Chaque canton devrait compter au moins un cimetière réservé aux musulmans. Trois mois après la votation sur les minarets, la revendication formulée par le président d’une des principales organisations islamiques de Suisse provoque des remous. Un article de Serge Gumy dans 24 Heures.
«Il est indigne de la Suisse de marginaliser ainsi les musulmans» en leur refusant d’être ensevelis selon leurs rites. «C’est même contraire à la Constitution fédérale, qui garantit la liberté de croyance.» Président de la Coordination des organisations islamiques de Suisse (COIS), Farhad Afshar réclame dans l’hebdomadaire Sonntag que chaque canton se dote d’un cimetière réservé aux musulmans.
Pour y parvenir, le sociologue de l’Université de Berne se dit prêt à saisir les tribunaux la prochaine fois qu’une commune refusera aux fidèles de l’islam d’être enterrés séparés des morts d’autres religions, leur cercueil orienté vers La Mecque, ainsi que le commande leur foi.
Pas encore de carré musulman en terre vaudoise
En Suisse, seules neuf communes ont créé à ce jour des carrés confessionnels, dont Genève, Zurich et Bâle. Le canton de Vaud n’en compte aucun, alors que les juifs possèdent deux cimetières à Prilly et à La Tour-de-Peilz. «A mes yeux, la création de tels espaces, qui est du ressort des communes, passe d’abord par la reconnaissance des communautés musulmanes comme organisations d’utilité publique», estime le conseiller d’Etat vaudois Philippe Leuba, favorable sur le principe aux carrés confessionnels.
La commune bernoise de Köniz s’avère moins ouverte. La semaine dernière, son exécutif a rejeté une demande de sa communauté musulmane (1700 personnes). «Nous n’avons rien contre les musulmans. Mais nous avons constaté que le besoin n’était pas suffisant», expliquait à la Berner Zeitung la municipale Rita Haudenschild (Verte).
«Pas de besoin? Tout dépend de qui on parle», réplique Farhad Afshar. Le président de la COIS dit exprimer la demande des pratiquants – un dixième des musulmans de Suisse, selon les experts. «Je reçois beaucoup de plaintes.» Et de citer ces familles qui veulent faire inhumer leur proche dans les carrés de Berne ou de Zurich, mais que l’on recale parce qu’elles n’habitent pas la commune. «Tout le monde est égal devant la mort, poursuit-il, mais cette égalité ne signifie pas que tout le monde doive être enterré de manière sécularisée. Les musulmans prati- quants ne veulent pas être coupés de leur identité.»
Trois mois après que les Suisses ont voté l’interdiction des minarets, la revendication de Farhad Afshar suscite des réactions houleuses. «Jusque dans la mort, les musulmans veulent créer une structure parallèle, s’emporte le conseiller national UDC Oskar Freysinger, fer de lance de l’initiative antiminarets. Accepter les carrés confessionnels revient à créer des zones dans lesquelles la loi islamique s’applique, et pas la loi suisse.»
Artisan de la loi genevoise sur les carrés confessionnels, le Vert Antonio Hodgers conteste, quant à lui, la méthode de la COIS. «Menacer de saisir les tribunaux est politiquement maladroit. Une démarche aussi vindicative risque de cabrer la population. D’autant que là, et contrairement aux minarets, ce sont des musulmans qui demandent une inégalité de traitement. J’y vois le résultat de la votation du 29 novembre qui conduit les musulmans de Suisse à se replier sur leur communauté.» Sous la critique, Farhad Afshar se défend: «Les opposants aux minarets promettaient qu’ils veilleraient à l’intégration des musulmans. Aujourd’hui, ils les marginalisent. C’est inhumain.» Mais formuler cette demande maintenant, est-ce raisonnable? «Ce n’est pas une affaire d’intelli-gence politique, mais de nécessité. Des musulmans arrivés ici il y a quarante ans meurent, et ils ont le droit d’être enterrés dignement. »
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