Antonio Hodgers, conseiller national (Verts/GE), désapprouve le contre-projet à l’initiative de l’UDC, simple réplique du texte initial. La faute à une stratégie timorée des autres partis gouvernementaux.
Lors des débats parlementaires sur l’initiative de l’UDC «Pour le renvoi des étrangers criminels», une majorité composée du PLR, du PDC et du PS s’est entendue pour lui opposer un contre-projet qui n’est, en réalité, qu’une reformulation juridiquement plus cohérente du texte de l’initiative. «Il faut limiter les dégâts», «l’initiative a tout de même été signée par plus de 200 000 citoyens», «on ne peut pas revivre le traumatisme des minarets», entend-on ci et là, du ton de celui qui est conscient d’aller contre ses convictions, mais qui s’absout lui-même en prétextant qu’il n’a pas eu le choix. De plus, pour certains, les arrière-pensées électorales ne sont pas loin: «Il faut coûte que coûte éviter de donner un succès à l’UDC à la veille des élections fédérales.» Ces stratèges pensent qu’une victoire du contre-projet sur l’initiative sera une victoire des partis PRL-PDC-PS sur l’UDC, même si leur texte en est un plagiat. Que cela soit de bonne foi ou par calcul, à mon sens, ces trois partis se trompent.
Tout d’abord, ils ont perverti l’usage du contre-projet. En effet, une initiative populaire est soumise à deux traitements parlementaires distincts: le premier concerne sa validation juridique, et le second son acceptabilité politique, avec l’éventualité de lui opposer un contre-projet plus consensuel. Or, la majorité parlementaire a validé juridiquement l’initiative, tout en lui opposant un contre-projet similaire sur le fond, mais juridiquement respectueux du droit international et des droits fondamentaux. On donne une réponse politique à une question juridique.
Le plus cohérent aurait été de décider une invalidation partielle, imputant l’initiative de ses aspects contraires aux droits supérieurs et fondamentaux, et soumettant en votation le texte restant. Faute de courage, et niant son mandat constitutionnel, le parlement a préféré utiliser un contre-projet en laissant ainsi de manière malsaine le peuple arbitrer une question juridique.
Ensuite, avec ce contre-projet, le triumvirat gouvernemental pense faire un pied de nez à l’UDC en la privant de sa (très probable) victoire devant le peuple. Mais comment peut-on prétendre avoir battu politiquement un adversaire quand on a repris à son compte toutes ses thèses? En réalité, l’alliance PLR-PDC-PS a déjà perdu. L’UDC n’a même plus à se battre pour trouver des majorités sur ses propositions, les autres partis gouvernementaux s’en chargent. La menace suffit pour que ces trois partis se mettent à travailler avec zèle à la concrétisation politique et juridique de leurs idées. Mais l’acceptation du contre-projet par le peuple au lieu de l’initiative sera une victoire à la Pyrrhus. Car les citoyens finissent toujours par préférer l’original à la copie…
Enfin, il faut s’inquiéter de la teneur des débats autour de l’initiative des «moutons noirs» qui montre une nouvelle fois le glissement électoraliste de la classe politique lorsqu’il s’agit de débattre du cocktail étrangers-sécurité. «Il faut répondre au sentiment d’insécurité de la population», répète-t-on comme un leitmotiv. Or, personne au sein du parlement ne s’est posé la question de la réelle pertinence de l’instrument de sanction proposé par l’initiative, à savoir l’expulsion systématique. Comme la criminalité étrangère est avant tout le fait de groupes organisés, ceux-ci, lorsqu’ils sont appréhendés, font déjà aujourd’hui l’objet de mesures d’expulsion. Si elles ne sont souvent pas appliquées – ce qui est un réel problème –, c’est faute d’accords de réadmission ou d’établissement de l’identité réelle des prévenus. Dès lors, les textes de l’initiative et du contre-projet n’apporteront aucune solution à cette situation. Que l’UDC émette des propositions qui n’améliorent pas la sécurité, c’est normal: ce parti cherche à utiliser la peur des gens, pas à y répondre. De plus, si la Suisse devenait plus sûre, le parti d’extrême droite perdrait des voix; il n’a donc aucun intérêt à défendre des solutions efficaces.
Par contre, que les trois autres partis gouvernementaux ratifient des propositions creuses et valident ainsi une politique dénuée de fondement matériel, cela relève d’une dangereuse tendance démagogique. Les lois doivent être faites pour répondre de manière efficace à des problèmes réels, non pas pour donner crédit à des «ressentis».
Le PLR, le PDC et encore moins le PS ne devraient chercher à reformuler les thèses de l’UDC; à force de jouer au pompier, on en vient à légitimer l’incendiaire. Au contraire, les partis républicains nécessitent de se concentrer sur la résolution réelle des situations à risque par des mesures efficientes et respectueuses de droits fondamentaux. Et, quand il le faut, résister aux propositions aussi populistes qu’inefficaces, quitte, parfois, à perdre en votation.
Antonio Hodgers dans le Temps
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