Dès 2011, les personnes sans statut légal ne pourront plus se marier, au nom de la lutte contre les mariages fictifs. Un couple témoigne de la difficulté à s’unir et des soupçons qui pesaient sur lui.
Ils n’auront plus le droit de se marier en Suisse. Dès le 1er janvier 2011, les clandestins et les requérants d’asile définitivement déboutés ne pourront plus épouser une Suissesse ou un Suisse, faute de permis de séjour ou de visa valables. Toni Brunner (UDC/SG), auteur d’une initiative déposée en 2005 pour «empêcher les mariages fictifs», a gagné une bataille. Le parlement l’a suivi, le Conseil fédéral aussi. Parmi les partis gouvernementaux, seul le PS s’y est opposé. Et lors de la procédure de consultation, cinq cantons seulement – Vaud, Genève, Neuchâtel, Berne et Schaffhouse – ont jugé la disposition trop restrictive. Et cela alors que la nouvelle loi sur les étrangers de 2008 permet déjà aux officiers de l’état civil de refuser de célébrer des unions en cas de soupçons.
Les fiancés qui ne sont pas citoyens suisses devront désormais apporter la preuve qu’ils ont le droit de séjourner en Suisse jusqu’à la date prévue du mariage: voilà ce que prévoient les nouvelles dispositions. Autre nouveauté: les autorités de l’état civil devront communiquer aux services de migration compétents l’identité des personnes qui ne peuvent pas prouver la légalité de leur présence. C’est-à-dire les dénoncer.
Ces restrictions sont contestées par certains juristes, le droit au mariage et à la famille étant garantis par la Constitution fédérale (art. 12 et 14) et la Cour européenne des droits de l’homme. Elles dénotent surtout une volonté de compliquer encore davantage l’accès au mariage pour les étrangers extra-européens. Et de rendre leur parcours plus kafkaïen.
Bien sûr, des abus existent. Selon l’Office fédéral de l’état civil, il y aurait entre 500 et 1000 mariages «suspects» par année. Le Tribunal fédéral traite, chaque année, environ 100 recours en relation avec des mariages de complaisance. Mais personne n’est en mesure d’affirmer que tous les clandestins en Suisse – ils seraient entre 100 000 et 300 000 – cherchent à se marier, avec la complicité ou non d’un tiers, dans le seul but de rester en Suisse ou d’obtenir une naturalisation facilitée. Par ailleurs, ce sont au total près de 15 000 unions mixtes qui sont célébrées par an, ce qui relativise le chiffre brandi par l’Office fédéral de l’état civil.
Lors des débats parlementaires, la gauche et une petite poignée d’élus de droite, comme Claude Ruey (PLR/VD), ont, en vain, dénoncé le caractère discriminatoire du projet. «Quand tous les fiancés étrangers sont présumés coupables, où est la proportionnalité? Une police qui met tout le monde en prison, sous prétexte que les voleurs existent, est-elle une police efficace et mesurée?» s’est interrogée Liliane Maury Pasquier (PS/GE). Elle réagissait au fait que le Conseil fédéral, dans ses arguments, a souligné que les dispositions seraient appliquées dans le respect du principe de proportionnalité. Donc en tenant compte de certains cas particuliers.
L’ancienne conseillère nationale libérale Suzette Sandoz, spécialiste du droit du mariage, est, elle aussi, choquée par un aspect de ces dispositions. «L’utilisation d’une autorité civile pour dénoncer à la police une personne même si celle-ci est en situation illégale en Suisse équivaut à la mise sur pied d’une police d’Etat comme dans les pires régimes totalitaires», a-t-elle récemment écrit dans une de ses chroniques pour par la NZZ am Sonntag.
Elle précise sa pensée au Temps. «Ce qui me gêne vraiment est que les officiers d’état civil soient poussés à la délation», souligne-t-elle. «Je peux par contre comprendre qu’ils ne célèbrent pas le mariage de personnes dont ils ne peuvent pas vérifier l’identité et l’état civil, et donc si elles sont déjà mariées. Car si c’est le cas, et même si une annulation de l’union est possible, cela provoquerait des complications juridiques importantes, notamment pour les enfants.»
Concrètement, un sans-papiers peut rentrer dans son pays, chercher les documents nécessaires et revenir légalement en Suisse, avec un visa, argumentent les défenseurs du projet. Un scénario dans les faits pas très réaliste, les clandestins étant peu enclins à prendre ce genre de risque. Autre obstacle: certains pays ne peuvent ou ne veulent pas fournir les documents exigés.
Un Suisse pourra par ailleurs continuer à épouser un étranger hors de Suisse et faire reconnaître son mariage si ce dernier a été «valablement célébré» et sans intention frauduleuse. Mais le mariage n’a aucune incidence sur l’obligation du visa qui dépend de la nationalité de l’étranger, précise Marie Avet, porte-parole de l’Office fédéral des migrations. Le conjoint étranger devra donc déposer une demande de visa auprès du consulat suisse avec les documents d’état civil pour la transcription du mariage dans le canton d’origine de l’époux. Ensuite, il obtiendra en principe un visa D qui lui permettra d’entrer en Suisse. Dès qu’il aura déclaré son arrivée à la commune, il obtiendra un permis B, renouvelable chaque année.
Autre cas de figure: la personne étrangère qui réside à l’étranger et qui souhaite se marier en Suisse. Elle devra d’abord demander un visa si sa nationalité l’oblige à le faire. Ce sésame lui sera délivré pour la durée de la procédure préparatoire du mariage. Si celle-ci n’est pas achevée au bout de trois mois, une autorisation de séjour de courte durée est accordée après l’entrée en Suisse.
Les dispositions qui entreront en vigueur dès l’an prochain ne devraient rien changer pour ces deux cas de figure. Mais elles contribuent à renforcer le soupçon qui pèse sur les étrangers. Un jeune Gambien de 20 ans aura toujours plus de peine à obtenir un visa qu’une Indienne d’âge mûr…
Une chose est sûre, en adoptant ces mesures la Suisse rejoint les rangs des pays les plus restrictifs en la matière. La France a bien durci ces dernières années sa législation, mais sans aller aussi loin. Les maires peuvent refuser de célébrer un mariage «suspect» et saisir le procureur de la République. Mais le Conseil constitutionnel s’est érigé en 2003 contre l’idée que l’irrégularité du séjour puisse être une entrave au mariage.
La nouvelle réglementation suisse se calque en revanche sur celles du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de la Norvège et du Danemark. Au Danemark, une loi de 2007 précise que le mariage ne peut être célébré que si les fiancés sont citoyens danois ou au bénéfice d’un titre de séjour valable. Idem en Norvège, avec une loi qui date de 1994 déjà.
Les règles des Pays-Bas sont plus précises. Un article du Code civil néerlandais prévoit l’obligation de présenter à l’officier de l’état civil une déclaration du chef de l’autorité compétente en matière d’étrangers sur la régularité du séjour du futur époux. Une déclaration qui n’est pas requise si les futurs époux ou pacsés ont leur résidence à l’étranger, ni pour ceux qui viennent d’un pays membre de l’UE ou de l’AELE.
Au Royaume-Uni, un résident qui ne vient pas d’un pays de l’EEE doit être titulaire d’un «visa pour mariage», d’un «visa de fiancé» ou être détenteur d’une autorisation de mariage appelée «certificate of approval» délivrée par le Home Office avant de pouvoir effectuer une déclaration de mariage. Et cela depuis 2004. Mais il y a une exception: en Angleterre et dans le pays de Galles, ces dispositions ne sont pas applicables aux mariages célébrés selon les rites de l’Eglise anglicane et qui sont précédés de la publication des bans.
Valérie de Graffenried dans le Tempss
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