
Comment le sort de la famille Selimi, frappée d'une décision d'expulsion au 5 juillet dernier, a-t-il basculé du renvoi à la régularisation? A l'Office fédéral des migrations (ODM), on reste très discret sur les motivations de ce revirement. Il faut dire qu'en mai son directeur, Alard du Bois-Reymond, n'avait laissé aucun espoir dans une interview parue dans les colonnes du «Matin». «Les Selimi doivent quitter la Suisse», avait-il déclaré, assurant que son office ne pouvait revenir sur le jugement du Tribunal administratif fédéral. La famille avait en effet recouru pour contester le refus de l'ODM de lui accorder un permis humanitaire.
Hier, le discours était tout autre. «Le canton de Genève a fait une demande de réexamen et de nouveaux éléments sont apparus», explique Marie Avet, porte-parole de l'ODM. Lesquels? Si l'office ne dévoile pas les raisons qui ont conduit à régulariser la famille, des «motifs de santé» sont évoqués.
Est-ce cela qui a pesé dans la balance, ou l'engagement des milieux politiques genevois et du chanteur Alain Morisod pour plaider la cause des Selimi auprès des autorités fédérales? Rappelons qu'en juin la star des «Coups de coeur» et une délégation genevoise composée notamment des conseillers nationaux Jean-Charles Rielle (PS) et Luc Barthassat (PDC) a rencontré Eveline Widmer-Schlumpf, la ministre de tutelle de l'ODM ainsi que son directeur.
Vingt ans après son arrivée en Suisse, Musa Selimi est en passe de devenir un citoyen comme un autre. Lui et sa famille recevront prochainement un permis B.
Viviane Menétrey dans le Matin
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